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Dialogues sur l\'infini
communautés [ écrivains israéliens d`expression francaise ]
Jean-Jacques Wunenburger - Max Bilen

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par [marlena ]

2005-11-18  |     | 



Les pages qui suivent sont extraites d’une longue correspondance entretenue entre Jean-Jacques Wunenburger - alors professeur de Philosophie à l’Université de Dijon-, et Max Bilen - professeur de Littérature à l’Université de Tel Aviv -, entre 1987 et 1993.
Elle oppose, en une amitié partagée, des positions relatives à une poésie des images, toujours liée à une trace de transcendance, à la poétique de Max Bilen, toujours encore hantée par la solitude et le non-sens.
Max Bilen y a retranscrit avec fermeté et clarté des positions que l’on retrouve dans ses livres parus à la même époque.
Publiées avec l’aimable autorisation de Jean-Jacques Wunenburger et Clara Bilen.


Dijon, le 15 avril 1987. Jean-Jacques Wunenburger à Max Bilen.

Je reviens à présent à votre remarquable note qui synthétise votre interprétation du mythe de l’écriture et qui me stimule beaucoup. Elle a coïncidé d’ailleurs pour moi avec la lecture du livre de J. Garelli : La gravitation poétique (Gallimard 1966) qui se rattache tout à fait à la même démarche que la vôtre. Je suis très impressionné par la constante de cette approche, qui suspend tout renvoi externe et interne du dire poétique. La parole n’est plus messagère, kérygmatique, épiphanique, puisque c’est l’acte positionnel du Logos qui se dit à travers les vibrations des notes et images. C’est bien en ce sens ce que soutenait Nietzsche lorsqu’il voulait libérer le sens de son arrière-monde et finalement de sa figure inversée que serait l’inconscient. Il n’y a donc plus d’interprétation symbolique, herméneutique possible, mais un simple recueillement dans la jouissance de l’objet verbal ou écrit. Le poétique est donc adossé au vide, au non-lieu, à l’intemporel au lieu d’être souvenir de l’Etre, image anagogique. L’inscription dans la délimitation finie du langage n’est plus médiation à l’infini, mais émergence soudaine d’un au-delà du fini, dont la dimension, plus que l’être, serait créée par et dans le fini. Par le jeu de mots, des antonymes et des chiasmes, le langage se déprend de lui-même et libère le passage à un « apeiron », appréhendé sur le mode de l’abyme.
Dès lors, l’acte créateur est bien provocation à se dessaisir de son identité mondaine, pour se perdre dans un langage extatique. C’est en s’opposant à ce vertige, qui s’ouvre sur la crête des mots, que le sujet se métamorphose et se recrée au-delà de toute détermination. La défaite de la singularité incarnée et souffrante fait place alors à la jubilation d’un transcendantal, vidé, qui se donne ainsi dans la répétition pure.
Il va sans dire que cette interprétation ne peut en aucune manière être réfutée ou contredite et qu’il n’y a pas lieu d’en discuter la vérité. Nous ne pouvons en fait que faire place à des actes phénoménologiques à partir d’une expérience directe ou indirecte qui trouve dès lors un rapport déterminé avec la conscience dans son mouvement d’auto- réflexion de ses contenus. Je ne puis donc prétendre qu’à m’installer dans une autre modalité, qui chercherait à retenir d’autres potentialités ou polarités de l’activité poétique. Probablement s’agit-il moins d’une divergence de pensée que d’un autre point de départ, d’autres pré-requis qui plongent leurs racines dans une profondeur insondable. De ce point de vue, je serais amené à privilégier la description suivante :
(1) Le « logos » me paraît s’apparenter d’abord à une Révélation à la conscience d’une altérité, dont le langage serait dès lors l’écoute approchée et déchirée, toujours recommencée. Le dire ferait ainsi signe vers ce qui le surplombe ou le précède, tout en le tenant à distance. Le dire trouve son accomplissement, moins dans l’immédiateté de son être-là que dans ce qu’il tient caché comme une ombre, dans un jeu qui est moins effet que symbole, c’est-à-dire, relation avec ce qui manque.
(2) Le poétique est donc Présence voilée de l’Etre. S’il ne peut se dire sur le seul mode de la positivité ontologique, s’il fait place à la négativité du Non-Etre, il est dans sa contradiction même ce qui se tient en amont du dire, et qui se cherche à se préfigurer dans l’acte même de la création. Le langage tire sa jouissance de l’expulsion dans le fini de la surabondance en gestation.
(3) En ouvrant la place, au cœur des mots, à l’Altérité, le sujet de l’écriture s’arrache à son ipséité close, pour rencontrer l’Autre absent sous forme rapprochée d’un TU, qui lui tient lieu de représentant, de suppléant. Loin d’être tourné vers un vide impersonnel et intemporel, le Moi créateur adresse sa Parole à un visage qui est comme porte-parole de l’Absolu. Ce qui s’annonce à moi est en même temps adressé à l’Autre comme dans un jeu de miroirs qui m’ouvrent à ce dehors. L’œuvre consiste alors à renvoyer hors de moi ce qui a fait irruption en moi, afin de reprendre place dans la Grande Parole dans laquelle je suis toujours pris.
Je ne sais pas si cette phénoménologie de l’Etre, de son épiphanie et de l’Altérité incarnée dans le Tu anagogique fait sens pour vous, et ne sais même pas si elle peut être fondée, bien qu’elle me semble proche d’une filiation poétique où Yves Bonnefoy prendrait place. J’espère en tout cas qu’elle suscitera chez vous une analyse sans complaisance car la pensée ne peut se poser que dans la résistance qu’elle rencontre.


