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Poezii Românesti - Romanian Poetry

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De l\'amour des langues à la poésie
communautés [ écrivains israéliens d`expression francaise ]
ENTRETIEN D’ESTHER ORNER AVEC MARLENA BRAESTER

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par [marlena ]

2006-11-01  |     | 



E.O. : La diversité des langues dans lesquelles tu écris et tu traduis, me semble phénoménale. Pourrais-tu décrire ton parcours linguistique et aussi ce que tu ressens par rapport à chacune de tes langues d’expression (le roumain, le français, l’hébreu et peut-être l’anglais …) ?

M.B. : Un amour inconditionné pour le roumain, comme pour tes parents, comme pour ton berceau; un amour direct, mais à (un) second degré pour le français, (langue apprise très tôt) au sens d'une distanciation très faste ou d'une sensibilité qui s'est créée d'un jour à l'autre, d'un mot à l'autre, d'une page à l'autre; au point qu'un jour je suis devenue linguiste afin de fixer, peut-être, en moi les lignes de force de la langue qui me permette ensuite l'envol vers la poésie. Un amour de l'hébreu pour son histoire; notre histoire. Adoptée? Oui, par le français mais aussi par l'hébreu qui fait le contrepoids – dans une tout autre zone linguistique -- des langues romanes ; relation plutôt froide et spécialisée avec l'anglais – technique surtout (la langue de la science et de la technologie) que j'enseigne. Dé-centrée par le langage pluriel? Non, je me sens plutôt gâtée par la pluralité linguistique, ma curiosité concernant tous les possibles du dit et du dire n'étant jamais satisfaite. D'ailleurs, je suppose qu'il doit y avoir une continuité sous-terraine entre mon intérêt pour les langues et l'écriture, la poésie. De toute manière nous écrivons en présence des autres langues.

E.O. : Quels sont tes maîtres en poésie ? Je ne parle pas d’influence, on en est rarement conscient, mais plutôt de famille d’esprit.

M.B. : Surtout l'avant-garde française et roumaine – tellement liées l'une à l'autre - du début du XXème. Je suis plus ou moins consciemment marquée par des auteurs sur lesquels j'ai travaillé (maîtrise et doctorat) comme Artaud - pour une poésie dans l'espace, Eluard - pour une poésie ininterrompue par moments, Celan - pour sa densité abstraite, les surréalistes dissidents du surréalisme, ou en marge du courant …
A la recherche du lieu du poème, j'ai découvert la "poésie dans l'espace" qui est l'image, chez Artaud, d'une poésie totale, dans le sens d'une énorme scène abstraite et concrète à la fois - comme dans le théâtre balinais - où "se joue" la poésie à l'aide de paroles, de mouvements, de regards, de sons, de gestes et du silence, beaucoup de silence. Ne pas utiliser le langage, mais le provoquer, interroger ses limites les plus enfouies, les plus lointaines, c'est le travail de la poésie.
Quant à Celan, il me semble qu'il dépasse les courants, il survole son temps, son "méridien" réunit espace et temps après un détour par l'altérité, tout en descendant vers des profondeurs de sens inatteignables. J'ai été évidemment très attentive à l'avant-garde roumaine (devenue très vite "française"), Benjamin Fondane, Tristan Tzara, Ilarie Voronca, Gherasim Luca.

E.O. : Les titres de tes recueils de poésie sont énigmatiques; serais-tu d'accord de nous en dévoiler le secret ?

