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Hommage à Alain Suied
article [ Régional ]
Continuum no. 7

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par [marlena ]

2011-04-19  |     | 






Jean-Pierre Allali

Alain Suied, un homme libre

Nous vivons, c’est incontestable, une époque où la poésie est devenue le parent pauvre de la littérature.
Alain Suied, hélas trop tôt disparu, fait partie de ceux qui, contre vents et marées, ont voulu maintenirvivace la flamme poétique. À sa manière et avec son originalité. Pour lui, la poésie, contrairement à une idée préconçue assez répandue, ne saurait être une fuite dans l’imaginaire, une sorte de rêve éveillé permettant d’échapper à la tristesse et à la dureté du quotidien. Non ! Pour Alain Suied, la poésie se doit d’être un affrontement permanent avec le réel, avec le monde où nous vivons, tel qu’il est.
Ce qui ne l’empêchait pas de revendiquer haut et fort l’héritage biblique, les psaumes, notamment et, plus généralement, l’empreinte laissée par l’exil millénaire sur le mental du peuple juif. Une empreinte dont il estimait la richesse considérable, permettant d’allier fidélité et ouverture.
Comme moi, Alain Suied était un « Tune », un Juif de Tunisie. Discret, réservé, il n’évoquait pas facilement les souvenirs de la prime enfance au pays natal. Mais on sentait, dans ses hésitations à en parler, la profonde blessure qu’il gardait au fond de son être meurtri par l’exil.
Son amour de la Bible et des textes traditionnels du judaïsme n’avait d’égal que sa fierté de voir l’État d’Israël affronter avec courage l’adversité. Il m’avait confié sa grande joie de voir la revue « Continuum » qui paraît à Haïfa publier son hommage au 60ème anniversaire d’Israël.
Nous avions pris l’habitude, au cours des ans, d’un échange épistolaire. Il me confiait ses joies et ses peines et me faisait part de ses projets. Ainsi, en juillet 2007, il me donna un avant goût des propos qu’il devait tenir peu après sur France-Culture : « Il faudrait franchir les limites de l’expérience poétique pour admettre que tout se joue entre Narcissisme (archaïque ? universel ?) et Pulsions. Le poète-du moins dans le cas d’une majorité saisie par une époque-a sans doute tendance à se retourner-comme Orphée-vers le Narcissisme…mais je crois que la modernité, la nouveauté, c’est d’affronter, de voir les deux rives du fleuve…Cela ne réduira pas le mystère de l’aventure humaine-mais offrira un recul nécessaire qui « ouvre » à l’Inespéré ».
Très sensible aux poussées récurrentes d’antisémitisme dans notre pays, il m’écrivait, en juin 2008, peu avant sa disparition, considérant que l’Europe n’a pas « gommé » par « miracle » ses démons et citant Freud,: « Nous sommes et nous restons juifs. Les autres ne feront que nous utiliser sans nous comprendre ni nous respecter »

Alain Suied a rencontré la poésie à l’âge de dix ans. En notant dans un petit carnet d’écolier ses premières émotions poétiques, il avait l’impression inconsciemment de s’adresser à sa mère chérie comme pour lui dire : « C’est pour toi, maman, que je vais essayer d’être un poète ». Il avait, pour la figure aimée de sa mère, « l’éveillée », une tendresse infinie qui transparaît dans nombre de ses écrits. Une mère dont il disait : « Nous sommes morts en toi pour que tu sois vivante en nous ».

Spécialiste de Paul Celan, Alain Suied, curieux de tout, avait lu avec passion les poètes juifs et israéliens et découvert avec délices les poètes anglo-saxons ou encore indiens.
Son œuvre, riche et variée, a été récompensée par plusieurs prix, le prix Verlaine de l’Académie Française, le prix Charles Vildrac et le prix Nelly Sachs pour l’ensemble de ses traductions.
« J’écris dans les interstices du temps…J’écris dans l’utopie de l’Être » aimait dire Alain Suied.
C’était avant tout un poète libre, un homme libre. Il nous manque.
***


Daniel Leuwers

Alain Suied, le poète, l'ami


Un ami est parti -une voix que je ne cesse d'entendre, que je m' efforce toujours d'écouter.
Je me souviens: je rends ma première visite à René Char dans sa petite maison provençale des Busclats. Il m'interroge soudain sur les poètes contemporains que j'aime. Je lui cite Alain Suied dont je viens de découvrir la poésie dans un numéro de la belle revue « L'Ephémère ». René Char m'approuve. C'est d'ailleurs lui qui m'apprend que l'auteur n'a pas encore vingt ans.
Nous sommes en 1970. Alain Suied vient de naître à la poésie, et le Mercure de France publie ses textes sous le titre Le Silence. Un des premiers vers dit:

« le sans-lieu inaugure le délire ».

