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Derhama et le dragon
poèmes [ ]
(de Danilo Romero)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
par [felipe ]

2005-04-06  |     | 



Peintre et poète uruguayen Danilo Romero vit à Paris.
"Derhama et le dragon" évoque la fin des civilisations
d'Amérique du sud et le génocide des populations
dans le sillage des "Grandes découvertes"


Derhama et le dragon



Une sandale huacanoteca s’incline
pour laisser tomber sa cataracte et une
caravelle sortant d’une vieille carte se retrousse et
saute, brisant une continuité qui autrement ne serait
qu’un nuage blanc.

Une stupeur effrayante craque la coquille de
l’obscurité dans l’évasement de milliers de félins affolés
par la fumée, les feuilles se couchant sur le vent, l’âme
grimpant le cri.

Quelle blessure à jamais se pose sur tes arbres
naviguant tes fleuves, affreuse suture des artères dans
cet attroupement de pierres, de lave, de poudre, de
fougère, imbriquant d’un rien complice l’acte de
respiration et la captivité elle même ?

Oh Derhama,
quels rêves t’entraînèrent par le monde,
sang de gravures végétales,
stuc burin gouge,
toi,
venue d’une région aussi étrange, jute inextricable de
temples et de rites, croyances de sauvetage pour
expliquer le monde, pour mitiger la faim, la solitude,
l’abandon, la peur ?
Monde, selvas, bêtes, cultures,

Arrête-toi Cuauhtemoc, l’heure est venue de camper,
ne réponds-pas sur le sens du métal car celui qui parle
subit la peine du feu indéfini.

Ne balbutie pas d’excuses, animal gisant, car
toujours a existé le coup par surprise qui fut le véritable
Inventeur des sensations : attention alerte fuite-
griffe –dents ;
et toujours une ville étrange déguisée au plus haut d’un
mont vert où les braises ont des ailes ;
et toujours un passé pour revenir car nous le créons
tous les matins ;
et toujours une caravelle accrochée sur une branche
qui n’est justifiée ni dans l’histoire ni sur aucune carte
de navigation.

Goûte une gorgée des alcools sacrés avec lesquels
furent offerts les bénits augures et digérés les génocides.

Désaltère-toi dans le lac chargé d’algues adaptées aux
nouveaux systèmes d’absorption, et détends tes bras,
car cela améliore la résistance.

Protège les cailloux avant que soit déclarée l’ère du
sable et la remise en question de l’entropie ;
laisses-en tomber quelques-uns
pour corroborer la loi de la
gravitation.

Géant de la nuit et des inventions, chasseur informe
de vers-luisants sauvages dissous dans la neige,
homme de bronze marqué par l’imprévisible,
lève-toi et attends que la nuit s’atomise
au petit matin
dans la clarté.

Lève tes auriculaires et ausculte les chants de sirènes
qui cachent leurs yeux dans le lac pour jouir
de l’éclatement de la victoire sur les récifs,
accueillant les rides et la quatrième dimension
sous le même joug d’instinct
et de hasard.

Ami du désert et des signes cunéiformes, cache ton
harawi qui projette des transcendances sur le
bassin gravé par les hommes-mémoire
éjectés par sorts
et miracles.

Ramasse la tempête ligotée d’invraisemblance, car
Il y a une barrière énorme qui sépare l’idée du temps
de la notion temporo-crociton.

Effraye les mouches pour la réjouissance des derniers
arrivés, tout en réfléchissant
pour faire bouillir le sang dans les spéculations.

Plus profondément encore
pour récupérer quelques souvenirs par les chemins
de branches
et de versants.

Intimide la peur même et fais croire à tes bourreaux
n’importe quoi
qui amortisse la brûlure,
tournant sur l’angle photogénique du paysage
enneigé ;
geste, signe, parole muette,
souris-lui à ton vieux jaguareté.

Fais le tour absolu et pose-toi sur le palier courbe
du temps,
grimpe sur un arbre
et souffle l’écume
des nuages

et crache les étoiles

Dissous les dernières graines de lumière sur la cicatrice
perdue des isotropes du vent
et attends les pluies de
printemps
qui amèneront les nouveaux plans commerciaux
de la vallée verte
et les encagements des nouveaux accidents
de la géologie.

Trempe les cordes vocales du mort pour qu’il raconte
Son histoire de façon à rassembler
A un chant
Et non à un regret.

