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Alice au Pays de Cosmogones
essai [ ]

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par [Reumond ]

2013-02-15  |     | 



Illustration : Les trois singeries, ne pas avoir, ne pas savoir, ne pas pouvoir.



Avant-propos

Comme les poètes, les Cosmogones se nourrissent de mythes vivants qu’ils étalent sur des tartines de rêves comme de la pure confiture de framboises.

Musiciens, graphistes, architectes ou danseurs à l’état brut, ils ne se contentent pas de créer, ils sont eux-mêmes l’œuvre de leur propre création, leur propre tube de matière brute et leur propre chaos dans un espace naissant à la vie et à la diversité.

Entre les univers de Lewis Carroll et de Jules Verne, dans les constellations de Méliès et les galaxies de l’imaginaire, les Cosmogones poussent sur des arbres cosmiques, tout comme ces mots qui naissent presque mûrs sur des lignes vierges à l’horizon des choses, afin de pouvoir raconter plus tard des histoires aux enfants tristes ou angoissés.

Les Cosmogones sont l’œuf de la poule et les coqs de l’œuf, le jaune et le blanc, le vide et le plein ; ils sont leurs propres scénarios de vie, comme une conscience qui serait originelle et planerait à la force de ses plumes sur la surface des encres.

Tel l’épris qui croyait prendre, ils nous emportent, car ils sont à la source, à la Genèse des Mondes, comme je suis franco-belge et Européen par nécessité ; ils sont des pupilles de la nation Urania, des images morcelées des Univers fragmentés, des rejetons de la gnose et de la Kabbale, et comme Gaspard-Félix Tournachon, dit Nadar, ou Youri Gagarine, les premiers aéronautes et cosmonautes se soulent d’espaces et de fantastiques histoires.

Ils sont aussi leur propre feuille de papier brouillon, leur bouillon de culture, leurs propres pas de traverse. Ils s’écrivent et se disent comme les traits de caractère d’un grand atlas imaginaire, peuplé de mille continents intérieurs ; ils sont leur propre glaise et leur pellicule dans la lumière et dans l’ombre des chambres obscures, on l’on fixe à tout jamais les chroniques révélées au fil des jours de la mémoire ; comme J. R. R. Tolkien et C. S. Lewis, ils sont légendes et constructeurs de leur propre Univers qui est aussi le nôtre.

Alors que le métronome de Méliès marque le temps de pose, de son côté, Carroll joue avec les paradoxes et les métaphores. Quant à Vernes, il calcule :

Cinq semaines, vingt mille lieues, trois Russes plus trois Anglais, quatre-vingts jours et un capitaine de quinze ans ; cinq cents Millions et dix heures…,

Les pellicules, les feuilles griffonnées, les chiffres défilent comme des images, ou comme les numéros gagnants de mille billets de loterie pour d’impossibles voyages, voyages sans nom, sans famille, sans dessus et sans dessous ; parce qu’un voyage intérieur mène toujours plus loin et plus profondément que toute pérégrination extérieure au rêve.

Alors quel est le fil rouge tendu dans le labyrinthe du temps, à travers les espaces explorés par Jules Verne et par les visions d’un Georges Mélies ?

Quel est ce fil rouge entre ces créateurs de rêve et Tolkien, Lewis et Charles Lutwidge Dodgson, alias Lewis Carroll ?

C’est là que le fil rouge se tisse, c’est encore là que les Cosmogonies se déploient, qu’elles se plient et se déplient comme des rubans ou des figurines de papier chinois ; ce n’est pas chinois, la vie, c’est « ça » !

C’est cet appel intérieur de plus en plus personnel, un appel à créer du lien et du réel ; en cette vocation qui consiste à incarner jusqu’au bout de soi son propre chemin de vie, à bout de nerfs et de désir, entre l’os et le muscle, en suivant au fil des encres ses idées ; en accompagnant de l’œil ses intuitions, comme Raphaël accompagne Tobie (sur) dans un chemin vers lui-même, un chemin de vérité sur soi qui n’est rien d’autre qu’un labyrinthe de chair.

(…)


ALICE AU PAYS DES COSMOGONES



Certains en parlent avec un profond respect comme d’une perspective inversée; derrière les iconostases toutes dorées, on raconte même que les icônes sont des fenêtres ouvertes sur l’infini et sur l’éternité ; car « La fenêtre est la partie intelligente d’un mur » disait le poète et plasticien François Jacqmin.

Avec la porte, les fenêtres seraient peut-être les contingences les plus réelles de la maison tout entière !
Tout comme la psychologie souligne que la carte n’est pas le territoire, le Tao nous enseigne que la maison n’est pas le mur, mais le vide; il y a d’ailleurs entre l’atlas et le terroir, le même vide qu’entre les murs et la maison, des ailleurs, des espaces pouvant être habités par une présence vivante.