M.B. : Eh bien, c'est plutôt une descente dans les mots, dans leurs profondeurs, non seulement étymologiques comme c'est le cas de Absens, mais synchroniquement aussi, comme La Voix, Elle, où c'est la langue qui m'a offert l'ouverture heureuse sur de multiples sens: le rayonnement de la voyelle dans la voix, à partir de la voix.
Ab-sens, avait attiré mon attention au delà de absence, avec toutes les significations de la préposition latine ab- et françaises de sens; ce mot recomposé me faisait rêver, car ab - réunit temps et espace: non seulement point de départ, origine, commencement, mais aussi la provenance, la cause, la distance, l'éloignement et la séparation qui s'ajoutent au sens temporel: le moment de départ et l'immédiateté. Alors cette préposition a dit à ma place énormément de choses; et je l'ai laissée dire en proximité de "sens".
Les mots m'arrêtent souvent, il est vrai, et ces exercices de réflexion à partir des mots me font découvrir la richesse des choses. Quant à Oublier en avant, c'est tout simplement l'image qui s'est formée en moi de la mémoire en tant qu'érosion.
La lumière et ses ombres, avec l'accent mis sur le possessif ses, est né des ombres du précédent; car il y a des moments où tout me semble ironiquement décalé; la part d'ombre au plus haut du jour, c'est peut-être l'une des leçons du désert.

E.O. : Le désert tient effectivement une place très importante dans ta poésie, Oublier en avant lui est entièrement consacré. D’où te vient cette nécessité d’en parler, est-ce la proximité de ce lieu dans lequel nous vivons ou s’agit-il aussi d’un autre désert celui de la parole?

M.B. : Avant tout c'est un besoin de taire et de faire taire les choses dans le désert, mais en même temps je devais attirer l'attention sur ce besoin, alors comment le faire sans le dire? Si j'étais peintre ou danseuse, j'aurais eu la chance de dire les choses sans paroles, tellement elles me semblent abyssales. Car le désert se dit ou plutôt se peint avec du silence et des couleurs, paradoxalement beaucoup de couleurs. Ou des mouvements orchestrés par un silence apparent: celui que je devine comme complément de la parole: le poème.

E.O. : Oui, ce silence apparent qui accouche du poème me ramène à l’hébreu. Le désert en hébreu comme tu le sais c’est Midebar, dont la racine D.B.R en font le lieu de la parole par excellence et c’est tout à fait intéressant de voir que tu vas dans ce sens. Ta parole prend naissance dans ce lieu vide et plein à la fois.

M.B. : Quand tu scrutes l'intimité des choses, il y a du désert partout: c'est la résonance de ce qui est dit dans toute chose, la perspective, l'éloignement, l'équilibre dont la parole a besoin pour rester "debout". Par le poème on scrute l'intérieur des mots.

E.O. : Tu as créé l'Association des écrivains israéliens d'expression française dont tu es la présidente. Comment est-ce que l'idée t'est venue? Que représente cette association pour toi ?

M.B. : Il y a eu des essais avant moi. Puis, en 1999, je me suis lancée dans une aventure: j'ai organise une rencontre poétique en Israël sur le plan de la francophonie; en entraînant avec moi les poètes francophones que je connaissais à l'époque, mais sans aucune structure derrière moi, j'ai simplement fait le va-et-vient entre les services culturels de l'Ambassade de France et de l'Ambassade de Belgique en Israël et Le Ministère des Affaires Etrangères à Jérusalem pour activer les accords culturels internationaux. Cela a marché, mais je me suis rendue compte que si nous étions constitués en tant que groupe reconnu, tout aurait été plus facile. J'ai commencé à contacter les écrivains qui semblaient aimer l'idée et en décembre 2000, avec l'aide de l'Union des Ecrivains Israéliens, nous nous sommes formellement constitués en tant qu'association aux côtés des treize autres associations de diverses langues.

E.O. : Tu as eu l’idée de Continuum, tu publies certains de tes poèmes, tes traductions dans des revues. Que représente pour toi la revue en général qui somme toute est souvent confidentielle ?

M.B. : Une revue est comme un miroir brisé: chaque éclat rend un reflet qui doit se suffire puisque le lecteur est devant ce kaléidoscope et c'est tout ce qu'il a pour construire une image, des images.
Continuum est une revue dont la francophonie israélienne avait besoin pour faire entendre des voix poétiques qui s'expriment ici-maintenant. L'effort que nous faisons - tu le sais très bien puisqu'on est dans le même Comité de rédaction - pour ne pas céder à l'amateurisme est essentiel. Garder un bon niveau des publications, tout en reflétant une écriture doublement enracinée - dans la langue française, mais aussi dans la réalité israélienne - n'est pas une tâche facile. Je travaille aussi dans le cadre du Centre de Recherches sur la Poésie francophone contemporaine à l'Université de Haïfa, qui publie une revue de recherche: Poésie et Art. Cette revue m’importe pour les liens qu'elle établit avec les poètes français ainsi qu'avec les différentes francophonies dans le monde; et aussi pour le travail de traduction de la poésie que sa publication implique – soit traduction des poètes français/francophones en hébreu, soit des poètes israéliens de langue hébraïque ou arabe en français. Le dialogue que nous proposons par l'intermédiaire de la traduction me semble vital.