Ce lieu qui manque est un lieu qu'il faut retrouver. C'est un « pays perdu », mais un pays qui existe, à l'image du père mort mais toujours vivant à travers le fils:

« Le lieu est tout. Le corps surtout
est le lieu. Le poème porte redite des lieux
vivants que j'inaugure, et de l'entente
invenue qui contient leurs contradictions ».

Le Silence est une quête fièvreuse de l' « Ouvert ». La mort du père est paradoxalement une relance, une façon d'être soudain le père de son propre père et de reprendre racine au sein de l'agonie, dans une « présence » où

« le père seul navire de ce que j'ai quitté
s'enfonce à son tour sans démentir ma vue
qui naît à sa complicité
il s'est souvenu
d'avoir été le fils
situation inaccessible pratiquement
comme un lieu d'alliance
où le père a pensé: il n'y a
de fils que pour moi ».

Le jeune poète sait que

« refuser la parole du père
est dans le fils ce qui en vient au père
la pire la pure
la mère
la mort amère ».

La parole naît du trouble des origines -présences arrachées qui inspirent au poète ce cri:

« La mort m'est incompréhensible ».

L'oeuvre d'Alain Suied ne cessera d' interroger la mort pour la dépasser dans un dialogue rêvé avec « l'Autre ». Faire tomber les barrières, en revenir à la beauté du « Premier Regard » et aussi traduire les autres (William Blake, Dylan Thomas), c'est élargir le dialogue, contrecarrer la mort, apprendre à vénérer sa propre humanité.
Les poèmes d'Alain Suied viseront de plus en plus à la clarté d'un message humaniste, tout en ayant le souci de « l'invisible ».
Alain Suied se plaint souvent à moi d'un certain manque de reconnaissance. Néanmoins il publie beaucoup et ses écrits imposent le respect.
Je l'invite plusieurs fois à l'Université de Tours. Les étudiants l'aiment. Lui se donne à fond pour leur faire comprendre que la poésie est essentielle, qu'elle est l'essentiel.
Nous parlons souvent des résurgences inquiétantes de l'antisémitisme. Lors d'une table ronde tenue à la Sorbonne, Alain Suied est publiquement agressé par un poète qui lui reproche sa référence « hébraïque ». Dans une lettre du 15 octobre 1998, il me précise:
« Certains furent « aux anges », d'autres effarés … qui me manifestèrent un prudent soutien...HORS de la salle! »
L'air du temps... Alain Suied en aura souffert abominablement, lui qui aimait les ponts et haïssait les barrières.
Un cancer du pancréas a emporté ce poète, cet ami au corps colossal et affable.
Si la souffrance a été sa compagne, il savait heureusement -comme il l'écrit dans son Histoire illustrée de l'invisible - que

« Dans la ville qu'a déserté le pas de l'homme
oui, quand la nuit pèse sur ton coeur
quand les masques tombent et les illusions
quand la solitude noue cruellement
la mort à ta désertique naissance,
alors survient la poème ».
***

Gaspard Hons

Dans la proximité de l’humain : Alain Suied, toujours.

