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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2004-11-12 | |
Poète à la personnalité complexe et aux multiples facettes, dont l’identité sera marquée de façon irrémédiable par les drames de l’Histoire, Claude Vigée semble vivre son parcours existentiel et artistique en parfaite symbiose avec l’image du labyrinthe. Comme ce fut également le cas pour Jonas, figure biblique à laquelle il s’est identifié et à laquelle on l’a à plusieurs reprises comparé, il conçoit en effet sa mission comme une sorte de « descente aux enfers », comme une exploration de la partie la plus intime de son être, une avancée vers un noyau caché. La poésie vigéenne représente donc une sorte de pèlerinage initiatique, qui passe par différents stades, par des galeries inextricables et souvent trompeuses : il s’agit de l’« errance » menée dans le dédale de l’âme, du « forage dans le noir » qui précède la renaissance intérieure, de la descente dans le sanctuaire de la conscience où la sérénité perdue pourra être ressuscitée.
Clairement présent à tous les niveaux de l’aventure personnelle et poétique de l’écrivain, le thème labyrinthique est par conséquent repris par Vigée comme l’emblème capable de synthétiser tout le cheminement spirituel et littéraire entrepris. Transfiguration lyrique du voyage intime dont les vers les plus significatifs sont réunis dans anthologie Aux Portes du Labyrinthe, le dédale devient ainsi le fil conducteur de la vaste production vigéenne qui sera toujours, en filigrane, traversée par l’élément central de l’ancien mythe du Minotaure. Le chemin le long des sentiers aux circuits compliqués, auquel l’auteur associe ses vicissitudes humaines et poétiques, la pluralité idiomatique consécutive au « traumatisme linguistique » infantile ainsi que le bouleversement de l’exil vécu sans trêve dans trois continents différents, se transforme donc dans la métaphore des métaphores, dans l’image suprême capable d’englober la complexité d’une vie durement mise à l’épreuve. La construction poétique de Claude Vigée, qui pose clairement ses fondations sur l’icône du labyrinthe, trouve assurément son origine dans tout cet immense bagage d’opinions, de jugements, de considérations qui se sont succédé au cours du temps au sujet d’un tel symbole, en alimentant ainsi l’imaginaire qui lui est lié et en proposant continuellement de nouvelles interprétations originales. Thème qui accompagne depuis toujours la vie de l’homme, élément apparu dans de nombreuses cultures, à différentes époques et dans divers lieux de la terre, le labyrinthe a une longue histoire qui commence dès la période néolithique. En partant du récit mythique de Thésée, on se rend compte immédiatement que le labyrinthe, compris comme élément symbolique, est caractérisé par une versatilité extraordinaire, particularité qui lui permettra de prendre à la fois la signification de voyage mortel et de parcours initiatique, avec une double connotation de sacrifice et de renaissance. Chaque héros de l’aventure légendaire aura en effet par rapport au plan complexe et par rapport aux galeries tortueuses, un rôle qui pourrait en même temps l’identifier aux éléments cathartiques du salut (Thésée qui l’emporte sur le monstre) ou négatifs de la damnation (Minos qui transgresse les règles). L’ambiguïté du contenu pour cette aventure mythologique laisse de toute façon une place à la considération selon laquelle l’essence du labyrinthe, semble résider fondamentalement dans la volonté de circonscrire le Centre. But que le pèlerin désire ardemment atteindre mais qui lui échappera s’il ne s’en montre pas digne. Il s’agit donc de la représentation d’épreuves initiatiques, discriminatoires, précédant obligatoirement l’arrivée victorieuse au noyau caché. Un tel substrat de pensée, de toute évidence contrebalancé par le vif sentiment mystique qui fait coïncider le lieu sacré par excellence avec le cœur du labyrinthe, est transmis sans changement de la sphère culturelle de la Grèce classique au moyen âge chrétien. Avancer dans ce chemin plutôt dangereux fait d’impasses et de fausses pistes signifiera simuler une pénitence, un pèlerinage à accomplir dans la foi, dans l’espoir d’obtenir cette purification qui sera encore une fois identifiée avec l’arrivée au centre du dédale, où cependant la figure du Christ et non celle de Thésée se présentera à présent pour sauver l’âme de l’erreur et de la perdition. N’oublions pas non plus la fonction magique attribuée au labyrinthe par les alchimistes de la tradition cabalistique, qui reconnaissent dans la construction sous forme de dédale la