(…)


L'iconostase est comme la chambre noire du photographe, un lieu de révélation.

Les différents histogrammes de mes cris et de mes traits de caractère le disent : la seule porte vers soi est à l’intérieur de soi-même ! Mais, pauvre de nous, le monde des apparences et des croyances ferme les verrous, ou bien il nous éloigne des portes et fenêtres, ils nous distraient de cela (de ça) et dans ce trop-plein, le sens du vide nous échappe !

L'au-delà du miroir chez Alice, ou les tableaux dans les tableaux dans l’œuvre de Magritte, tout comme le caractère chinois « Jian » en témoigne ; mais que se passe-t-il derrière la vitre, entre l’ici et l’ailleurs, entre maintenant, hier et demain, entre le visible et l’invisible, entre la présence et absence… ?

Quand est-il en vérité au-deçà, comme bien au-delà des illusions, des évidences trompeuses comme des apparences tronqueuses ?

Hors de notre cage dorée, de nos habitudes, de nos canons et cadres données, l’intérieur comme l’extérieur semblent pareillement nous faire peur, mais plus encore l’intériorité et le vide !

(…)

En chinois, Jian 间 et son radical 门 signifient "Entre", parmi, dans un délai déterminé ou dans l'espace; ils désignent la section d'une pièce ou un espace latéral entre deux paires de piliers…; ce caractère sert entre autres à composer le temps et la période de temps, mais aussi l’espace, l’intervalle; l’écart; la chambre ou le compartiment. Là où entre les portes et les fenêtres, comme entre les ports et les horizons, le Chi passe, comme l’information traverse la matière.

Toujours en chinois, la clé (nº 169) de caractères, jia gu wen, dit la porte à double vantail, quant à la porte simple (clé nº 63) elle signifie « entendre » c’est le pictogramme Wen, car on entend entre les cloisons le cœur battre, comme on entend d’un côté des portes les moins calfeutrées ce qui se passe de l’autre côté, grâce au Yin (bruit/son) qui perce les portes comme le cœur perce le voir et sait entendre au-delà de la raison. Men, c’est une porte à double vantail (telles ces portes battantes de saloon dans les vieux clichés de western).

Car l’homme Men est lui aussi une structure à double battant : intérieur et extérieur. Au-delà des miroirs, des apparences, du tableau dans le tableau … quelle réalité pouvons-nous entrevoir ? Que savons-nous de l’autre côté, de l’ailleurs, de l’au-delà ? Et la femme alors ! La femme serait-elle l’autre côté (la côte) de l’homme comme le souligne le livre de la Genèse ? (…)

Dans l’Un c’est l’unité primordiale qui prime, car dans la réalité de la réalité, au cœur du principe, au commencement du commencement, il y avait la grande Unité, La Voie, c’est-à-dire une Unité entre les extrêmes, les opposés, dans la terre du milieu, le vide médian, l’anti dualité même.

(…)

Entre le Ciel intérieur et la Terre extérieure, il y avait un juste compromis, et ainsi de leurs échanges, il y eu une transformation d’où sont nés tous les êtres, toutes les formes (Gu Wen), c’est-à-dire tout ce qui est existe dans le visible et l’invisible présent dans le Cosmos, tout ce qui procède du Logos et des mots.

Yi, l’Un ou l’Unité première marque l’horizon entre l’un et l’autre, entre l’ici et l’ailleurs… comme un seul et unique trait de pinceau horizontal.

Du Ru(t) pénétrer, la vie s’organise, elle est clémente et la rencontre entre l’espace et le temps, Jian est Providence, ouverture dans le conflit, possibilité et alternative entre Nu la femme et Ren l’homme, là où vient Zi l’enfant pour ouvrir les huis (Hu : porte) et les fenêtres closes, et accéder ainsi à plus de réalité. Car la femme est une clé pour l’homme générique.

(…)

Ne pas savoir, ne pas avoir, ne pas pouvoir.

"Concupiscentiam vel fomitem", disait-on; de cette "concupiscence" qui relève d'un terme propre à la théologie chrétienne. Elle tente de désigner les penchants à jouir des biens terrestres ou, de manière plus générale, le désir des sens, la concupiscence est ainsi assimilée au péché de chair.

La concupiscence, quelle singerie ! Quelle triste expression ! Quel laid mot pour dire ce qui est pourtant gravé naturellement comme une écriture sigillaire au plus profond de nos chairs de bête, et dans toutes nos cellules de mammifères depuis la nuit des écailles.

L’iguane lui-même n’est pas ignare de ce qui le pousse à agir, à fuir, à mordre..., pourtant il est ce qu'il est !