Un dialogue ininterrompu s’est tout simplement instauré avec l’oeuvre d’Alain Suied.
A quand remonte-t-il, quel en a été le déclic ?
La poésie d’Alain Suied, son engagement pour l’humain, sa proximité avec mes questions sans réponse, avec une culpabilité d’individu inscrit dans un Occident lâche, criminel et muet furent autant de raisons d’un cheminement dans son œuvre ouverte. Lors des premiers pas dans cette œuvre, celle de Paul Celan occupait depuis longtemps mon espace de vie, ma mémoire blessée, un inconscient cadenassé, mes manques, mes terribles manques.
Les poèmes d’Alain Suied s’inscrivent dans mon parcours ignorant l’existence de balises, de bouées de secours. Le temps de m’agripper, de tenter une renaissance, le temps d’appeler à l’aide Jabès, Lévinas, de faire un voyage de nuit vers la Rome freudienne, avec mes substantiels, notamment, Celan et Lévinas. Quelques empreintes d’un voyage à Jérusalem et à Massada, restent gravées dans les textes rocailleux et pétrifiés de Visage Racinéant (éditions Rougerie).
Une force nous habite et nous détruit, constat détourné d’un carnet du poète ; de quel recueil émerge-t-il ? Il me porte aujourd’hui à habiter pleinement, poétiquement le monde après tant de travaux de creusement.
Creuser, creuser la terre, toujours creuser. Me creuser, analyse, thérapie, questionnement du rien, du tout, de nos rêves, de notre passé embrouillé et voilé. Confrontation permanente, jusqu’à ne plus savoir. Ecouter les mots du poète Alain Suied, le passeur, le guérisseur : pars, écrit-il et tu trouveras.
La poésie de notre passeur est plus qu’une poésie de recherche et d’expression ; sans vouloir séduire, elle nous porte plus loin, dans des parages sans-lieu, dans un pays sans limites. Elle nous fait habiter dans ce pays où l’intérieur et l’extérieur se confondent ; est-ce le pays idéal ? C’est celui de notre quête intérieure, après avoir été le pays de nos rêves, le pays « idéalisé » situé entre le Jourdain et le Néguev, le pays des pionniers, des constructeurs.

Il faut du temps pour oublier le temps, les peurs de l’enfance et les secousses sismiques de l’existence à celui

…qui ne sait plus habiter
la maison de l’être

Lors de la publication de l’Histoire illustrée de l’invisible, une des trois suites intitulée préserver l’énigme, le poète rappelle que nous vivons au cœur du tourment, j’ajoute, au cœur de la grande Négation, celle qui efface tout, qui nie tout, comme si rien n’avait eu lieu.
Si chacun porte une force destructrice, son antidote nous tend les bras : le désir, le regard, l’écoute, toute l’hospitalité du monde dans un seul poème.
Le dialogue continu entre Alain et Paul Celan, entre les poèmes du premier et ceux de l’Autre, le juif notre frère, le juif du siècle passé, assassiné non pour racheter les fautes de l’humanité, mais assassiné parce qu’il était lui, simplement un juif.
Alain Suied témoigne depuis longtemps d’une lecture « trop personnelle » de l’oeuvre de Celan. Sa lecture nous touche au plus vif, oserions-nous le nier.
L’oubli nous guette. Nos paroles nous trompent : plus jamais, ça. Illusion.
Sommes-nous à la fin du temps du mal absolu, ou au commencement de l’avènement des nouveaux pharaons intégristes, religieux, politiques, économiques, se cachant parfois derrière des valeurs humanistes.
Arrive un poète renouant avec l’humain, avec les Lumières, acceptant l’alliance avec l’Inconnu, avec l’exclu, avec l’étrange étranger. Il n’offre, à première vue, aucune perspective et nous abandonne même avec le Manque, la Perte, l’Absence,

De l’autre côté, il n’y a rien
ou peut-être une blessure

Ni espoir, ni illusion !
Ecouter le monde nous appeler.
Attendre la levée du voile jeté sur l’homme, occultant la possibilité d’un dialogue avec

le paradis perdu.

Advient un Poème, l’autre face de l’Ouvert.
Evoquant dans une analyse consacrée à Dylan Thomas, le monde des poèmes, le traducteur Suied écrit, c’est le monde secret qui nous attend à la porte du rêve .
Ajoutant, c’est une TRADITION APPROCHEE DU MYSTERE D’ETRE, que nous avons oublié d’interroger.
Tenir compte de cet oubli, devient une exigence, une clé essentielle pour entrer dans l’œuvre du poète. Sa poésie arrache les masques du faux, elle nous met face au chemin du Réel .
Mais sommes-nous encore capables de supporter les siècles de refoulement auxquels les humains ont été soumis par les porteurs d’une religion monothéiste conquérante ; par une Kultur écrasant avec violence ce qu’elle refusait d’entendre ?