E.O. : La traduction a-t-elle une incidence sur ton travail poétique et réciproquement?

M.B. : Certainement, car je traduis surtout de la poésie. A mon sens, le traducteur de poésie doit s'investir dans son travail. C'est une écriture oblique, une réfraction. La traduction de la poésie est la plus risquée de toutes, tout en nous gardant sans cesse en alerte imaginaire. J'avais commencé par des poèmes roumains de Benjamin Fondane. Puis, j'ai continué avec des poètes israéliens traduits en français ainsi que des poètes français ou belges traduits en hébreu.
Mais, en traduisant Amos Oz, par exemple, je me suis rendu compte à quel point la soi-disant prose peut être poétique.
J'envisage la traduction comme un révélateur des images et tu sais comme moi que parallèlement aux moments de frustration, il y a les moments exceptionnels où comme dans une photo, les images se révèlent dans une autre langue. Pour Celan, la traduction était devenue à un moment donné une obsession et il faudrait se demander quel est le rapport avec le choix de la langue d'écriture.

E.O. : Pourrais-tu nous parler de ton travail avec les poètes israéliens Ronny Someck et Raquel Chalfi que tu as traduits en français et qui te traduisent en hébreu ?

M.B. : Être traduit par un poète est une vraie chance. Le hasard a fait que mes poèmes et ceux de deux poètes importants pour la littérature israélienne moderne se rencontrent sur une fréquence poétique semblable, ce qui a permis un travail de traduction réciproque intéressant. C'est un travail complexe et passionnant: à travers leurs questions concernant mes poèmes, j'ai mieux compris leur écriture et réciproquement.
E.O. : Je voudrais te poser une question encore plus intime, à savoir quelle place l’écriture d’un poème tient-elle dans ta journée de vingt quatre heures (Comment naît le poème, le désir de l’écrire, comment il s’insère dans un recueil, « La routine » quoi !)

M.B. : Il y a d'abord un noyau d'image qui vient à n'importe quel moment, une sorte de fulguration qu'il faut saisir et la laisser "irradier", mais c'est surtout en marchant que des images surgissent, comme si le mouvement entraînait une sorte de décomposition/recomposition de la matière de la pensée, de la matière de la perception et de la matière du langage; il se peut qu'un travail lent de dislocation traverse la pensée qui traverse le sentiment qui traverse en fin de compte la langue.
Quant aux livres eux-mêmes, je peux dire que chacun de mes recueils est né du précédent, profondément enraciné dans un point précis, dans un éclat d'image; ou peut-être dans une image qui n'avait pas encore éclaté.

E.O. : Nous avons surtout parlé du passé et du présent. Quels sont tes projets littéraires et linguistiques ?

M.B. : Un recueil de poèmes intitulé Presque v'île, où se poursuit le fil intime de La lumière et ses ombres ; parallèlement, un livre sur la tentation du silence chez les poètes – silence à tous les degrés: du silence provisoire, apparent (les faux silences durant certaines périodes, comme, par exemple, les premières années en France de Benjamin Fondane, comme les cinq années qui ont précédé les Elégies de Rilke, ou le retour en Italie d'Ezra Pound, en passant - en négative - par les glossolalies d'Artaud, et jusqu'au geste extrême du suicide: Paul Celan, Ilarie Voronca, Gherasim Luca, Alejandra Pisarnik) ; un autre projet serait – pour revenir à mes passions linguistiques - un livre sur les mécanismes sémantiques de l'ironie.



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