Dijon, le 10 juillet 1990 ( ?). Jean-Jacques Wunenburger à Max Bilen.

J’ai essayé effectivement d’approfondir un peu la problématique de la forme artistique, sous votre influence, à l’occasion d’un cours durant le deuxième semestre, en réfléchissant sur les rapports du fini et de l’infini. J’ai tenté de montrer que l’esthétique classique jusqu’à Kant reposait sur une ontologie du fini par l’intermédiaire d’une eidétique de formes archétypales, dont l’art assurait l’entrée dans le visible. A partir de la Renaissance pourtant, sciences et théologie ont conféré à l’infini (jusqu’alors purement négatif sous l’aspect de l’apéiron) une valeur positive en le rendant coextensif à l’univers et/ou à Dieu. Le kantisme réagit violemment devant cet arraisonnement de l’Etre par la raison, et renvoie à nouveau l’infini dans le non intuitionné. L’art est convoqué dès lors dans une nouvelle fonction métaphysique pour donner à l’homme fini une présentation subjective et symbolique, et non plus objective et cognitive, de l’Absolu, ce qui va devenir le fondement de l’esthétique romantique (entre autres à travers la thématique du sublime). La dernière étape de cette aventure me semble s’être accomplie au XX me siècle, avec la dissolution métaphysique de l’infini, rejetée dans l’Innommable ; l’infini n’est plus qu’une illusion engendrée par le Moi fini, pour tenter de se confronter à une transcendance, qu’un effet spéculaire verbe qui manque ou virgule source d’effets esthétiques. La théorie littéraire, corollairement, va se refermer sur le discours sans fin de cette impossibilité d’intuitionner un Infini, dont elle a rendu impossible la représentation.
Cette analyse cavalière et inévitablement schématique m’a au moins permis de m’orienter quelque peu dans le dédale théorique de l’art. Toute la question, pour moi, est, vous vous en doutez virgule de savoir, si l’on peut continuer, aujourd’hui, à penser l’art selon une eidétique, qui sans être la réplique de l’esthétique néoplatonicienne par exemple, pourrait tourner autour de Formes transcendantales, dont l’œuvre serait le développement dans les limites spatio-temporelles du sujet. Il s’agit moins pour moi de penser une alternative à l’esthétique déconstructiviste contemporaine, que de produire un mode de discours qui réponde à une autre phénoménologie de l’art, complémentaire à l’autre. Nous ne produisons en fait des modèles théoriques que pour donner sens, après coup, à des expériences herméneutiques, qui ne sauraient être que plurielles et perspectivistes. Or s’il est incontestable que de nombreux artistes ne peuvent donner sens à ce qu’ils font qu’à partir d’une expérience de la déréliction de l’Absolu, qui ne saurait plus se laisser reconnaître que comme trace disparue, d’autres se sentent plutôt visionnairement devant un monde plein de dieux – ou de formes – dont ils sont les témoins dans le visible. C’est alors ce monde de formes imaginales qu’il s’agit de déployer spéculativement. Il reste qu’il nous faut mieux situer, l’un et l’autre, notre phénoménologie de la création et sur ce plan vous aurez toujours l’avantage sur moi d’être pris dans l’expérience créatrice elle-même, qui impose sa vérité propre ; un dialogue philosophique sur les fondements et les méthodes reste à élaborer et nous aurons le devoir de le conduire. C’est pour moi une grande chance et un grand plaisir.
La lecture de votre conférence de Leicester, où j’ai retrouvé cette sobre assurance et cette fermeté de ligne que je vous connais, m’a été une occasion de plus pour mieux saisir la cohérence imparable de votre déchiffrement de l’expérience artistique. Deux points continuent cependant à me poser problème : le premier a trait à cet effacement du sujet, qui pour incontestable qu’il soit, me semble relever d’une nécessité plus forte que la seule logique de la création. Dans quelle mesure ne faut-il pas la mettre aussi en résonnance avec l’évolution générale du statut du sujet depuis Nietzsche jusqu’au structuralisme ? Qu’est-ce qu’apporte entre autres l’éclairage psychanalytique, en particulier lacanien, à la question ? Le second point concerne votre hypothèse d’un isomorphisme entre le masquage du sujet et l’intentionnalité mythique : s’agit-il bien dans les deux cas d’un même processus de mort à soi ? ou du moins peut-on parler réellement, dans votre perspective, de renaissance s’il n’y a pas au bout, révélation, illumination, c’est-à-dire anagogie ? La mise en suspens de l’écriture au-dessus d’un gouffre vide est-il effacer il elle comparable à la descente dans le gouffre pour sortir ailleurs ?

