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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2004-11-12 | | Claude Vigée Kippour : La confiance dans l’abîme Le Yom Kippour, fête des Expiations, Jour du Grand Pardon, ne nous propose pas une liturgie d'ordre magique, grâce à laquelle nous serions soudain délivrés comme par miracle de nos mauvaises actions, de nos manquements à l'égard de Dieu et d'autrui, ou de nos penchants criminels. Le pardon n'est pas gratuit. Il doit se mériter par un repentir sincère, sans lequel les cérémonies d'expiation ou de confession collectives rituelles resteraient une comédie dérisoire, frisant le blasphème. Pour beaucoup de Juifs assimilés ou indifférents, qui ne mettent jamais les pieds dans la synagogue au cours de l’année, le Qol Nidrei reste sacré, même s’il quittent l’office du soir de Yom Kippour aussitôt après. Plutôt que les « Juifs de Kippour » il faudrait les appeler les « Juifs de Qol Nidrei ». D'ailleurs la plupart d'entre eux viennent écouter religieusement cette mélopée ancéstrale sans trop savoir pourquoi, vu leur ignorance totale de l'hébreu comme de l'araméen !... Pourtant, même chez certains agnostiques, l'écoute du Qol Nidrei a joué un rôle déterminant dans la conversion de leur cœur, et le retour soudain vers leurs racines spirituelles. Souvenons-nous du cas du grand compositeur Arnold Schönberg, et surtout de celui du philosophe judéo-allemand Franz Rosenzweig qui était, dans sa jeunesse, au bord de l'apostasie et de sa conversion au christianisme environnant. Revenant boire ce soir-là , pour la dernière fois, à la source hébraïque originale de la Torah, tout-à -coup il a "refait son âme" : il est devenu le plus important philosophe juif de sa génération, parce qu'il a entendu cantiler in extremis le Qol Nidrei de ses pères à la synagogue de Berlin, la veille de son baptême. Cette brusque illumination imprévisible nous rappelle la révélation faite à Paul Claudel sous les voûtes du chœur de Notre-Dame de Paris vers 1886. C'est une expérience inattendue, foudroyante, une conversion au sens littéral du terme : le renversement total de l’être intérieur. Souvenirs ineffaçables de Yom Kippour à Jérusalem... Dès l'approche du soir de la fête, la circulation intense s'arrête, comme par un coup de baguette magique. Les voitures interdites cèdent la chaussée obscurcie à des bandes d'enfants qui dévalent les rues en pente de la ville sainte en bicyclette, en rollers ou en trottinettes. Jouant aux billes, à la marelle, sautant à la corde en pleine rue dans les quartiers anciens, désertés depuis une éternité par les bus et les autos des « jours de sable » profanes, petits garçons et fillettes en habits de fête peuplent seuls, tout au long de la journée de jeûne, la cité plongée, muette, dans la torpeur solaire du début de l'automne judéen. Parfois un vieillard couvert d'un talith, vêtu de sa tunique mortuaire blanche comme la robe des anges, et chaussé de simples sandales de tennis en toile, se glisse sans bruit vers l’entrée voûtée d’un oratoire familier d’où s’échappe confusément le bourdonnement de la prière interminable. Silence étouffé de la ville sous le jeûne, qui poursuit son rêve trimillénaire, dans l'aveuglement de l'après-midi torride. Chants et murmures assourdis entourent d'une lueur diffuse les maisons de prière aux fenêtres béantes. Dans ma propre enfance à Bischwiller en Alsace, les grands ancêtres, enveloppés, eux aussi, dans de vastes châles de prière en laine clair rayée de noir, arrivaient tôt le matin à la synagogue de la rue des Menuisiers, engoncés dans une longue tunique de lin recouverte d'un surplis à dentelles étroit, tissé de fil immaculé, comme en portent sans nul doute les chérubins du Paradis. C’était leurs kittel ou sarguenès (suaire), le vêtement traditionnel des défunts en Israël. Rien ne me surprenait autant, à dix ans, que la procession de ces vieux juifs en robes d'enterrement angéliques, qui s'avançaient à travers les ruelles encore vides de notre petite ville. Ils priaient ainsi dans notre modeste synagogue campagnarde, debout l’un à côté de l'autre, accoutrés dans le linceul qui les enserrerait bientôt pour l'éternité noire au fond de leur tombeau, là -bas, derrière le Saut-du-Lièvre, à la lisière de la forêt. En attendant la résurrection promise par le prophète Ezéchiel, il leur importait de jeûner sans faillir un seul instant. Mieux valait pour