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La belle et l\'ara bleu
prose [ ]
(Conte)

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par [Automnale ]

2009-07-26  |     | 



Personne ne connaissait la raison pour laquelle Larissa était arrivée dans le village. C’était alors une toute jeune fille, belle comme une madone, douce comme la mousse des bois. C’est l’oiselier de la rue du Bateau Ivre qui, sortant ses cages de canaris, de bengalis, de rossignols du Japon, de grenadiers, l’avait remarquée. Elle contemplait Georges, l’ara bleu, subjugué. C’est d’ailleurs le silence inhabituel du psittacidé qui avait attiré l’attention de l’oiselier. Ce dernier avait-il besoin, ce jour-là, d’aide pour étiqueter les sacs de grains, les biscuits vitaminés, les branches de millet ? Toujours est-il que, quelques saisons des amours plus tard, Larissa était toujours là. On la voyait rêvassant derrière la caisse enregistreuse de la boutique ou errant au bord du canal. Elle aimait la poésie des péniches fleuries glissant au fil de l’eau. Lorsque l’éclusière tardait, les mariniers se faisaient alors un plaisir de jouer, en l’honneur de la belle aux cheveux pain d’épices, un petit air d’harmonica ou d’accordéon. D’autres, sautant sur la berge, offraient à Larissa un bouquet de marguerites ou de menthe sauvage, un trèfle à quatre feuilles, un mot parfois, simplement calligraphié sur un galet blanc. Ainsi passait la vie au rythme des péniches, des mariniers et du bon vouloir d’une éclusière.

- « Prends ton destin en main, petite », conseillait la vieille marchande de peaux de lapins à qui Larissa se confiait. En effet, il existe toujours, dans les villages, une marchande de peaux de lapins plutôt sale, aux doigts noueux, ramassant, ici et là, des brassées de bois verts. Celle-ci, un peu pythonisse, un peu sorcière, répondant à l’étrange prénom de Ficelle, connaissait toutes les plantes aphrodisiaques, tous les philtres magiques, mais, surtout, elle attachait une importance considérable à la liberté. Même si l’oiselier apprivoisait Larissa exactement de la façon dont il s’approchait de ses serins du Mozambique, même s’il l’appelait de tous les noms d’oiseaux les plus exotiques, Ficelle ne comprenait pas que l’on puisse garder en cage des êtres vivants avides de déployer leurs ailes dans le vaste monde. - « Larissa, tu ne peux rester avec un geôlier de la liberté », déclarait-elle haut et fort.

Il faut bien l’admettre, la jeune femme s’ennuyait un peu chez l’oiselier. Bien sûr, elle appréciait les oiseaux, leurs couleurs, leurs chants. Bien sûr, à leur contact, elle apprenait la géographie, les forêts d’hévéas, les jungles, les coutumes de Panama, de Java, de Sumatra. Et puis, il y avait Georges, l’ara bleu aux ailes facétieuses, qui la dévorait de ses yeux jaunes acidulés et lui tenait compagnie. Mais justement, d’une voix un peu trop aigue, perchée, guère musicale, il imitait l’oiselier, du matin au soir, répétant en boucle : « Ma colombe, embrasse-moi ». Lorsqu’elle en avait assez d’entendre toujours la même incantation, la même intonation, elle descendait la rue du Bateau Ivre jusqu’à l’échoppe « La turlutte ».

Jérôme, le patron de « La turlutte », follement épris de la belle Larissa, vendait des hameçons, des cannes à pêche, du petit plomb, des cuillers, des mouches, même des asticots. Il excellait pour comparer l’art de l’amour à l’art de la pêche. - « Tu ne sais jamais quel poisson tu vas attirer dans ton filet », plaisantait-il. A la floraison des lilas, il emmenait Larissa dans une pimpante barque verte, dont il repeignait plus souvent que nécessaire, en lettres dorées, le nom : « Valparaiso ». Tandis qu’il choisissait ses leurres les plus efficaces, agitait son moulinet, buvait une gorgée de la bouteille de muscadet qu’il sortait de sa musette, Larissa rêvait en effleurant les nénuphars en pleurs, en observant la fragilité des demoiselles aussi bleues que Georges. Naturellement, les mauvaises langues prétendaient avoir vu les tourtereaux allongés sur la berge. Même que le Jérôme, qui s’y connaissait mieux que quiconque en appâts, profitait de la peau d’abricot et de la douceur des noix de coco de Larissa. Etait-ce cela le bonheur ?

- « Mais non, ma belle », assurait la marchande de peaux de lapins. - « Tu ne peux tout de même pas t’amouracher d’un énergumène utilisant des leurres, des attrape-nigauds, faisant, ainsi, fi de la vérité ». En longeant le chemin de halage la ramenant vers Georges et l’oiselier, la jeune femme pensait qu’il était bien difficile de trouver la liberté et la vérité.

Heureusement, il restait la beauté. Comme il était joli le village avec sa petite église au carillon cristallin, ses pierres patinées par les caresses du soleil, le vieux lavoir ! Plus d’un peintre du dimanche l’avait immortalisé, avec ses péniches fleurant bon le géranium. Et les mariniers ! Où allaient-ils ? Pourquoi revenaient-ils ? Les propos de Ficelle trottaient, cependant, dans la tête de Larissa. Un matin que l’oiselier soignait délicatement les rémiges d'un inséparable masqué, elle murmura : «Veuillez me pardonner, mais je pars. J’emporte juste une cage en rotin, vide, en souvenir de Georges ». Elle disparut avec sa cage.

La première péniche fut la bonne. Le batelier, navré de la voir partir, la quitta à l’écluse « L’escale mystérieuse ». Elle se dirigea vers la grande ville dont elle apercevait, au loin, les fumées d’usines pactisant avec les nuages. Le chauffeur d’une camionnette grise l’interpella. - « Où voulez-vous aller ? », demanda-t-il en roulant des yeux de bille. Il convient de penser qu’elle appréciait les yeux de bille puisqu’elle se retrouva sur le sofa kitch de l’inconnu qui, poliment, se présenta. Il dirigeait une modeste entreprise de boules neigeuses, ces petites sphères que l’on secoue, juste pour le plaisir de voir tomber la neige. Hasard ou coïncidence ? La poudreuse tombait sur un ara bleu turquoise.

C’est ainsi que Larissa s’installa à la périphérie de cette ville dépourvue de charme, où la neige tombait, sans discontinuer, sur un ara factice prisonnier d’une boule de verre. A l’arrivée du solstice d’hiver, elle écrivit à Ficelle qui, par retour, lui répondit ceci : « N’oublie jamais que la beauté est l’âme du rêve. Si tu ne veux pas voir mourir ton rêve, évite d’emprisonner son âme, même dans une boule neigeuse ». En post-scriptum, elle ajoutait : « L’oiselier a enterré Georges au bord du canal ».


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