Dijon, le 16 septembre 1991. Jean-Jacques Wunenburger à Max Bilen.

Revenons-en au fond de notre débat. Votre argumentation m’a beaucoup impressionné et je suis perplexe. Vous avez su donner une formulation d’une grande force à la créativité mythique ; en adossant la créativité à une métaphysique a-théologique, vous présupposez que la phénoménologie onto-phanique de l’art n’est finalement qu’une structure d’illusion, qui masque précisément le tragique inhérent à la création d’une œuvre. L’art serait précisément cette expérience mythique d’un infini, qui nous expose au néant, à une violente révélation nihiliste. Comment réfuter une telle approche ? Elle s’appuie d’abord sur un vécu, ensuite elle se donne, à la manière de la psychanalyse, comme une lecture décapante qui ramène toute autre lecture à une résistance propre à un désir de ne pas savoir la vérité. Il y a donc bien pour vous dans l’art un travail de deuil, qui accompagne la perte d’une totalité illusoire ; travail de deuil que l’ontologie positive chercherait à exorciser.
Effectivement mon interprétation repose plutôt sur un effet de joie, née du dévoilement, par l’art, d’une totalité primordiale, sans cesse fragmentée, renvoyée dans l’oubli par notre rapport au réel. Nous convergeons cependant en soutenant que cet infini est en même temps sans limites assignables, de sorte que toute représentation est nouée à de l’irreprésentable, ce qui contraint la création à la répétition sans fin.
En ce point de notre dialogue, j’avoue que je suis impuissant à renouveler l’argumentation, c’est-à-dire à fonder une réfutation. Je ne peux assurer que j’ai la certitude d’être dans le vrai. Votre lecture m’apparaît de plus en plus comme une possibilité, comme une vérité alternative à ma conviction première. Laissons donc faire l’épreuve du temps. Ma position est pour l’instant inséparable d’un héritage ontologique gréco-chrétien, qui valorise une réalité invisible, inscrite comme trace dans une saisie immédiate, pré-catégorielle, du Monde, que la pensée réfléchie morcelle, mais que l’art tente de déployer dans une représentation figurative et esthétique.
Dans cette perspective l’art d’aujourd’hui tente une expérience inouïe, qui vise à assurer une présentation du Tout dans le fini, au point de rupture où le fini et l’infini se touchent. La spécificité de cet art me semble résider dans une ascèse, dans un effort pour se dépendre de l’objectivation inhérente à la configuration classique, pour se replier sur des pré-figurations, qui ont alors besoin d’une plus grande participation du « pathos ». Autrement dit, le pathos tend à court-circuiter le Mythos (au sens de Ricoeur, comme une mise en intrigue totale par opposition au fragment) dans le processus d’auto-manifestation d’un « Logos » ou d’un sens. Mais précisément, je me demande de plus en plus souvent si cet art caractéristique du 20me siècle est vraiment porteur d’avenir ? Ne va-t-on pas à nouveau devoir faire place au Mythos si l’on veut que l’art parle aux hommes ? Le roman est-il bien mort comme le croient certains, n’ayant été qu’une phase transitoire ou ne va-t-il pas – après sa déconstruction récente – renaître (on pourrait se poser la même question pour la musique). Tout cela reste très ouvert.


Dijon, le 11 février 1993. Jean-Jacques Wunenburger à Max Bilen.

