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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2005-11-18 | |
Dans les archives de Max Bilen sont soigneusement conservées les lettres qu’il reçut de ses amis écrivains et de ses confrères universitaires. Parmi elles : six lettres de Maurice Blanchot entre 1964 et 1987. Ceux qui ont connu Max Bilen ne peuvent ignorer l’estime qu’il éprouvait pour l’auteur de Thomas l’Obscur et de l’Ecriture du désastre. Comme les deux hommes ne se sont jamais rencontrés, ces lettres sont les seuls vestiges de leur amitié.
C’est durant l’été 1964 que Max Bilen écrivit à Maurice Blanchot pour la première fois, lui adressant le manuscrit d’un roman : La petite Bête, qui restera inédit. En octobre 1964, s’excusant du retard apporté à sa réponse, Blanchot lui promet de lire le texte « dès que le temps [lui] sera donné généreusement, » car, ajoute-t-il, « la lecture n’est jamais un acte sans responsabilité », et il le prie de ne pas croire à un « silence inattentif. » Blanchot ne tarde pas trop, puisque, le 16 novembre 1964, il rend compte de sa lecture dans une longue missive dactylographiée. « Votre expérience m’est souvent très proche », affirme-t-il, et de définir cette expérience : « Cette exigence d’écrire, dans ce qu’elle a de neutre, d’insignifiant aussi, l’infini avec quoi elle met en rapport là où elle s’affirme – un infini que d’autres peuvent appeler le mauvais infini, qui en tous cas ne saurait être le « bon » et qui se dérobe à tous les qualificatifs - , l’indifférence infinie qui est la marque de cette passion infinie, sa force destructrice, créatrice, et cependant sans rapport avec une négation, une affirmation, tout cela est en jeu ici ; et du « héros » du livre , de ce « Je » qui n’arrive pas à renoncer à écrire en première personne, je dirais ce que j’ai écrit d’une autre qui n’est pas très loin de moi : « Il essaie de se rappeler dans quelles circonstances le cercle a été tracé autour de lui : un cercle – plutôt une absence de cercle, la rupture de cette vaste circonférence d’où viennent les jours et les nuits. » Ensuite Blanchot parle du livre lui-même, et s’étend particulièrement sur le premier chapitre, « qui d’une certaine manière dit tout ». Plus loin, il revient sur l’ « expérience » et le phénomène de la répétition : « La récurrence perpétuelle, ce sont des traits essentiels de l’expérience, mais précisément « l’intrigue », même si elle correspond à la réalité biographique du « Je », semble souvent n’être là que pour fournir un alibi à la répétition et alors la rend seulement plus visible, plus laborieuse. » Mais il résiste, dit-il, « à ce qui lui semble être une sorte de mythologie : la représentation du monde extérieur, les rapports avec ce monde, sa forme administrative, policière, et même les grandes épreuves (en elles-mêmes, importantes, La Porte, les Aveugles, la Naissance du poème). » Enfin, il lui demande s’il peut « l’aider ». *** La troisième lettre, celle du 14 décembre 1976, répond à l’envoi d’un article que Max Bilen lui a consacré : « Maurice Blanchot et l’œuvre initiatique », paru dans The Hebrew University Studies in Literature (volume 4 no. 2, 1976). Il se dit « touché, bouleversé, de recevoir précisément d’Israël une méditation si profonde, inspirée par ce que j’ai pu écrire ». Et d’ajouter : « Israël avec lequel je me sens tant de liens et qui représente pour moi ce qu’il y a de plus haut, de plus important, de plus menacé comme l’est l’esprit de justice même. » Et nous citons la fin de cette lettre : « Votre lecture, qui est aussi une réécriture, s’impose par elle-même, échappant à un jugement qui n’aurait aucune autorité, fût-ce un jugement d’approbation. Cela, vous le savez, il manque le verbe d’un savoir-propre qui vient de votre travail de création, de re-création. Certes, toujours des problèmes se posent, s’accentuent, par l’acharnement de la pensée qui ne peut se satisfaire à la mise en cause de l’œuvre, la mise en cause de l’Un, du même et de la présence, l’exigence de l’Autre (autrui), la question de l’écriture hors-langage, le fragmentaire. Mais ces problèmes, dégagés abstraitement, se recouvrent aussitôt : précisément parce qu’ils ne peuvent être discernés, ne pouvant l’être que si le discours conceptuel se donne pour achevé : ce qui reste à écrire, lorsque tout est dit. Je voudrais vous exprimer ma reconnaissance, ce serait trop peu. Mais l’amitié, l’amitié dans la pensée, acceptez-la cher Max Bilen, que nous soyons compagnons dans les épreuves intérieures, extérieures - fidèlement. Maurice Blanchot » Une quatrième lettre du 19 juillet 1982 semble être une réponse à un envoi de textes poétiques. C’est autour d’Israël et du judaïsme, des épreuves infligées au peuple juif, que se formulent les dernières lettres. En voici quelques passages significatifs. 19.7.1984 Pour moi, qui suis redevable au judaïsme sous toutes ses formes (comme vous l’avez bien pressenti), que ce soit dans les épreuves parfois partagées de la diaspora, ou, dans l’avènement d’un Israël qui n’est pas encore, tout en étant là , et qui vient au-delà de tout avenir, je lui exprimerai fermement ma reconnaissance toujours insuffisante par rapport à ce qu’il m’a donné. Maurice Blanchot *** 24.4.1987 Merci de penser à moi dans ces temps difficiles. Croyez bien que, de près, de loin, je suis avec vous. Ce quarantième anniversaire évoque, en effet, une naissance qui fut accueillie avec tant de joie. Les souffrances qui survinrent aussitôt, les menaces, les jugements malheureux, les erreurs peut-être n’ont pu effacer cette joie. Quoi qu’il arrive, je suis avec Israël, nouveau et ancien. Le désastre sera surmonté. L’amitié repeuplera le désert. L’espoir est là , dans le temps, hors du temps. Maurice Blanchot *** 27.7.1987 Jamais nous ne nous souviendrons assez des souffrances qui ont permis la naissance de l’Etat d’Israël et qui est notre Etat. Même si nous en sommes éloignés et si nous lui appartenons sans aucun droit, même sachant qu’il continue l’exil parce qu’il le rend plus authentique. Merci pour vos écrits, merci pour votre pensée. Je suis de tout cœur avec vous. Maurice Blanchot |
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