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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2010-10-06 | |
J’aime rester tard dans la soirée à regarder par la fenêtre comment les lumières des maisons de notre rue s’éteignent une à une. La première maison plongée dans l’obscurité est celle du carrefour où loge la petite vieille mémé Buna. C’est elle qui tricote tous les gants, les bonnets et les cache-nez des gamins du quartier. La seconde lumière qui s’éteint est celle de la maison de Act, élève débutant qui doit se coucher tôt, suivie par celle de l’horloger, la dernière étant la mienne, je crois. Pourtant, avant de quitter mon „poste d’observation” j’aperçois encore une maison éclairée – c’est la maison d’un brave petit bonhomme que les voisins ont pris l’habitude d’appeler Le Grand Lecteur. Vous vous en demandez la raison; c’est une longue histoire datant de l’époque où Citi (Le lecteur) était en quatrième du primaire.
Citi est d’une famille d’instituteurs. Ses parents ont appris à des centaines d’enfants à lire, à écriere, à chanter et à dessiner. L’école où ils enseignent se trouve à l’autre bout de la ville. Si bien que, tous les matins, les deux maîtres d’école enfourchent leurs vélos pour se rendre au travail. Tout le monde les respecte. Ce sont de très braves gens qui s’occupent particulièrement de l’éducation de leur fils. Avant que Citi n’ait l’âge d’aller en classe ils lui ont préparé disques et cassettes avec tous les contes du monde. Mais que dire de la bibliothèque débordant des plus beaux livres pour le temps où Citi saura lire! Et ce moment n’a pas beaucoup tardé. Citi a donc appris à lire et à écrire mais rien de plus. Jusqu’à dix ans , pas de prix, pas de lecture. Il ne toucha à aucun livre de la fameuse bib liothèque soigneusement préparée par les parents, qui, toujours plus affligés de l’indifférence du fils pour les livres, venaient souvent chez moi s’en plaindre et me demander conseil. Toutes mes tentatives d’éveiller chez Citi le goût de la lecture échouèrent. Voilà quand même, qu’un beau jour, en rentrant des courses je passe devant la maison des instituteurs et j’entends les pleurs d’un enfant. Je vais voir ce qui ne va pas. - Oui, entrez madame Gheo, venez voir notre enfant pleurer… - Je vois bien, mais pourquoi il pleure, demandai-je inquiète. - Parce que … et d’un coup je vois s’approcher de nous un beau livre aux couvertures pleines d’images, qui nous parle de sa voix claire mais révoltée: … parce que nous lui avons défendu d’écouter l’histoire de Robinson Crusoe sur la cassette. Il est bien temps qu’il me lise, moi, le livre portant le même titre. Moi, je lui dirai l’histoire complète du héros, et non quelques fragments seulement. Après avoir parlé, voilà le livre qui regagne rapidement sa place, sur un rayon en haut de la bibliothèque, en soulevant un petit nuage de poussière. Tout le monde se tut, laissant Citi pleurer et menacer le livre de son petit poing. À partir de ce jour-là, cassetes et disques se mirent à disparaître, tour à tour, sans trace; au fur et à mesure de ces disparitions Citi devenait de plus en plus triste. Au bout d’une année Citi perdit toutes les cassettes, tous les disques. Pendant les grandes vacances les enfants avaient avaient l’habitude de se réunir devant les portes pour discuter tout ce qui leur passait par la tête. Le plus souvent ils s’installaient devant ma maison en se vantant chacun de ses dernières lectures. Au début Citi était du groupe mais sa participation se fit de plus en plus rare, le garçon ne pouvant plus tenit tête aux performances de Coni qui venait de finir un célèbre conte roumain, de Tibi qui parlait des aventures de Huck, de Bobi, enthousiasmé par Les Légendes de l’Olympe. Avec le temps Citi cessa de venir aux soirées des autres. Après l’été, l’automne arriva avec la rentrée des classes. Tous les gamins, Citi y compris, se dirigèrent vers l’école. Ils parlaient tous des chaussettes tricotées par mémé Buna; leur joie était contagieuse, même les cartables sautaient au rythme de leurs pas. Prise moi-même par les obligations scolaires, je ne voyais plus que rarement les parents de Citi. Aussi n’était-je plus au courant de ce qu’il devenait. Et un soir, au moment où je m’y attendais le moins, je vois madame Popi, la mère de Citi, au seuil de ma porte. Elle était très fâchée. - Pardonnez-moi, Mme Gheo de vous déranger à une heure pareille, mais je n’en peux plus. Vous savez, il m’est impossible de passer vous voir dans la matinée car nous sommes prises, toutes deux. - Entrez donc, chère Mme Popi! Et Citi? Ça va mieux? - Non, il n’a pas changé. Il refuse de lire quoi que soit, même si c’est une obligation