Hier soir j’eus le bonheur d’assister à une soirée-lecture d’Yves Bonnefoy, organisée par notre ami François Dominique, et tout au long des mots presque psalmodiés, j’ai souvent pensé à vous, aux échanges qu’aurait suscité la soirée si nous avions été ensemble à ce moment-là.
A vrai dire, je suis quelque peu perplexe : d’un côté, votre interprétation du poétique s’applique bien à sa mélancolie des phrases, poésie ou prose (La rue Traversière), qui tente de deviner un au-delà qui n’a de nom sur aucune carte, de cerner quelque furtif passage à travers une nuit blanche de neige. Pourtant, au milieu d’une déréliction, il me semble que la désespérance est moindre, que l’ouverture des mots finit par dessiner une clairière, où une lumière d’ailleurs inaugure un crépuscule ou une aurore. Bref, Bonnefoy aurait encore quelque souvenir d’une épiphanie, même si l’exil humain qu’il décrit s’apparente à un oubli ontologique.
Mais cessons dans le fond de nous embarrasser de ces tensions dans l’interprétation, selon qu’on privilégie l’espérance ou le désespoir, la présence cachée ou l’absence sans fin. Il n’y a là que des expériences divergentes qui se nourrissent d’un tréfonds existentiel différent, mais qui se rejoignent sur l’essentiel, la vocation du langage ou de la peinture, à révoquer la fermeture mondaine, à nous convertir vers l’autre face du monde, où se laisse entrevoir ce qui n’est pas de ce monde, ce qui en dépasse les bornes finies. Que l’absolu soit réelle présence ou sublime illusion, peu importe, il nous découvre dans notre finitude et l’installe à l’ombre d’un Sens éclairant. Nous ne pourrions nous voir établir un lien entre le voir et le vu, qu’en nous éclairant d’une lumière surplombante mais qui nous regarde. L’art est sans doute ce par quoi l’homme s’auto-éclaire en se tournant vers l’au-delà de lui-même.
Par contre, le débat intellectuel, et non existentiel, porte sur la place de l’image dans cette expérience métaphysique. Certes je comprends votre réticence à l’égard de l’image, qui n’est jamais loin d’être à nouveau fermeture, idole. Ce que d’aucuns attribuent à l’imagination, comme déconditionnement, comme moyen de passer outre, comme accueil mythique de l’au-delà, vous voulez en faire attribut générique du verbe même. La créativité de la langue résiderait alors précisément dans l’émondage des images, leur déracinement, pour creuser dans la parole le vide, qui prépare à aller toujours plus loin, à faire avancer l’in-fini. Mais n’est-ce pas encore faire de l’image un être second, une méta-phore, un transfert en pure perte, à laquelle il faudrait toujours préférer un « logos » originel, antérieur à toute cristallisation dans le mot ? J’aurais par contre tendance à voir dans l’image, mais pas n’importe laquelle, l’irruption primordiale d’un sens infini, un mystère à déployer sans fin, une force qui ne tiendrait en aucune traduction. Dans la lignée de Bachelard, évidemment, mais aussi des grandes théophanies, l’image est ce seuil sur lequel nos pauvres mots viennent s’appuyer pour se métamorphoser et s’infinitiser de manière parabolique. L’image n’est plus alors substitut, plan fixe, alourdie par les congères du visible, mais matrice transformatrice. Et loin de nous enfermer dans le fini, ce qui n’est que la rançon de ceux qui veulent la traiter comme signe, l’image, à charge symbolique, nous renvoie un écho sans fin, des rapports entre verbe et image, qui a toujours donné lieu à des débats théologiques : soit le verbe divin abolit l’image, soit il la consacre ; soit l’image est idole, soit elle est icône. Le mystère vient de ce que cette controverse théologique qui finit en controverse sémantique et poétique, pour importante qu’elle soit sur le plan de la production théorique, n’entame finalement pas l’unité de l’expérience existentielle de l’art. Faut-il en conclure que l’on peut se passer des instruments de la théorie, ou que la théorie n’est jamais qu’un point de vue asymptotique sur une expérience qui ne se laisse jamais épuiser ? J’arrête là ces quelques réflexions qui me semblent toujours de peu de poids à côté de votre cohérence personnelle qui sait unir intimement une création et un discours sur elle.


Tel Aviv, le 28 juillet 1989. Max Bilen à Jean-Jacques Wunenburger.

Vous me dites avoir utilisé, dans votre cours sur les courants contemporains de l’image, certaines de mes idées. Je vous remercie et en tire quelque fierté, mais je voulais savoir quelles sont ces idées : cela me permettrait, peut-être, de puiser un peu de courage en leur accordant une confiance qui, souvent, me fait défaut. C’est vous dire comment notre dialogue pouvait m’être précieux.
Je crois que nous aurions intérêt, tous deux, à approfondir, pour nous, votre hypothèse des « formes transcendantales » ; moi, celle relative à la nécessité, pour la saisie du réel, de supposer une dialectique dont l’élément négatif correspondrait à un vide qui cesserait de nous faire peur, et qui ne chercherait pas à se donner d’autre contenu que celui d’être un « contraire existant », dont la seule « réalité » serait, exclusivement, celle de l’œuvre d’art. (Par exemple : impossibilité de concevoir un objet fini sans évoquer – mais sans se le représenter – l’infini, de même le temps sans songer au non-temps, bien que infini et non-temps n’aient pas de réalité autrement que comme attributs de la transcendance ou comme « propriété » de l’œuvre d’art.)