métaphore même de la vie, dont les difficultés, les obstacles présents le long du chemin serviraient à rendre plus désirable l’arrivée au coeur où il sera possible d’éliminer tous les obstacles et de retrouver la lumière sans se perdre. Dans cette perspective, l’aller et le retour dans le labyrinthe seraient donc le symbole de la mort et de la résurrection spirituelle. L’immortalité vécue dans les profondeurs de l’être est du reste un des aspects du labyrinthe que l’idée mythologique avait déjà représenté avec la ligne en spirale : celle-ci est la séquence vie – mort – vie qui se répète. Invention chargée d’implications alchimiques, le dédale constitue un terrain extrêmement fertile sur lequel d’innombrables auteurs édifieront leurs œuvres. Dans ce contexte, une conception courante sera celle qui associe le labyrinthe au voyage conduisant à l’intérieur de soi, vers une sorte de sanctuaire caché où se trouve la partie la plus intime et mystérieuse de la personne humaine. La fascination presque hypnotique du labyrinthe, sa versatilité extrême et sa capacité de parler un langage qui attire plus que tout autre symbole, séduit Claude Vigée. Celui-ci fondera sa poésie et son écriture lyrique sur cet archétype. Connu pour son habileté à saisir le sens le plus haut, inaccessible et parfois occulte du réel environnant, l’écrivain décèle justement dans la structure dédaléenne la synthèse parfaite de l’expérience vitale, associant les parcours souvent sinueux et déroutants à la mort et à la vie, à la renaissance ou mieux encore à la possibilité de régénération offerte à quiconque parcourt la voie de l’initiation, de la recherche introspective. Assurément, le choix de la part du poète de confier à la forme du labyrinthe la mission suprême de résumer le voyage intime entre les méandres obscurs de l’âme, sera dû au pouvoir que Vigée reconnaît à ce signe iconographique. Ce dernier permet en effet de mettre en évidence toutes les métamorphoses, les mouvements auxquels l’existence est constamment soumise, faisant en sorte que le passage dans le labyrinthe se transforme réellement en un compte rendu de sa vie. Evidemment, il n’est pas question pour Claude Vigée de vouloir attribuer à l’emblème du dédale une signification idéale d’archétype universel et absolu. L’auteur a construit autour de ce thème une poétique complexe s’enrichissant de réflexions toujours neuves, qui lui a permis d’ouvrir un vaste et intense débat philosophique. Mûrie lentement au cours d’une carrière entière, en relation constante avec les contingences historiques et personnelles, la poétique vigéenne donne en effet au labyrinthe un rôle essentiel, une force explicative qu’aucun autre élément n’acquerra dans sa construction littéraire : « entrer dans le labyrinthe, c’est entreprendre un voyage infini qui conduit, à travers les multiplies méandres de l’autre, à explorer le plus intime de soi »(1). Ce que le poète désire aussi, c’est s’aventurer dans cette traversée épique, dans le parcours tourbillonnant qui devra être affronté en sachant parfaitement que d’innombrables difficultés parsèmeront le chemin à suivre. D’ailleurs, le danger présent à tous les niveaux n’est autre que le défi que le quotidien nous invite perpétuellement à relever, un défi personnel et interpersonnel qui constitue – à la différence des souffrances et des obstacles qu’il peut produire – le côté fascinant de l’existence elle-même, l’attraction pour cette « vie de la terre scellée dans la ténèbre interne des choses »(2) que Vigée désire connaître. C’est de là, de l’immense amour pour la vie que l’écrivain entend célébrer, malgré tous les obstacles, malgré toutes les horreurs des hommes et de l’Histoire, que naît la prise de position courageuse de Vigée : se placer du côté des « poètes de la présence », obtenir le renversement de la vision défendue par les « artistes de la faim » pour lesquels le labyrinthe n’acquiert une valeur exemplaire qu’en tant que symbole du chaos éternel dans lequel nous sommes tous destinés à errer. Devenir le représentant, le protagoniste d’une nouvelle mission, celle qui propose de lier cheminement poétique et recherche spirituelle, dans le but de réconcilier en quelque sorte l’être fragmenté et le monde, de retrouver ainsi une mémoire absolument indispensable pour la construction de l’avenir. « Le labyrinthe vigéen ne connaît pas le vertige du vide réel, mais semble dispenser une lumière immémorable »(3), écrit Ruth Reichelberg. Voilà le secret de l’optimisme non dissimulé de Vigée : le dédale ne sera jamais pour lui l’expression d’une volonté perverse, un circuit infernal créé pour mettre les hommes