L‘ami Alain m’a engagé sur une voie pensante, que d’autres poètes , sur un mode différent, continuent à me dicter ,
(…)Il est temps de retrouver le passage perdu, de recomposer l’alchimie du Verbe originel, fusion des contraires, du sujet et de l’objet, du sens et de l’absurde, de l’être et de la parole de l’être, qui est le cri natif et l’écho universel de la souffrance d’échapper et d’appartenir au Divin. (Passages du témoin)
Retour à la caverne primordiale, extirpation des racines de la violence, ramener à la lumière le refoulé ancestral, renouer avec une origine à venir, fondée sur l’Ethique.
Ainsi j’entends, ici et maintenant, le poète et penseur Alain Suied.
***


Raphael Drai

Tombeau d'Alain Suied

Poésie et prière

Qu’est ce que la proximité ? Avec Alain Suied nous ne voyions pas souvent .De temps à autre nous nous rencontrions à un colloque , à une rencontre inter – religieuse , à une célébration de la poésie , à une émission de radio . Je le découvrais attentif à mon parcours . Il me savait soucieux de dialogue , dans tous les domaines de l’existence et de la pensée . La publication du premier tome de mon « autobiographie collective » : Le Pays d’avant dont il avait bien voulu rendre compte pour L’ Arche lui en avait sans doute mieux fait comprendre les raisons , à quel point ma propre existence aura été marquée par les failles , les ruptures , les départs sans retours mais aussi par les ponts , les sutures , les amitiés . Cependant , entre deux rencontres , lorsqu’il lui semblait que trop de temps avait passé , il m’envoyait faut –il dire des « lettres » qui souvent commençaient à mi -page . Il n’y était question de rien qui fût personnel , sauf à lire entre les lignes ou à conjecturer les références auxquelles ses réflexions , ses méditations , parfois ses colères spirituelles se rapportaient . Il me fallait entrer alors de plain pied dans cet écrit , comme l’on prend une conversation au vol . De son écriture sans reprises il me disait le plus souvent que l’Occident se mutilait jusqu’au tréfonds de l’âme en ne prenant pas en compte directement , courageusement , la marque d’ Israël . A ses yeux toutes les rémanences de l’antisémitisme , toutes les outrances de l’antisionisme s’expliquaient en grande partie par ce déni . Comme si l’Occident craignait de déjuger son aveuglement , à moins- et ceci lui paraissait plus grave –qu’il n’eût joui de ses erreurs au point de sans cesse les réitérer . Freud lui était d’un constant éclairage qu’il dirigeait non moins directement sur les racines chrétiennes de l’antisémitisme et de son avatar le plus contemporain , le plus masqué aussi : la haine forcenée ou intellectualisée de l’ Etat d’ Israël . Chez Alain Suied je n’ai jamais perçu ce qui m’est rédhibitoire : l’idéologie , autrement dit la pensée dégradée en système , celui qu’elle interpose , comme un écran réfractaire , entre le monde et soi . J’ai toujours lu sa poésie comme ce défouissement du réel et du vrai sous les pelletées de terres et de cendres des idéologues . Il n’en estimait pas la poésie indemne et de même que , penseur, il regrettait que Levinas fut tiré du côté d’un universalisme sans généalogie , il luttait afin que Celan fût sans cesse regardé comme un poète juif car la Shoah n’est universelle qu’à partir de cette dimension là et non pas en l’abrasant .Il y revenait souvent, douloureusement : le déni de judaïsme opérait bien par ces deux voies finalement convergentes : la haine brutale , l’ universalisme dissolvant .
Alain Suied savait aussi à quel point , si mes principaux ouvrages se situent dans le domaine des sciences humaines et sociales et dans celui de l’exégèse des textes bibliques , la poésie m’était nécessaire . Dans les années 90 , à Namur , au cours d’un colloque auquel il m’invita à la Maison de la poésie, nous eûmes les temps d’en parler plus longuement et je lui récitai un poème que j’avais écrit à Constantine pour mes 16 ans à la gloire de Victor Hugo :

« Inspiré par les Ans tu vivras comme eux ,
Poète aux cheveux blancs et au front soucieux » .