Tel Aviv, le 30 juillet 1991. Max Bilen à Jean-Jacques Wunenburger.

Dans ma tentative actuelle de développer et d’approfondir mon texte du congrès de mai à Paris, je crois avoir remarqué qu’un même mouvement inspire, depuis Mallarmé et Baudelaire, les poètes et écrivains (outre Blanchot et Bataille : Valéry, Proust, Artaud, Kafka, Perse et Char), ainsi que les artistes (dernières œuvres de Cézanne, Delaunay et les « abstraits ») : la quête d’une spiritualité qui devrait à la foi religieuse sa ferveur, mais qui relèverait uniquement de ce qui, en l’homme, double dialectiquement le réel (la vie) : des données imaginaires, dites « transcendantales », découvertes à la faveur de la création artistique, révélées en son mouvement, donc avant l’apparition d’un langage (car un système de signes soumis nécessairement à des règles conventionnelles afin de permettre la communication). Mouvement indicible donc, vécu, c'est-à-dire éprouvé, senti. Par là mythique, incommunicable autrement que par la suggestion, à travers un langage « violé » en sa structure en ce que surprenants sont les accords et les rapports ; échappant à toute logique comme à toute analyse qui se situeraient hors des « formes » (ou structures) accessibles aux sens (espace où je situe le mythe). Je compte donner comme titre à cet ensemble : « L’Utopie poétique », qu’en pensez-vous ?

Je voudrais vous rappeler, à propos de cet « autre espace », ce que vous dites à la page 11 de votre étude intitulée « Le mythe de l’œuvre » : « Créer, c’est dépendre de la figure du monde, faire un pas en arrière pour répondre à un appel d’autre chose », en vous citant cette phrase de Blanchot (Le Livre à Venir, Poche, p. 349) : « la poésie toujours inaugure autre chose. Par rapport au réel, on peut l’appeler irréel », etc.
Mais, là où je ne vous suis pas, c’est lorsque vous dites qu’archétypes et symboles universels « ne sont que des symptômes (…) de ce que la création n’est pas libre jeu d’invention, mais dépliement d’un langage, à partir duquel est déjà engendrée la création divine que l’artiste cherche dans le fond à imiter » (p. 12) ou, encore : « Il n’y a d’œuvre qu’à condition que le cercle mythique soit brisé, que des démembrements et remembrements (…) ne portent que le souvenir de l’Unité perdue ». Référence, donc, à quelque chose de préexistant, découverte dramatique d’une « réalité inachevée », recherche du « tout Autre », le « mythos désignant une structure universelle, à partir de laquelle se génèrent toutes les formes concrètes » (p. 12).
Or, à mon humble avis, le tragique de notre condition réside dans le fait que cet inachèvement doit le rester ; que le vide doit rester vide (déjà, les scientistes sont affrontés au désordre moléculaire et au vide cosmique – qui constituera l’immense problème de demain en ce sens que nous ne serons guère préparés à l’accepter subjectivement dans défaillir). N’évoquez-vous pas, dans votre lettre, l’exigence, en nous, de « l’intelligibilité du monde », et la nécessité « de conjuguer ensemble le discours mythico-poétique et la science analytique » ? La créativité artistique n’a pas, heureusement, une telle exigence, pas plus, d’ailleurs, que le mythe …
« Le réel comme la pensée … », dites-vous dans votre lettre, postulant une identité qui reste à prouver. Mais je reprends : « Le réel comme la pensée se développent autour de structures invariantes (…) que la nature et l’art mettent au jour et en œuvre », d’où « la fécondité d’un schème formiste », ce qui vous permet d’affirmer que « la peinture abstraite fait entrer l’infini représentable dans le champ de la représentation ». Je crois, quant à moi, au contraire, que l’œuvre abstraite n’en est vraiment une que si, par exemple, l’infini qu’elle suggère reste l’infini, lorsqu’il n’est pas représentable, car, s’il l’est (même seulement par la pensée), ne s’agirait-il pas, alors, d’un retour obligé au figuratif ?
C’est dans la mesure où nous sentons l’infini face au tableau ou au poème (sans qu’il soit, surtout, réductible à la représentation), que l’œuvre est œuvre d’art et que le mythe reste mythe (avant que d’être asservis à la logique, au sens, aux règles et, somme toute, à la coutume sécurisante). Dès lors, la peinture et l’écriture contemporaines n’ont pas pour dessein de « saisir l’informe qui se tient sous toutes les formes ». Nous devons nous résigner, avec courage, à accepter que le non-phénoménal n’existe pas, qu’il est dans l’imaginaire, ne tirant de réel que la nécessité d’être là (probablement pour la pensée). Epreuve extrêmement difficile (il vaut mieux pour la pensée, qu’elle ne s’y attarde pas trop et qu’elle ne procède que par des sauts prudents et successifs des poèmes et des tableaux (ou des pièces de musique, assez fragmentés pour ne pas exiger la totalité). Nous avons, une fois pour toutes, cueilli le fruit de l’Arbre de la Connaissance et accepté les conséquences de cet acte …