eux prier ici-bas avec ferveur en sarguenès, dans une langue sainte dont ils ne comprenaient que les profonds rythmes chtoniens, et les mélodies de toujours, mais pouvoir encore compter, grâce à Dieu, parmi les vivants de passage... S'ils ne saisissaient pas le sens obvie des versets hébreux, ils étaient profondément absorbés dans leur psalmodie ashkénaze séculaire, qui les ravissait en extase. Entre les hymnes chantés à tue-tête, la synagogue était remplie de murmures et de nasillements obscurs. Au beau milieu du jour de Kippour, on célèbre le Moussaf, l'office « ajouté » à l'ordinaire quotidien, où l'assemblée rejoue la cérémonie centrale jadis instituée au Temple de Jérusalem, telle qu'elle est décrite dans tous ses détails par le Talmud. A cette heure-là , le Grand-Prêtre descendant d'Aaron, vêtu de ses ornements sacerdotaux, pénétrait seul dans le Saint des Saints du Temple pour y clamer à haute voix le Nom indicible du Dieu vivant, qu'entendait résonner à travers les parvis à ciel ouvert du vaste sanctuaire le peuple d'Israël affamé, tout entier prosterné, le front contre la terre. Le rite qui m'a le plus marqué dès mon enfance, quand j'étais encore un jeune Bar-Mitsva en culottes courtes, avant la seconde guerre mondiale, à Bischwiller, c’était la quadruple prosternation de la communauté entière, en fin de matinée, juste avant le Moussaf de Kippour. On pratique aujourd'hui encore, comme jadis, en Alsace, une prostration de tout le corps, étendu sur les dalles de grès roux usées de la petite synagogue rurale d'autrefois. La pâleur, les yeux cernés des suppliants assoiffés, affaiblis par un jeûne prolongé, aggravaient, si besoin en était, l'atmosphère étrange et dramatique du rite pénitentiel primitif. Même dans ma vieillesse, ce spectacle m'arrache parfois encore des larmes. Dans cette humiliation volontaire de tout un people, classes sociales confondues ; chacun de nous, qui se croit si important à ses propres yeux, à ceux de ses proches, ou aux regards indifférents des étrangers, s'annule et se rabaisse au niveau de la poussière du sol dont il fut tiré, à laquelle il retournera en peu de temps. Dans cet effacement de son respectable personnage mondain, il peut puiser paradoxalement une force extraordinaire. Celle-ci naît moins de la simple contrition, de la confession publique expiatoire, que du retour à l’unité inter-personnelle. Cette dernière scelle la réconciliation redevenue possible entre vivants de toute une communauté, souvent fissurée par des ambitions rivales, les jalousies, les haines, la vanité sans bornes de ses membres trop humains... A ce moment-là , les vieillards qui vont bientôt mourir, les jeunes hommes à peine mariés, les pères de famille dans la force de l'âge déjà bedonnants ou grisonnants, les enfants remuants et les dames noblement ensabbatées, là -haut, dans la galerie des femmes qui leur est réservée derrière les rideaux de dentelles, les humbles, les riches, les pauvres, tous s'inclinent et s'allongent jusqu'à terre, se rejoignant à travers les générations dans la suspension de leur moi séparé. Ainsi peuvent-ils retrouver le temps d'un éclair inoubliable leur âme incréée, qui échappe brièvement aux contingences dont elle restera prisonnière ici-bas le restant de leur vie terrestre. La communauté originelle d'Israël lors de l'épiphanie au mont Sinaï s'est soudain reconstituée dans l'intériorité charnelle de chaque célébrant, une et vivante comme la première fois, peut-être… En même temps peut s'effectuer, dans la soumission illimitée de cet instant blanc, où nous devenons presque invisibles à nous-mêmes et aux autres, la communication intime avec la toute-puissance de la miséricorde divine, qui nous a pour ainsi dire projetés consentants vers le sol commun à tous les fils d’Adam. Sa bonté graciante est un moment rejointe dans notre propre abaissement. Dans la mesure où elle s’est soudain abolie dans la contemplation, sans temps ni figures, la conscience individuelle en état d’effacement oblatif réussit parfois à faire le grand bond intérieur, qui la délivre enfin de la pesanteur du monde présent où nous vivons notre existence entière. Alors se produit virtuellement en nous une sorte de nouvelle naissance. « Tit'hadeshou » (Soyez renouvelés), tel est le vœu que l'on adresse traditionnellement à ses proches et à ses amis, à la fin de la grande convocation religieuse d'automne. Souvent cette épreuve secrète