Il en fut attendri . Je lui confiai que depuis mon arrachement de l’ Algérie , dans mes « cahiers de nuit » souvent la parole poétique venait , que je transcrivais au fil de la plume . Non que pas que j’eusse cherché à « faire » de la poésie . Dans ces moments de silence seulement striés par nos éclats de mémoire c’était sous cette forme que les choses se disaient et que je les laissais se dire . Je lui avait confié également à quel point dans le domaine des sciences humaines je constatais que la parole était appauvrie , l’écriture indigente , le galimatias de mauvais aloi , comme si Montesquieu , Diderot , Rousseau , pour ne citer qu’eux , n’étaient pas , chacun selon sa manière d’écrire, ce que l’on pourrait appeler des poètes de la prose , chez qui la pensée s’avivait , circulait à son aise en leur écriture vivace , à la fois structurée et inventive . Comment expliquer un pareil assèchement ?C’est pourquoi la nuit venue ou en voyage , je lisais ou relisais les poètes , « insurrecteurs » de la parole écrite pour être dite , de Villon à Tzara , d’ Hugo à Aragon , de Celan à Suied . Il me fit comprendre aussi que la poésie n’était pas toujours conforme à l’idéal que je m’en faisais , quel était un objet d’affrontements , un champs de saisies brutales , de captures , de rapts – d’où sa vigilance vis à vis de Celan . J’en avais eu le pressentiment quelques années plus tôt lors du dévoilement de la plaque dédiée à Benjamin Fondane , rue de la Clef , à quelques pas de la maison de Descartes .
Alain Suied m’envoyait ses recueils de poèmes au fur et à mesure de leur parution . Nous ne nous tutoyions pas et cette distance me permettait de m’approcher au plus prés de cette parole illuminée de l’intérieur qui disait elle aussi l’exil , l’éloignement , le risque de se perdre , l’heur de se retrouver . Comme je l’écrivais sur mes billets de train ou mes cartes d’embarquement à Orly :

« J’ai rêvé encore de valises défaites ,
De cartons entassés , de départs imminents … »