Tel Aviv, le 3 janvier 1992 ( ?). Max Bilen à Jean-Jacques Wunenburger.

Votre si belle lettre, si riche, si généreuse lettre se livre à une analyse de mon argumentation qui m’en fait prendre conscience parce qu’elle dénude ma pensée, la contraint à se livrer en mots. C’est vrai que j’ai eu une vision tragique de la création – je ne l’avais pas vu ! -, c’est vrai qu’il y a un travail de deuil dans la conception ( ?) que je me fais de l’art, mais peut-être pas, comme vous dites, par suite de « la perte d’une totalité illusoire ». Plutôt la perte d’une foi dans l’homme héritée de ma culture française, perte due à l’acte « innommable » de l’homme : l’Holocauste, Hiroshima. Depuis des années, je porte en moi cette blessure, je lui dois mon retrait, mon désespoir, ma défiance. Avec ce constat : la pratique de l’art a été la seule constante, depuis l’homme des cavernes, d’une volonté de l’homme de dépasser la réalité en lui opposant la négativité de cette réalité.
C’est pourquoi l’art ne peut m’apparaître, comme pour vous, comme le « dévoilement d’une totalité primordiale renvoyée dans l’oubli par notre rapport au réel », ou le « déploiement dans une représentation figurative et esthétique du monde ». Vous parlez, alors d’une « valorisation d’une réalité invisible », que vous attribuez à un héritage ontologique gréco-(judéo)-chrétien. Mais n’est-ce pas là une tentative de meubler « l’inconnu » de ce qui constitue le réel, au lieu de considérer cet invisible comme un envers du réel, tout concept ou image comportant son envers ?
Votre très belle communication à Cérisy développe, d’ailleurs, fort bien, votre point de vue. L’imagination cognitive (première, figurative, symbolique) suppose d’emblée un déjà-là, un commencement, un état germinal, des formes archétypiques, une « première auto-affection, qui précède toute affection externe » (p. 4), des préfigurations, des catégories matricielles, « des formes déjà préfigurées dans l’âme » (p. 5) et, surtout, une intelligibilité première globale, qui précède le point de vue fini de l’entendement » (p. 6), bref « un contenu originaire » (p. 4). Vous dites, même, que « pré-conceptuellement, toute chose prend sens pour l’homme, avant qu’il n’en acquière l’explication », la science ne pouvant se passer de « l’ombre » qui la suit « et sur le fond de laquelle elle se découpe », à côté « d’une rationalité ouverte qui s’auto-manifeste dans l’intuition des totalités ».
Mais, je vous le demande : ne peut-on assumer l’exigence d’art (c'est-à-dire le vécu imaginaire de l’envers du réel, autrement dit la totalité et l’infini) qui est nous tous, non comme un « ailleurs », mais comme une nécessité dialectique dans la mesure même où cette exigence est d’ordre spirituel, comme le spirituel s’oppose au matériel sans, pour cela, avoir un « être » ?
Parler de « réalité invisible » (héritage orphique et judéo-chrétien), n’est-ce pas bâtir l’hypothèse d’une « réalité » calquée sur la nôtre et donc la prolongeant ? Faut-il échapper à toutes les forces, au tragique de l’inexistant accessible (c'est-à-dire « vécu ») par le moyen des arts (en lesquels se retrouvent foi religieuse et amour ?). Est-il indispensable de se créer « un autre réel » à l’image du nôtre, auquel nous sommes aliénés au point de se le représenter, de se le figurer, de le mettre en représentation ? Alors que la créativité serait, précisément, une manière de s’en libérer afin de mieux vivre dans la spiritualité, si proche de notre affectivité au point de s’identifier à elle, par exemple dans la peinture abstraite, dans ce que Bataille appelle l’Expérience Intérieure, Blanchot la « neutralité » (encore que l’inconnu qui reste inconnu, auquel il fait allusion, laisse supposer un « existant » inconnu inconnaissable ?).

Un tragique qui ne serait pas, pour autant, privé de joie … Et je suis moins pessimiste que vous, côté éthique…


Tel Aviv, le 21 juin 1992. Max Bilen à Jean-Jacques Wunenburger.