a fait monter à mes yeux des pleurs irrépressibles: mais ce sont là de bonnes larmes, des larmes d'exaltation joyeuses, plutôt que celles, amères et stériles, qui naîtraient seulement de la rumination douloureuse du mal humain ou du remords éternel. Dans l'humilité retrouvée de cette expérience qui embrasse tout notre être, âme et chair liées, se révèle, à ceux qui l'écoutent et l'attendent, le rayonnement rédempteur de l'Aleph invisible. Ainsi toute âme humaine devient tout à coup un espace d'intimité ouverte, un humble réceptacle de la beauté du monde. J’ai connu, moi aussi, la joie de cette prosternation totale, à la fois descente et montée, précipitation sans arrière-pensée égocentrique, vers le lieu mental situé, au plus près de soi, dans l'extrême distance, le cœur de feu excentré par rapport à mon être que limite sa finitude de simple créature. Là , on est arrivé en même temps au plus lointain et au plus proche de soi-même. Sur la pierre usée du tréfonds, où le corps animé ne peut tomber plus bas, tant qu'on est encore dans le monde des vivants qui respirent et qui parlent, se situe le seul roc de la sûreté véritable: là est le lieu bienveillant de la toute-confiance. L'homme restauré du Moussaf de Kippour s'enfonce volontairement au plus profond de son être. S'offrant dans cette nuit à la lumière secrète émanée de l'Aleph souterrain, il refuse, en se redressant, la résignation fatale. Touché au plus vif de soi par ce rayon tout intérieur, il sait que demain il se relèvera intact d'entre les morts-vivants de la terre, comme il est écrit à la fin des Lamentations du prophète Jérémie: « Fais-nous revenir vers toi, et nous retournerons. Renouvelle nos jours comme à l'aube du monde » (Lamentations 4:21). A Jérusalem la lumière semble jaillir de la pierre des murailles elle-même. L'air feuilleté vibre de chaleur, comme les couches superposées du mica. Au cœur vacant des choses, le silence bat lentement, traversé par un frémissement secret, dans l'attente d'un événement inouï. En sortant à la mi-journée de l'office de Moussaf, je connais soudain, avec un éblouissement de tout mon corps, cette joie dans le tremblement qu’évoque le Psaume 2 (11-12). Après l'ultime prosternation rituelle, et cette marche solitaire en plein soleil de deux heures dans la rue Radak dépeuplée, dans cet entre-temps indicible, je. me sens comblé d'un savoir nouveau et durable. Une énergie-mère m'envahit, qui dépasse en l'engendrant peut-être, toute mon existence future. J’éprouve dans mon esprit et dans ma chair le flux qui les emporte au-delà . Au bout de. notre rue étroite, les roses de septembre sont toujours en fleur sur la petite place blanche et muette. Leur feu m'accueille dans ce court passage mortel, au-delà de tout entendement. Claude Vigée Jérusalem 2000 - Paris 2003 LA DESCENTE DES CORPS (Yom Kipour 5752) Quand je serai couché le front contre la pierre demain sur les dalles de la maison de prière où nous nous prosternons le corps dans la poussière depuis trente-deux ans et quelques millénaires ce matin dans Jérusalem encore noire de lumière, je saurai une fois de plus ce que pèsent sur ma nuque les nuages profonds du début de l'automne et quelle force de surrection s'amasse au fond du cœur pour jaillir au-dehors comme un palmier en plein désert: source d'eau vive qui chante sur un lac de lumière colonne de rosée affûtée contre le vent de l'aube – souille debout qui nous délivre et qui fait rire en nous l'enfant de jadis, le petit être venu de la nuit, marchant à travers le feu sur le sentier invisible vers son lieu de légèreté qui est toujours maintenant comme à l'heure de ma mort dansée sous le feuillage; la liturgie d'ailes rouge et sombre des oiseaux de passage déchire d'un seul jet les nuées de l'orage, nos mains tendues d'aveugles tâtonnent en plein ciel sans poser de questions ni de conditions vaines: elles se rempliront de manne en cours de route elles scintilleront de rosée et d'étoiles lorsque nous serons devenus chacun le prochain de son propre corps et de celui des autres, dans le retournement simple et miraculeux de l'exil en présence, même en mourant de soif dans l'attente du jour musique soutenue à travers le silence, les yeux remplis de larmes à l'approche du père et, dans notre abandon, délivrés du désir : l'humilité nous porte plus haut que les étoiles, au cœur bleu de l'abîme. |
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