Sur les rotatives de l’Éden le reptile de la Genèse à bien mauvaise presse; pourtant, foi de primate à moitié éveillé, rapacité et don de soi cohabite, c’est ainsi depuis que l’oblation et la captation se logent sous le même cerveau, dans la même carapace, bien trop animale pour être déjà humaine...

Le délit, c’est le déni plus ou moins partiel ou total du désir de l’autre ; pour chacun de nous, le défi consiste justement à trouver ensemble cette terre promise, ce pays de l’entente où coule comme le lait et le miel, la vie. C'est ce vide médian, que l’on peut dire « sain » ou « saint », ce « Bon Lieu » qui est déplié comme un sein de femme, là où « je » et « tu » peuvent ensemble délier les « On », les « Nous » et le « Moi-je » détestables, pour ouvrir des portes qui donnent sur nos jardins infinis.

C’est une terre fragile et bien vulnérable que cette « Terre du milieu », si l’on désire d’un désir commun gommer l’individualisme qui s’oppose à notre propre individualisation ; c’est un milieu bien vulnérable que ce pays ordinaire entre toi et moi, si l’on veut d’une envie conjointe s’opposer à ce collectivisme qui suppose toujours la mort de quelqu’un ou de quelque chose.

C’est ainsi que la tradition chrétienne nous présente le Verbe et son Esprit comme des « Médiateurs » par qui tout devient possible. À force d’entendre le dialogue, dans la médiation les murs qui ont des oreilles tombent les uns après les autres, pour faire place nette à des fenêtres ouvertes sur la vie, et sur les tables rases de vieux conflits, préparer les agapes nappées d’une pleine espérance.

Mieux que n’importe quel musée de l’Hexagone, l’imagerie médicale nous en dit davantage sur toutes nos représentations des hommes et des dieux, et les neurosciences nous en disent plus sur Dieu que tous les sermons et livres de théologie qui ne sont, en somme, et selon les propres dires de Thomas d’Aquin, que « de la paille » !

(...)

Matière blanche et matière grise, comme l’encre suintante sur le papier cru, racontent notre histoire commune avec le règne du vivant. Tout est déjà dit ! Notre cerveau saurien ne sait rien de la théorie des cordes, mais ce qui reste de nos écailles porte jusqu’à l’os la mémoire reptilienne de nos origines sur Terre.

Le ligament vibrant du désir comme corde de violon, la pulsion même de vie qui traverse nos moelles humides et nos muqueuses généreuses ; le désir de survivre coûte que coûte aux évènements les plus terribles, est plus encore les appétits divers, comme l’appétence pour l’air, le désir de faire corps avec l’autre et le monde, de manger la chair pour être chair… oui, tout cela comme l'amour et la haine est inscrit profondément en nous ; c’est écrit au cœur de la substance ou dans la bible même de la matière, recto verso, de chapitre en muscle, et aux versets mêmes des nerfs tendus comme des cordes d'instrument.

Comme l’humain en lui-même, le divin est toujours une virtualité, une tension, une attention et une grande intention de l’être pour l'autre, tendu vers le sommet de quelque hyperbole dorée; c’est un jeu de verbe, des métaphores, des analogies, des mots lancés à la commissure du sacré, entre les lèvres de la vie d’ici maintenant et celles d’un au-delà des choses. Oui, la pulsion de vie est partout présente et présence.

Pour survivre, l’altérité et la solidarité sont déjà inscrites en capitale et majuscule dans l’os à moelle. Nulle morale, nulle religion officielle ici, mais une éthique et une religiosité presque naturelle que les institutions depuis toujours instrumentalisent !

Notre mémoire à court terme, nos dénégations systématiques, nos images et schémas rigides et stéréotypés sur tout, trouvent là leur origine, leurs fonctions et leurs organes. Parole de bête, nous sommes des amygdaliens, assujettis à l'agressivité, à la défense de nos intérêts, aux préoccupations de territoire…, tout comme nous sommes asservis aux rituels rassurants de la tribu, asservis aux cadres de la condition sociale et culturelle, astreints aux calendriers et itinéraires bien fixés à l'avance, enchaînés au clan, aux cris, aux tabous, au totem et aux cérémonies et cérémonials fixés par quelques chefs de la meute des bêtes humaines.

Cet instinct de conservation poussé au-delà même de la mort physique, ces instincts de base à la source de l’espérance, ces comportements primitifs qui nous font croire et chercher, répondent à nos besoins fondamentaux. L’arbre d’Éden ne serait-il qu’une métaphore de notre propre système nerveux, un dessin de notre tronc cérébral et de ses racines qui se perdent dans nos arbres généalogiques ? Et quand est-il vraiment de cette « concupiscence » et de ces mots susurrés par le serpent dans le jardin d’Éden ?

(…)

Alice au Pays des Cosmogones - essai - (extraits)

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