(sur la recherche, de la part de Max Bilen, d’une cohérence de pensée et de structure dans les œuvres de Valéry, Blanchot et Bataille, pour dégager la nature des impératifs qui ont déterminé leurs choix d’une voie qu’à tâtons cherchait leur époque, qui est « encore » la nôtre)

Car on a beau étudier séparément l’œuvre des écrivains, on n’en dévoile un dessein en cheminement commun qu’en réalisant la synthèse d’œuvres de différents auteurs dont on sent que de la réalisation de leur œuvre dépendait leur vie. Plus que la recherche académique des influences, ce qui apparaît au jour, c’est la vérité de leur quête et leur choix de leur itinéraire. Je crois qu’étudier dans cet esprit Blanchot, Bataille et Valéry, c’est jeter une lumière sur la pensée de l’époque (encore la nôtre) et la nature de ses exigences.
Ce qui se dégage pour le moment : chez tous les trois, le devenir de l’œuvre détermine le devenir de l’auteur (et non le contraire, ce qui est fort important du point de vue de la lecture de l’œuvre) ; ce devenir change radicalement le statut existentiel de l’homme, puisqu’il lui fait vivre une expérience à laquelle il est impossible d’accéder par la rationalité ou même l’imaginaire (regard courroucé de Bachelard). Ce statut « artistique » (poétique) est celui de l’universalité et de l’intemporalité (sans lesquelles il n’est pas d’œuvre d’art), ne s’ouvre sur aucun savoir (Bataille), maintient l’inconnu dans son état de neutralité (Blanchot) et autorise le fait de n’exister qu’en acte (Valéry). Etrangère à la vie, l’œuvre la spiritualise en entretenant en l’homme (même les individus qui n’y ont pas accès) l’existence abstraite d’un « être esthétique » et moral (plus ou moins symbolique ou ramené à une représentation sécurisante humaine (images et icônes) par les religions. Cet écart entre l’œuvre d’art et la vie (le réel) doit être maintenu pour que reste efficace la dialectique dans laquelle il n’est pas de création humaine (à tous les niveaux) ni même adaptation de l’homme au réel (mais ça c’est une autre histoire).
C’est à ce retour que je retrouve votre lettre du 08 mars, à laquelle je n’ai jamais répondu, espérant le faire au cours de mon séjour à Dijon, qui a été, en quelque sorte, le corridor entre les échanges entre un réel (grâce à vous et Anne-Marie si agréable à vivre) et, disons les choses immuables de l’esprit. Dans cette lettre vous dites qu’il y a place pour une phénoménologie de la Forme génératrice « qui plaide en faveur d’un déchiffrement selon la Manifestation ». C’est l’idée de transcendance d’une Forme a priori génératrice de l’œuvre qui me heurte. Sans invoquer le hasard, il me semble qu’il y a une intention sous-jacente qui commande le cheminement de l’œuvre d’art. Cette intention est une exigence de dégagement du réel (de son chaos, de son arbitraire, de sa contingence, de ses contraintes et de sa finitude) afin d’accéder, moins par l’imaginaire que par la subjectivité, plus proche de la vie, à un statut autre, tentative désespérée qui fut (et est encore) celle du comportement mythique (réductible peut-être à l’inconscient).
La possibilité de dégager une éthique, dont vous et moi sommes si friands, répond, alors à la nécessité de trouver une voie d’identification de l’art et de la vie. D’accord avec vous pour déplorer un héritage humaniste dévoyé, je ne le suis pas lorsque vous voulez donner pour fonction à l’art « la peur de la finitude, de l’impossibilité de mettre la mains sur l’infini ». Issu de la peur, sans doute, l’art n’est pas générateur de peur. Il permet, au contraire, de vivre nos peurs (la finitude, l’infini) tout en nous montrant leur inanité. L’art permet de faire vivre (et, donc, croire) ce qui, en l’homme, est le négatif (le contraire) du réel et qui engendre, par là, la peur en nous. Mais l’art nous montre, en même temps, qu’il s’agit là d’une « existence sans l’être », selon la formule de Blanchot.