en difficulté, mais il deviendra au contraire « l’expression de la vie elle-même, dans ses enchevêtrements les plus complexes, et que rien n’autorise à refuser »(4). Parfaitement conscient de l’aspect tortueux des sentiers de notre existence labyrinthique, l’auteur ne refuse donc pas d’entreprendre le merveilleux cheminement de la vie et s’abandonne au contraire totalement et avec une confiance étonnante, au mystère qui lui est intrinsèque. L’espoir et la foi, caractérisant la position de Claude Vigée et déterminant un rapport avec la modernité qui s’oppose de façon catégorique à l’attitude désenchantée de la plupart des artistes occidentaux, peuvent être attribués, sinon entièrement du moins en grande partie, aux origines juives du poète. L’éthique en ce qui concerne la longue, l’immense et ancestrale patience d’Israël, l’incite en effet à affronter avec enthousiasme et joie toute bataille, toute compétition, dans l’intime conviction que « Dieu écrit droit à travers des sentiers tortueux »(5). Voilà pourquoi le labyrinthe de l’auteur, aussi tourmenté et miné soit-il par les tragédies de la guerre, de la Shoah et de l’exil forcé, ne paraît altéré par aucune fracture irrémédiable. En refusant la tentation du désespoir, il sera capable de panser la terrible blessure provoquée par la tragédie d’Auschwitz, de se pencher sur les douleurs de sa famille et d’une génération entière en renouvelant, grâce à la poésie, un principe immortel de solidarité qui fera du tortueux dédale « le lieu du passage innombrable du vivant »(6). Naturellement, la prise de conscience, la fait de savoir qu’il est lui-même un labyrinthe sera pour Claude Vigée le résultat final, le port d’arrivée après avoir longtemps médité, après l’errance géographique et de l'intellect qui pousse le poète à se chercher, à chercher ses propres origines. Mais cette exténuante errance vigéenne, l’expérience de l’exil américain, ne se présentera pas comme une marche obligée, comme quelque chose d’imposé qui disparaîtra avec la perte de soi et des coordonnées de référence au beau milieu du labyrinthe et de ses méandres. Il s’agira plutôt d’un voyage raisonné entrepris en suivant une logique de la rédemption invitant « à poursuivre l’être, à le débusquer, à ne pas céder à la splendeur du reflet »(7). Dans le dédale parcouru par Vigée, il n’y aura rien de désespéré, puisque tout ce qui est réel, mesurable en termes d’espace et de temps, sera transfiguré au nom d’une perspective spirituelle future. Ce qu’il faut surtout souligner en fait, c’est le caractère original et dynamique que Vigée donne à son labyrinthe en faisant preuve d’un désir évident de transgression par rapport aux frontières du réel. Le champ sémantique du titre du recueil, qui offre le témoignage poétique le plus intéressant du voyage introspectif : Aux portes du labyrinthe. Poèmes de passage 1939-1996, est révélateur de ce point de vue. Outre le mot « labyrinthe », parole-clef de toute la production vigéenne, apparaissent en effet ici les termes « porte » et « passage ». Extrêmement significatifs, ils indiquent bien tous deux la tension et le mouvement qui révèlent à leur tour l’intention de dépasser les limites du monde connu, de l’ici et maintenant pour s’approcher en toute confiance de cette lumière que l’on trouvera à coup sûr au terme du « forage dans le noir »(8), c’est-à-dire après avoir surmonté les épreuves initiatiques du labyrinthe. La volonté de la part du poète de privilégier « l’énergie de la transmutation »(9) - force et poussée de propulsion qui constituent la base de toute entre prise artistique - incitent donc Vigée à reconnaître comme seul et unique but réel de l’errance dans les sentiers du labyrinthe l’invitation au départ pour ce lieu mystérieux qui est notre âme, l’intériorité cachée et inconnue qui gît au plus profond de nous. Puisque pénétrer au cœur du dédale signifie accepter de se perdre pour se redécouvrir, Claude Vigée choisit de décrire par ses vers tout l’itinéraire qui le conduira pas à pas dans le noyau tant désiré : il ne dédaigne donc nullement de narrer chaque aventure, chaque étape de son existence poétique et intime, mais il ne se contente pas de célébrer l’arrivée au but, il décide de revoir les épisodes tristes et joyeux qui l’ont conduit à la révélation finale. Les luttes contre lui-même, contre le monde, contre les horribles tragédies que l’Histoire a produites et qui ont été, pour le poète, autant d’épreuves initiatiques, sont transfigurées de façon métaphorique par le symbole des « portes » disséminées tout au long du parcours de la vie. Le voyage de Vigée sera donc l’histoire d’une approche