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■ L'hiver
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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2010-02-05 | |
J’ai eu l’occasion de découvrir la peinture de Chagall lors d'une visite au musée de Nice, quand j’habitais le sud de la France. Il y avait là quelque chose que je ne savais pas nommer, mais qui s’est éclairci par la suite avec la découverte de ses poèmes. Il s’agit d’une matière poétique qui prend corps à l’aide d’un langage plastique. Cette matière demeure moins connue que son immense travail pictural.
André Breton avait souligné l’entrée de la métaphore dans la peinture du XX siècle avec la peinture de Chagall. Ces préocupations liées au rapprochement de ces deux arts (peinture et écriture) sont d’ailleurs un thème récurrent dans la pensée de certains écrivains comme Tristan Tzara. Pour lui, l’art d’un peintre comme Picasso rejoint celui des poètes tel Baudelaire, Rimbaud, Lautreamont, Apollinaire et les Surréalistes dans leurs but commun d’une « conciliation entre le rêve et l’action ». Son analyse l’amène à trouver des ressemblances entre ces deux arts dans « leurs raisons de s’unir à la racine d’un phénomène unique, celui de la vie »* , mais aussi des différences marquées par les techniques et les moyens d’expression particuliers à chaque art. On ne peut pas parler chez Chagall d'un désir de réconcilier la poésie et la peinture car les deux arts sont déjà naturellement harmonisés en lui. Ses poèmes, traduits par Philippe Jacottet avec le concours du peintre, témoignent ainsi de l’authenticité de son monde intérieur car sa poésie n'est qu'une autre facette du monde familier de ses peintures. En approfondissant son univers, le lecteur s’aperçoit aussi que l’hybridation d’où surgissent des êtres fantastiques mi bête – mi homme (très présents dans ses tableaux) peut s'appliquer à l’artiste mi peintre – mi poète. Sans doute cette hybridation n’est pas faite de proportions égales car Chagall demeure avant tout un peintre. Chagall a d'ailleurs la conscience de sa dualité : Dans la nuit quelqu'un dit Ne mêle pas mots et couleurs Fleurs et soleil L'âme derrière les nuages A peine éclaire, vole et fuit Qulqu'un dit N'attends pas trop de lumière Sur la route Tes larmes, tu les boiras seul Au bout du chemin (Derrière les nuages, pag 53) Les vers de Chagall sont, ainsi que ses peintures, abondamment imprégnés de couleurs chaudes et froides, de bleu et de rouge, de joie et de tristesse, d'angoisse et de tranquillité, d'ombre et de lumière ou, en reprenant ses propres mots, de « tache et de couleur ». La matière qu'il interroge, remodèle, se situe sur l'échelle de Jacob, entre ciel et terre, enfance et maturité, homme et Dieu, vie et mort . Le peintre est aussi présent dans sa poésie que le poète dans sa peinture, la peinture est aussi métaphorique que la poésie est visuelle, picturale. Sa poésie ne se nourrit pas d'elle-même mais d'une réalité que l'auteur passe par le filtre du ressenti. Le seuil entre le vécu et le reflet en paroles se traverse naturellement. Cependant, il ne faut pas tomber dans le piège de cette facilité qui marque l'enchaînement des vers, car elle n’est qu’apparente ; elle ressemble beaucoup aux gestes des accrobates (thème très présent dans la peinture de Chagall) qui font passer la force pour de la spontanéité. L'acte d'écrire lui fraie des voies multiples, qui rendent possibles le passage graduel d'un état d'âme à l'autre en partant de l'angoisse : Je me réveille dans le désespoir D'une journée nouvelle, de mes désirs Pas encore dessinés Pas encore frottés de couleurs. Je cours là haut Vers mes pinceaux séchés et tel le Christ je suis crucifié fixé avec des clous sur le chevalet (Si mon soleil, page 14) pour traverser ensuite l'espoir: J'attends qu'un miracle apparaisse Me rechauffe, chasse ma peur J'attends que de tous les cotés tu viennes à moi (Ma fiancee blanche, page 23) et accéder à l'apaisement qu'inspire l'univers de l'enfance passée à Vitebsk, ville russe si chère à l'auteur. Approche, blanc nuage Emporte-moi dans les hauteurs J'entends en bas sonner les cloches Et des maisons s'élève une fumée (vers la rive , page 24) On assiste à une simplification du language et à l'humanisation de l'espace : Là où se pressent des maisons courbées Là où monte le chemin du cimetière Là où coule un fleuve élargi Là j'ai revé ma vie (Comme un barbare, page 21) On entend sa voix qui prend des inflexions nostalgiques et douloureuses, qui évoquent le père : Toute une vie tu as peiné Et pleuré de tes mains Dans la chambre, silencieux Tu partageais le pain pour les enfants En héritage tu m'as laissé Ta vieille odeur dispersé Ton sourire m'a nourri Ta force est passé en moi (En héritage, page 28) ou la mère : Je voudrais embrassser l'herbe et ton sable Pleurer comme ta pierre (Dans ma mémoire, pag 37) On voit défiler des personnages populaires comme le rabin : Elle vole la tête du vieux rabin A ma rencontre et me salue (Elle vole, pag 39) On se sent porté par le poème comme dans un « fleuve élargi » ; Chagall nous entraîne , nous partage ses incertitudes, ses angoisses, ses interrogations: Chaque jour je me réveille seul Je vois au loin mes jours Ma main a-t-elle touché Dieu Je me suis éloigné A la croisée des routes Il est plus court le chant du rossignol Où suis je (Je me suis éloigné (page 59) Plus on avance, plus la voix de l'auteur s'efface pour parler avec « la voix du peuple », pour évoquer ses souffrances et pour rendre justice à ses rêves : Je voudrais exaucer ton rêve Montrer une autre vérité Prendre à ta lumière Mes couleurs (A terre, page 75) Mais le « je» ne s’efface que pour se confondre avec le peuple : Seul est mien le pays qui se trouve dans mon âme (Seul est mien, page 129) Les poèmes de Chagall vont de pair avec une simplification maximale de la syntaxe. Il n'y a que les virgules qui sont admises pour faciliter le sens. Elliptiques de leurs points d'interrogation, les questions sont formulées en boomerang et puisent ainsi leur réponse à l'intérieur. Sans intention de faire oeuvre poétique, comme le souligne Philippe Jacottet dans la préface du recueil, ses poèmes nous interpellent et, dans l'empire des doutes dont ils temoignent (Qu'est-ce que c'est, ma parole/ Quelqu'un a-t-il jamais changé la vie /Par sa parole), nous découpent ces rares instants où le non-dit se laisse nommer: La terre qui est sous mes pas Me porte jour et nuit Je tournoie entre mes ailes (Ma parole, page 106) Bibliographie: Marc Chagall, Poèmes, Cramer Editeur, Genève 1975 *Tristan Tzara ,Picasso et la poésie, dans Oeuvres complètes, tome 4, 1947-1963, Ed.Flammarion, p.384 |
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