scolaire. Alors, pour ne pas lui donner une bonne fessée qui n’aurait servi à rien, j’ai préféré sortir afin de me calmer et … je me suis retrouvé devant votre porte. - C’est bien comme ça. Allez, asseyez-vous! Vous prenez du thé? - Volontiers. Ça me fera du bien. L’institutrice de Citi va vérifier demain la lecture du conte Histoire d’un paresseux et Citi ne répondra rien. Quel ennui! - Madame Popi, je vous conseille de ne plus penser à la note et de ne pas commettre l’immense erreur de raconter le conte à votre fils, sous prétexte de l’aider. - J’y avais pensé et je me suis ravisée en me rappelant le geste du livre révoltée qui avait caché disques et cassettes. Geste répété plus tard par la plupart des livres. - Alors tenez bon, ne cédez pas! Le lendemain il arriva à Citi ce que sa mère et Mme Gheo avaient prévu – Le garcon fut puni par une très mauvaise note. Et l’histoire se répéta jusqu’à la fin du trimestre. Citi n’avait pas la moyenne en lecture! Et voilà arrivées les vacances d’hiver, attendues avec tant d’impatience. La neige avait tout changé en un décor féérique. Notre rue devint le royaume de la joie, des grelots, des traîneaux; Buna n’arrivaient plus à tricoter tous les gants et les cache-nez queles enfants perdaient pendant les parties de luge où seul Cite était absent. Lui, il était puni et devait rester dans sa chambre. Quand les fêtes vinrent avec leur cortège de surprises, Citi ne put en profiter d’aucune façon; Père Noë n’a pas franchi le seuil de la porte de l’enafant, le Nouvel An a passé inaperçu. Le lendemain du jour de l’An Mme Popi m’a invité à déjeuner. Au moment où j’allais boire mon champagne, Citi fit irruption dans le salon, en criant et en pleurant à la fois. - Maman, maman, hurla-t-il en se blotissant dans les bras de sa mère. - Qu’est-ce qu’il y a, Citi? demanda sévèrement la mère. - Maman… - Eh oui, mon enfant, parle … ! - Moi, … tu sais … - Et Citi sanglotait à nous faire peur. Tu sais , j’ai voulu prendre un livre dans la bibliothèque et … - Ah bon, en es-tu sûr? - Oui, oui … - Que voulais-tu faire avec ce livre? À cette question, nous vîmes Citi, les yeux baissés, prêt à quitter la pièce. - Eh bien, as-tu l’intention de répondre ou non? insista maman. - Je voulais le lire. - Et qu’est qui t’en a empêché? - C’est ce que je n’arrive pas à te dire: tous les livres se sont révoltés contre moi. L’un m’a frappé la main et m’a accusé d’être incapable de le lire; un autre, „Les Cygnes” a chassé tous ses oiseaux car, prétendait-il, ils m’avaient assez attendu; le temps était venu que j’attende moi-aussi. Et puis, tu sais, sur le rayon où sont rangés tous les romans de Jules Verne … ils se son serrés l’un contre l’autre ne me permettent pas d’en prendre même le plus mince. Comme si ce n’était pas assez, écoute ce qui est arrivé encore: un gros bouquin a fait semblant de descendre du haut de son rayon et s’est laissé tomber sur ma tête. Voilà quelle bosse il m’a faite! Tu crois que c’est tout? Eh bien non! Un livre m’a offensé en affirmant que je ne sais pas lire et alors je n’ai pas le droit d’y toucher. Son titre? Attends, attends, … c’est le Monastère … ‚ - … de Parme”, complète maman. Après ce torrent de plaintes, Citise tut, fatigué. Madame Popi l’invita à table, à côté d’elle, lui offrant un doigt de champagne. Dans le salon il faisait chaud et le sapin brillait de toutes ses boules multicolores. Comme sous le signe magique de la baguette d’une fée tout devint merveilleux: les yeux de Citi s’emplirent de joie, le visage de sa mère s’illumina; même Tac - le chien rayonnait de bonheur. L’atmosphère vraiment magique fit s’ouvrir la porte du salon pour laisser y entrer Père Noël courbé sous le poids d’un sac plein de jouets. Il était un peu en retard mais il était arrivé enfin, ce bon Père Noël. Citi lui raconta l’histoire de tous ses malheurs et le Père sortit de son sac un gros paquet de livres dont les titres en lettres dorées et les pages veloutées invitaient à la lecture. Après avoir remercié Père Noël, Citi alla droit dans sa chambre et ouvrit le premier livre. Un murmure d’enthousiasme se fit entendre au salon: „Enfin! On a peine à croire! Mais qu’est-il arrivé? C’étaient les livres qui s’étonnaient du courage de Citi de commencer à lire. Et la rumeur ne cessa qu’au moment où Citi ferma son livre avant d’éteindre la lampe de chevet. Après les vacances, le jour de la rentrée, la rue était bondée d’enfants; tous emmitouflés dans les manteaux tricotés par Buna. Citi portait lui aussi un pull neuf mais sa vraie fierté était d’avoir fait la première véritable lecture de sa vie. Traduction faite par Coroiu Simona |
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