Cela nous ramène à un autre point que vous développez dans votre lettre : le rôle de l’image, non plus métaphore, mais se prêtant à « un mode de déploiement de sens en excédent, dont le langage cherche ensuite à capter la substantialité indéfinie », ce qui ferait du poétique une « image première ». Permettez-moi de vous dire que l’obstacle à dépasser, en poésie, est le langage et que le danger qui guette le poétique est le sens. L’un et l’autre concurrent, paradoxalement, à faire surgir l’innommable, l’inconnu, la part de nous-mêmes, précisément, irréductible au discours, qui ne se limite plus, aujourd’hui, à la subjectivité. Essayez donc de réduire l’amour ou la loi religieuse à des mots ou à des concepts porteurs de sens, si « excédentaire » pût-il être … Certes, l’image, le sens sont là, dans le langage, mais ils n’y sont que pour permettre d’aller au-delà d’eux : dans l’émotion, dans l’intuition, dans la joie extrême, dans la douleur muette (le désespoir l’est, en partie, parce que le langage est absent). Tout un domaine immense, peuplé de la peur du silence, refusé à moins d’être réduit à la finitude du discours et aux limites de la représentation spatio-temporelle, ramène à des « normes » sécurisantes parce que rationnelles et convertibles au verbe sécurisant. Vide, infini, non-espace, non-temps, deviennent images ou vocables chargés de sens, alors qu’ils n’en ont aucun parce qu’ils peuvent être ramenés même à une « image première », parce qu’ils ont une « existence sans l’être », parce qu’ils constituent un non-savoir. Cessons de tout humaniser (forme savante d’animisme) et de tout réduire à la mesure des objets (au sens le plus large), c'est-à-dire du réel, et consentons enfin à ce qui, présent en nous, échappe à l’entendement. Notre liberté sera alors grande, et plus habitée par la peur. Mais ce temps viendra-t-il ?
A nos yeux lointains, ce temps à venir est couvert et assombri par les nuages du « péché ». A preuve, l’effort, dont vous et moi témoignons, pour doter l’art d’une éthique. Cette question, je me la suis posée depuis l’âge de vingt ans ; j’avais déjà, cependant, soupçonné son ambigüité dans un texte – perdu- dans lequel j’essayais d’éclairer l’étrange complexe de justification dont s’embrasse tout écrivain). Je me demande, aujourd’hui, si ce besoin de justification qui double l’acte d’écrire ne naît pas, précisément, parce que la vie vouée à l’écriture est décriée, condamnée d’avance, comme tout ce qui risque de troubler notre confort rationnel ou de briser le faux miroir du monde, héritage, parmi d’autres, de l’humanisme et de la culture judéo-gréco-chrétienne. Les ombres de Nietzsche et de Bataille dominent, sans doute, un tel débat, entachées opportunément par les accusations de nihilisme, de folie et de maladie. Il est temps que, sans nier les exigences des nécessités du réel, on rende justice à ce qui le contrarie, le heurte, il serait bon qu’on écoute souffler les vents contraires, qu’on ose les affronter sans les asservir.
Accepter la solitude sans, à toute force, la peupler ; le désordre sans le découper ; l’inconnu sans le nommer, voilà, me semble-t-il, quelques-uns des traits de la nouvelle noblesse. Encore faut-il remplir une condition essentielle : la probité, cette sorte de pudeur d’âme dont toute vraie œuvre d’art témoigne, qui ne peut être, fort heureusement, cernée, sans quoi elle deviendrait, à son tour, une valeur vite boursière.
Tout cela, cher Jean-Jacques, n’est pas très loin du texte que vous m’aviez demandé de lire et qui commence par cette terrible phrase : « Que signifie se rendre absent ? » Pour la première fois de ma vie, le sentiment du tragique a accompagné ce texte qui se veut strictement « philosophique ». Texte très fort, par l’évocation de l’émergence de l’être dans le réel, ce réel interdit dans la mesure même où il est affronté, cet être interdit de séjour dans la mesure même où il s’affirme : le paradoxe, l’équivoque, l’ambigüité se rencontrent à chaque pas, qui bute contre l’ontologie « atténuée » (p. 1), incertaine (p. 2), affaiblie ou de rupture (3), risquée ou séparée (4).
On dirait que ce qui est douloureusement absent, c’est un langage susceptible d’aborder une vérité habituellement visitée par le discours serein des idées, au travers d’une sensibilité effrayée de son pouvoir et de son irruption. D’où certaines formulations pour le moins contestables (« l’interruption des relations est une façon de se rendre étranger à l’humanité, p. 2), des allusions à l’immoralisme (p. 3). Plus grave (cela ne vous étonnera de ma part) est la réflexion sur l’écriture. Que signifie une « existence littéraire » (p. 5), opposée à la vie réelle » ? Ou un « réel écrit » et ce mot : « il y a certainement dans l’acte d’écrire un rapport difficile à l’être », alors que pour certains (les plus grands), l’acte d’écrire est le seul chemin pour aller à l’être ? La page 6 est à réviser en entier (où, curieusement, il est fait allusion au thème de la justification, dont il a été question plus haut). Il y a, je crois, encore de la souffrance à consommer avant de pénétrer dans la profondeur (redoutable) que ce texte tente de violer.


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