Déshabille la gorge des oiseaux
disciplinés.

Dépose le bois sur la rivière et ignore le bombardement
car
il sera toujours possible de soupçonner une résistance
attendue avec la soigneuse stratégie des théorèmes
de la direction unifiée
infaillible
prisonnière
du bagne de leur crâne.

Aiguise l’ouïe autant que tu peux guépard enchaîné
au bras de ton geôlier
et essaie de détecter les rugissements
lointains
de tant d’années
lumière.

Palpeur de songes
affine le tact qui mesurera l’ancienneté des souvenirs
au-delà des phénomènes
des radiations

Ecrase les doutes et cache la perle dans la foule
tandis que les cactus serrent les yeux
exophtalmiques
des coyotes,
parce que viendront les blanches cérémonies des vendanges
les enfants
dansant leur syncrétisme
comme les palombes
du haut
des palmiers
ainsi que les rongeurs d’oxygène
pour imposer
le vent

et le calme chercher son filet blanc


La déclaration fournie écoute la voix qui demande
silence : que la ténèbre soit, t’est décerné.

Vieil arpenteur du rêve descendant d’un espoir filtré
entre le doute, la projection sentimentale, attendant
le jour de la résurrection ou l’enchantée transférence
d’un scarabée sur l’étoile marine,
ou soit
intrépide regard d’un grand-duc jouant à courir
après une libellule réfléchie sur l’eau.

Car il faut lire une carte dessinée sur un miroir
et s’insérer dans un souvenir structuré de façon
telle dans l’espace qu’il n’existerait plus d’autre
réalité que lui dans le nucléus ondulatoire
de la matière ;
et on verra un chélonien regardant ses propres yeux,
et une pierre sur une place,
et un pigeon rassemblant des paroles en débandade
face à une mairie justifiée par des bateaux
danseurs,
parce que l’action n’est pas toujours
nécessairement dynamique
ni tout fondement nécessairement raisonnable.
ni toute préoccupation définitive car
définitive n’existe pas.

Et les fouilles s’effectueront mille fois dans les
villages abandonnés où tous les vertiges sont
repérables sous les aubes enneigées,
les marins qui ont levé les amarres du bateau
étant indemnes du naufrage
et les refuges protégés par les castors.

L’heure de l’innocence est venue et les enfants
rient face au clown, tandis que la nouvelle réalité
essaie de se maintenir équidistante entre
la curiosité et la fuite.

Tu pourras remonter le hurlement du coyote
Jusqu’à la première étoile pour qu’elle
t’embrasse dans sa flamme et ignifuge ta peau ;
tu pourras acceptant le superavoir, regarder
subrepticement goutter l’étoile sur la tribu
qui hurle inquiète face à la toute dernière
erreur du dompteur,
et répéter le grabuge schizophrène jusqu’à
rester enfermé dans l’apesanteur,
et regarder l’horloge des grandes paroles
transformée en ping-pong des musculatures.

Parce que le voleur du temps est absorbé dans
le mimétisme d’une ronde d’oiseaux amenés
à la hiérarchie des comportements du matériel.

Caupolican, endormi le radar émet un son nouveau
pour attraper des éphémères ;
ces éphémères seront exécutés lorsque le souvenir
se transformera en une tache ininterprétable.

La palombe s’est posée sur le condor blessé
Affûtant son bec sur la poudre de la ville
encerclée d’inconscience et d’arquebuses,
tandis que tous les oiseaux de la cour s’en vont
du nucléus solaire en faisant des circonvolutions ;
le désert absorbe le lichen des nuages et les
chevaux pirouettent dans la lueur trompant
les limitations de l’œil.

Lorsque s’est produit le triomphe irrémédiable
comme est arrivé le triomphe de Derhama, des
milliards d’étoiles ont dansé incisant la peau
de la nuit, traînant la lumière sur les hauts fourneaux
où se forgent les griffes qui poignardent
l’eau, avec le même sentiment tardif qui
entraîne la conscience de mémoire.

Et la notion de temporalité des
poissons-volants cherchant dans ce battement
d’ailes la métamorphose de leur condition
absurde.

Et l’indifférence du dragon endormi après sa
troisième résurrection, confondant ses sept têtes
dans l’hydrogène de l’arbre.


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