Ne se croire jamais ni complètement abandonné , ni tout à fait arrivé … Dans ses poèmes je retrouvais ce frayage de voix nouvelles et de voies inédites . A l’instar de tous les exilés , il avait besoin d’être rassuré . En cas de besoin , je ne le rassurais pas à la manière des enfants, petits ou grands , mais en le plaçant face à sa propre parole puisque , Hugo l’a déjà dit , : « notre prière en sait plus long que nous » . De même notre poème . Alain Suied m’a dédié l’un de ses recueils : Le Natal , suite hébraïque dont il m’adressa un exemplaire « hors commerce » . Je l’ai disposé au plus haut , avec ceux de mes livres que je considère les plus précieux . A cause du mot « suite » , qui doit s’entendre au sens musical , bien sûr - la musique , y compris la plus contemporaine , constellait l’univers poétique d’ Alain Suied , mais qui s’entend également comme l’en-suite , ce qui se poursuit , ce qui se transmet d’une phrase à l’autre , d’un être présent à celui qui vient , et d’une génération à la suivante parce que ce que nous vivons c’est tout juste si les années de notre vie sauraient les contenir . Selon des synchronismes inconscients qui sont de petites merveilles d’amitié sur des terres trop vastes et des journées trop occupées, j’étais assuré que je trouverais dans ma boîte aux lettres , à un moment ou à un autre , une des ses lettres commençant à mi page , souvent accompagnée d’un programme poétique ou musical au dos duquel il me fallait être attentif à l’une de ses incises relatives à l’Occident cyclopéen . J’aurais à y entendre non pas je ne sais quel ressentiment mais l’inquiétude du clairvoyant qui sait ne pas tamiser ce que ses yeux ont vu .
Pourtant je ne savais pas qu’il était à son tour entré dans le combat contre une maladie trop souvent irréversible et irrémédiable . Je ne l’ai su qu’avec l’annonce par Bernard Koch de son départ . Il allait de soi que je l’accompagne à sa dernière demeure , comme l’on dit , au cimetière Montparnasse où le désarroi des siens accentua le mien . Désarroi dont je me repris en constatant qu’Alain Suied allait être inhumé à quelques tombes seulement de ma belle sœur emportée par un analogue mal foudroyant et que son mari suivit sans préavis . Quelques semaines après , entre Roch Hachana et Kippour , je me rendis au cimetière Montparnasse afin de réciter des psaumes et lire la Hachkaba , la prière pour le repos de l’âme des gisants , sur la tombe des membres de ma famille directe . Il allait de soi que j’aille ensuite la réciter à quelques pas de là , sur la tombe d’ Alain Suied . Cette tombe , il me fallut la chercher . Pourquoi n’ai -je pu l’identifier immédiatement ? Je cherchais une pierre tombale sur laquelle quelque verset de la Thora eût été écrit , au regard de ce que fut son oeuvre et de ce qu’elle demeure . Je la découvris enfin , sans autre inscription que ses nom , prénom , année de naissance et année de départ -une vie trop courte – et la mention « poète » qui paraissait tout dire , se suffire à elle même . Ce dépouillement était –il conforme à ses volontés ? A celles de sa famille ? Sans rien juger , ni personne , j’en fus troublé . Car dans ce carré là se trouvent tant et tant d’autres tombes dont les mentions s’effacent inexorablement avec les décennies qui s’écoulent et l’absence de visiteurs , comme si la pierre gravée était lasse elle même de se souvenir . Qu’est ce que la proximité me suis – je demandé à propos d’Alain Suied ? Elle s’atteste jusqu’en ce lieu où , dans le silence que l’on dit éternel, des paroles d’éternité elles aussi se disent , imémorielles et intimement amicales , dont il faut rappeler la teneur, approchée en son noyau :
« Meilleur est le renom plutôt que l’huile excellente et le jour de la fin plutôt que celui de l’enfantement . La fin de la chose s’entend dans la crainte révérencielle du Créateur et dans la préservation de Ses commandements . Là est tout l’ Humain . Les Justes exultent dans l’allégresse et disent leurs hymnes à l’endroit où ils reposent . Repos adéquat , dans la Haute Instance , sous les ailes de la Présence . Haut degré des Purs et des Sanctifiés .Dans la splendeur du firmament ils éclairent et irradient ; dans le délivrances des Essences et le pardon des fautes , dans l’éloignement de la Transgression et le rapprochement de la Délivrance , et dans la compassion et dans la tendresse . Devant Qui réside dans la Réponse et dans la bonne Part , dans la vie du Monde qui vient , qu’à cet endroit accède et repose l’âme du Bien Nommé Alain Suied ; que l’esprit de Dieu le fasse reposer au Gan Eden , et qu’il se détache de ce monde ci selon la volonté de Dieu maître du Ciel et de la terre ; que le Roi des Rois des Rois le prenne en grâce compatissante et qu’il le protège à l’ombre de ses Ailes de sorte qu’il goûte à la douceur de Dieu , qu’il accède à son Arche , et qu’à la fin des Temps il soit redressé , que des eaux édéniques Il l’abreuve et qu’ il implante son âme dans le tuf de la Vie . L’ Eternel est son héritage et l’accompagne de sa paix ; que là où il repose soit sa paix , comme il est écrit : « Dieu fait venir la paix et la fait reposer où il repose , lui et tous les enfants d’ Israël qui reposent ici avec lui » Qu’ainsi soit Sa volonté » .
Au cimetière Montparnasse prière et poème se rejoignent , dans cette paix qui est leur page blanch.
***

Une lettre de Sylvie Germain…

Ce n'est qu'aujourd'hui que je prends connaissance de votre message, ayant été longtemps absente de chez moi et sans accès à ma messagerie. Et je dois repartir après-demain pour deux semaines, dans des conditions qui à nouveau ne me permettront guère d'utiliser Internet, ni même de préparer sérieusement un article. Aussi je me permets de vous adresser quelques lignes improvisées, que vous retiendrez si vous pensez qu'elles peuvent convenir.
Je suis vraiment désolée de disposer de si peu de temps, mais récemment un pénible imprévu a bouleversé mon emploi du temps.