lente, d’un contact progressif avec les aspects fécondants de la réalité dont il ne pourra jouir qu’après avoir surmonté ces phases, ces stades qui caractérisent la vie de chacun d’entre nous et qui conduisent au cœur du labyrinthe si on les affronte patiemment et sereinement. Franchir les seuils du labyrinthe signifie donc pour l’écrivain changer de niveau, de route, de centre. Les portes décrites par Vigée ne se ferment d’ailleurs pas devant l’abîme de la réalité, n’empêchent donc pas d’affronter le monde, mais elles sont au contraire ouvertes violemment, avec toute la virulence permettant de détruire ces barrières culturelles et sociales qui constituent si souvent de véritables murs d’intolérance. Le « labyrinthe vigéen » acquiert de cette façon une valeur suprême, inestimable : il devient synonyme de liberté, le bien le plus pur et essentiel qui dérive de l’acceptation de l’autre et qui, intériorisé, s’obtient après avoir suivi le long chemin conduisant au jardin de l’âme, ce jardin où l’on pourra enfin se comprendre, comprendre Dieu et l’univers. En considérant le labyrinthe comme une représentation sans pareille de l’errance pure, comme le lieu initiatique à travers les méandres duquel il est possible de retrouver l’état primordial de l’imaginaire et de la mémoire, Vigée réussit à offrir au symbole du dédale une nouvelle caractéristique d’une indéniable originalité. Il ne s’agit pas de concevoir le chemin comme un mouvement progressif tendant à garantir un changement évolutif, les « poèmes de passage » et le franchissement des nombreux seuils avec lesquels il identifie les différents épisodes de sa propre existence ne visent pas à permettre l’accès à ce qui est neuf, inconnu et surprenant. Ils ont plutôt été conçus comme un projet de salut, celui de la reconquête du « lieu originel », de la demeure ancestrale, du « lieu sans lieu » auquel on arrivera par « le cheminement salvateur dans l’intériorité qui est l’unique voie menant vers le futur »(10). Puisque l’unique destination de réel intérêt sera pour Vigée la reconquête de l’essence qui réside dans notre âme, la redécouverte de ce qui nous appartient déjà mais qui semble trop enfoui, le parcours à entreprendre à l’intérieur de son dédale n’aura ni entrée ni sortie, mais sera simplement muni de portes, « les douze portes érigées autour du temps et de l’espace »(11), et finira par se refermer sur lui-même pour garantir la réussite d’une analyse introspective ayant comme finalité la libération du « souffle », un distillat de la spiritualité la plus profonde. En restituant au poète le contact avec son intériorité, avec le prochain et avec ce « Dieu qui vit en exil au fond de nous-mêmes »(12), le voyage dans le labyrinthe de l’âme, ayant désormais abouti, permet à Vigée de mener à bien le projet de rédemption sur lequel il a construit toute sa poésie : « Chez moi le retour sur le passé est un retour vers le présent »(13). C’est ainsi que le pèlerinage tragique mené parmi les ruines de la guerre et de l’exil, de l’aphasie et de l’errance, prend fin avec la récupération de la « Haimet » ensevelie qui, intériorisée, palpite en chaque individu : Claude Vigée abandonne définitivement sa condition de nomade, « celle de tout homme égaré dans le labyrinthe de son temps »(14) et fait face à l’avenir, ce futur qui est notre « seule demeure », avec une foi immense. 1. Ruth Reichelberg, “ Babel ou Jérusalem : Borges et Vigée face au labyrinthe ”, in L’oeil témoin de la Parole. Rencontre autour de Claude Vigée, Paris, Parole et Silence, 2001, p.151. 2. Claude Vigée, Aux portes du labyrinthe, Paris, Flammarion, 1996, p.52. 3. Ruth Reichelberg, “ Babel ou Jérusalem : Borges et Vigée face au labyrinthe ”, in op. cit., p.153. 4. Ibidem. 5. Ruth Reichelberg, in op.cit., p.154. 6. Claude Vigée, Aux portes du labyrinthe, op.cit., quatrième de couverture. 7. Ruth Reichelberg, in op.cit., p.152. 8. Claude Vigée, Aux portes du labyrinthe, op.cit., quatrième de couverture. 9. Michèle Finck, Ethique de la mémoire et énergie de la transmutation dans “ Aux portes du labyrinthe ” de Claude Vigée, in L’œil témoin de la parole, op.cit., p.76. 10. Claude Vigée, Vision et silence dans la poétique juive. Demain la seule demeure, Paris, L’Harmattan, 1999, p.35. 11. Claude Vigée, Aux portes du labyrinthe, op.cit., p.17. 12. Claude Vigée, Vision et silence dans la poétique juive. Demain la seule demeure, op.cit., p.149. 13. Op.cit., p.211. 14. Ibidem. Elisa Carli - auteur d'un mémoire de maîtrise sur Claude Vigée sous la direction de Gisèle Vanhese à l'Université de la Calabrie |
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