Promenons-nous sur le Rialto et laissons les ombres nous envahir. Venise est traversée d’âmes en errance qui ont du mal à la quitter. Venise est dense jusqu’à l’étouffement, envahie des morts et des vivants.

Chacun croit la posséder et elle n’appartient à personne, Venise est une putain.

Maquillée outrageusement d’ors et de pourpres, elle voile ses jambes de bas noirs et cache son visage vérolé sous un loup. Son décolleté est profond jusqu’au vertige, aux abords de chacun de ses quais se cache la lagune obscure et pénétrante.

Venise est une putain, elle soupire avec langueur à l’oreille de son amant, lui donnant à espérer qu’il va cueillir la lune. Mais lorsqu’on pénètre ses palais, la moisissure, la pourriture ont recouvert les richesses et l’opulence de sa jeunesse.

Venise est la putain qui sauve les apparences, elle répand du parfum dans les venelles qui sentent l’urine, cache sous le fard les ruelles coupe-gorge.

Venise est une putain parcourue de multiples ponts qui enjambent la lagune, on entre sur la place San Marco comme sous sa robe de taffetas, sous ses jupes de coton trouées, on croit y voir la magnificence on y sent le vieux poisson pourri.

Sous les arceaux de ses places, comme dans la gorge de la putain, traînent des immondices. Ceux qui viennent l’admirer, les curieux s’y tiennent aussi mal que dans un bordel et pour cause, comme les « dames » d’Amsterdam derrière leurs vitres, Venise tapine, Venise aguiche. Elle hèle le passant lui promettant le bonheur, le grisant de promesse dans l’ombre et la lumière, dans des serments de plaisirs à venir. Les dômes de ses églises sont ses larges tétons d’où coule le lait des poètes et des peintres.

Sur le grand canal de grandes ogives béantes et sombres sont les dents manquantes dans le sourire de la putain. Vers l’Arsenal, elle se montre telle qu’elle est, dénudée vieille et fatiguée, pas tape à l’œil pour deux sous.

Venise la putain meurt lentement sous l’eau, ses amants accrochés au souvenir de sa splendeur lui offre encore des parures, des toilettes, mais rien n’y fait, elle meurt, comme Violette. Et meurent ses églises, ses palais, ses Doges, le fantôme de Casanova errant dans ses prisons et Venise la putain se noie dans sa fange