Je n'ai malheureusement jamais rencontré Alain Suied, mais à travers sa poésie, qui m'a d'emblée touchée, car 'parlé', il m'a semblé faire un peu sa connaissance. J'ai entrevu un homme d'une extrême sensibilité, portant à vif, mais avec une grande pudeur, un chagrin inconsolable (cette douleur à jamais inconsolable, im-pensable et in-compensable dont parle André Neher à propos d'Auschwitz dans "L'exil de la parole") De cette blessure, de son tourment face au monde si oublieux, Alain Suied a tenté avec une remarquable persévérance de puiser un peu de lumière, et il en a diffusé à travers son écriture toujours limpide, frôlant le silence. Une limpidité d'air et d'eau (je ne peux pas imaginer Alain Suied né sous un signe qui ne soit pas lié à l'un de ces éléments...)
Je garde, posé sur une étagère de ma bibliothèque, un "billet" numéroté, en forme de minuscule paravent de papier, où de sa main est écrit un poème dédié à J.M. Delassus, et intitulé "L'interlocuteur", qu'il avait eu la gentillesse de m'envoyer. Entre de nuageuses coulées d'encre, ces mots: "Le corps montre ses blessures et nous ne voyons pas qu'elles forment une langue inconnue et familière...."
Lui, il savait entendre, lire et écrire - à fleur de silence, toujours - cette langue s'irradiant des corps, des tréfonds de la chair et du coeur, du fond du temps. Oui, je garde ce petit paravent poétique comme un talisman - contre la tristesse de la mort trop précoce de cet homme, contre le regret de ne l'avoir pas rencontré, et pour attester discrètement, fidèlement, sa présence poétique, la garder vive.

Je me réjouis qu'un dossier soit consacré à Alain Suied, et j'espère pouvoir le découvrir sur votre site quand il sortira.

Je vous adresse mon bien amical souvenir,

Sylvie Germain




Alain Suied – Bibliographie

Poésie
• Le Silence, Mercure de France, Paris, 1970 ;
• C'est la langue, Mercure de France, Paris, 1973 ;
• L'influence invisible, Le Temps qu'il fait, Cognac, 1985 ;
• La Poésie et le Réel , L'Encre des Nuits, Paris, 1985 ;
• Harmonie et Violence , Dominique Bedou , Gourdon, 1986 ;
• Immense Inadvertance, coplas, Actuels, Seyssel, 1986 ;
• Sur les ailes du Devenir, L'Encre des Nuits , Paris, 1987 ;
• La lumière de l'origine, Granit , Paris, 1988 ;
• Le corps parle, Arfuyen, Paris, 1989 ;
• L'être dans la nuit du monde, Granit, Paris, 1991 ;
• Face au mur de la Loi, Arfuyen, Paris, 1991 ;
• Ce qui écoute en nous, Arfuyen, Paris, 1993 ;
• Le premier regard, Arfuyen-Le Noroît, Paris-Québec, 1995 ;
• L'autre nom du monde, Éditions des Moires, Paris, 1995 ;
• Le pays perdu, Arfuyen, Paris, 1997.
• L'Ouvert, l'Imprononçable, Arfuyen, Paris, 1998 ;
• Actes de présence, La Lettre Volée, Paris-Bruxelles, 1999 ;
• Rester humain, Arfuyen, Paris-Orbey, 2001 ;
• Le champ de gravité, Lettres Vives, 2002 ;
• Histoire illustrée de l'invisible, Dumerchez, 2002 ;
• L'Éveillée éd. Arfuyen, Paris-Orbey, 2004;
• Laisser partir, Arfuyen, Paris-Orbey, 2007.
Essais
• Kaddish pour Paul Celan et autres essais, Obsidiane, 1989 ;
• Paul Celan et le corps juif, William Blake, 1996 ;
• Le Juif du sujet. Paul Celan et l’amémoire occidentale, L'Improbable, 2001.
Traductions
• Dylan Thomas, Vision et prière et autres poèmes, Poésie Gallimard, 1991.
• William Blake, Les Chants de l'Innocence et de l'Expérience, éd. Arfuyen, 2002.
• Edwin Muir, Le Lieu secret, éd. L'Improbable, 2002.
• William Blake, Le Mariage du Ciel et de l'Enfer précédé de Le Livre de Thel et suivi de L'Évangile Éternel, éd. Arfuyen, 2004.
• John Keats, Les Odes, suivi de La Belle Dame sans Merci et La Vigile de la Sainte-Agnès, éd. Arfuyen, 2009.
Alain Suied a également publié des traductions de poèmes dans de nombreuses revues


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