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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2005-05-11 | |
Il m’est très difficile de dire pourquoi j’écris des poèmes. Peut-être s’agit-il d’égoïsme puisque par le biais de la poésie je deviens le centre de l'attention : en mettant mes poèmes à disposition de tous ils deviennent un moyen d’expression pour tous et cela dans l’espoir ambitieux que ces personnes se retrouvent dans mes écrits. Alors, soudain, je ne me sens plus esseulé, comme si je m’unissais à l’autre tout en restant le centre d’attention.
Et, qu’est-ce que j’écris ? J’écris sur moi, sur toi, sur nous tous, sur les choses que je n’ai aucun autre moyen d’exprimer ; sur ce qu’il y a en moi, au fond de moi ; sur les choses les plus effrayantes, sur des sujets marginaux que généralement la norme rejette. C'est une sorte de cri de peur, peur de la mort, de la maladie, de la solitude, de la souffrance et du manque d’amour. Et encore sur des sujets gênants, sur les valeurs et les comportements – ainsi que sur ma volonté et ma capacité d’aimer chaque jour. Et j’écris encore sur la beauté douloureuse d’être pleinement homme. J'écris sur ce qui est humain, sur mes faiblesses qui sont la peur, la solitude, la jalousie, la souffrance et sur le manque de pitié dans le monde. La poésie est un mode d’expression de ce qu’il y a de plus humain en nous. Elle est le filtre esthétique qui distille la peur et la rend saisissable au lecteur. Comme la musique, la peinture et la sculpture, la poésie est un art ; cependant, à mes yeux, il s’agit d’un art plus puissant, qui touche de plus près puisqu'elle n’utilise ni couleurs pures, ni sons purs, ni pâte à modeler. La poésie repose sur les mots, sur la langue - ce don divin imbibé d’histoire humaine, matérielle ou spirituelle soit-elle. La poésie comprend le mythe, la religion et la philosophie ; en utilisant la langue, elle abuse et profite de ce que contient cette langue et de ce qu’on peut y introduire. La langue touche la poésie, elle la caresse et a des rapports intimes avec elle. Et moi, je bénéficie d'un rare privilège : celui d’écrire en deux langues, en hébreu et en arabe ; oui, tel est l’ordre de préférence. J’avais commencé en hébreu puis, plus tard, en arabe. Au départ, ce choix était dû à une contrainte et plus tard c’était par amour et dévouement. Mon destin voulut que je sois Arabe-Druze né en Israël d’un père qui voulait que ses enfants soient « cultivés comme les Juifs ». Il m’a envoyé dans des écoles juives. Je me suis plié – comment aurais-je pu refuser ? - devant l’inébranlable volonté d’un père appartenant à cette société orientale et patriarche. Les premiers jours de classe à l'école juive, Madame Steiner, professeur de littérature hébraïque, m'avait dit "Ecoute bien petit… Avec un hébreu pareil tu ne tiendras pas le coup dans cette école !" Elle ne s'imaginait pas à quel point elle me faisait peur ! Etait-il possible de retourner à la maison et de dire à ce fameux père que je ne pouvais étudier là -bas ?! Ce même père qui avait envoyé son fils pour se cultiver, pour qu'il devienne médecin. Qui sait ? Peut-être se serait-il moins contenté d'un avocat mais que ça ne lui aurait pas suffi. Je n'ai pas pu rentrer. J'ai dû faire face à la terreur de Madame Steiner comme à celle de mon père. A propos, cela n'est-il pas bizarre que nous passions la moitié de notre vie à tenter de satisfaire nos parents et l'autre moitié à tenter de satisfaire nos enfants ? En fin de compte, je n'ai pas étudié la médecine et je n'aime pas du tout le droit. Mais je suis pourtant devenu professeur de littérature hébraïque et artiste dans l'illustre langue hébraïque mais pas sans provocation aussi bien d'une part que de l'autre. Un jour, alors que j'étais doctorant à l'Université de Bar-Ilan je fus surpris d'entendre un des illustres professeurs dire qu'il ne croyait pas qu'un auteur puisse écrire dans une autre langue que sa langue maternelle. Ces propos m'ont irrité alors je l'ai défié en lui demandant ce qu'il pensait de ces auteurs juifs célèbres qui écrivaient en arabe durant la période préislamique et au Moyen Age. Et que pensait-il de Ionesco le roumain qui est considéré comme un grand écrivain français, de Kaatav Yaasin, Mohamed Benis et Tahar Ben Jelloun ? Et que dira-t-il encore de ce géant juif d'origine tchèque qui écrivait en allemand : Franz Kafka ?! Et que penser de ces "nouveaux" grands poètes hébraïques dont la langue maternelle n'est pas l'hébreu ? La liste est longue. Moi j'ai le privilège d'écrire dans une langue sacrée, la première langue monothéiste qui a fondé un nouvel humaniste il y a cinq mille ans. Un jour, l'écrivain Kirghiz Tchankiz Aytmatov qui écrit en russe est venu me rendre visite. Il m'a demandé comment je me sentais en tant qu'Arabe écrivant en hébreu. Je lui ai répondu que quand j'écrivais un poème d'amour en hébreu je me sentais comme le roi Salomon, quand j'écrivais un poème de jalousie, je me sentais comme le roi David. Alors Monsieur Aytmatov opina de la tête comme s'il enviait ces personnes privilégiées qui écrivent dans la langue sacrée. La nouvelle langue hébraïque est dans la ligne directe de l'hébreu biblique. Chaque mot a une connotation et un bagage mythologique, social, spirituel et même esthétique qu'aucune autre langue ne possède. Cette langue sacrée octroie à ceux qui l'utilisent une tradition intégrale d'humanisme, de révolte, de questionnement qui est le patrimoine condensé de chaque poète véritable. Un humanisme qui constitue le caractère de l'Homme ; allant du prophète bègue hésitant… passant par le roi amoureux qui envoie le mari de sa bien-aimée à sa perte afin de pouvoir gagner le cœur de la veuve… le mensonge inoffensif d'un des plus grands patriarches… l'histoire du sacrifice d'Isaac… c'est vraiment un privilège que d'écrire en hébreu. Quant à l'écriture en arabe - malgré la richesse et la beauté de cette langue - elle est problématique. Cela est dû au conservatisme fondé sur la thèse centrale du prophète islamiste Mohammed qui s'opposa à l'écriture poétique. Il prétend que la poésie touche l'âme humaine et les problèmes humains qui sont supposés être traités par la religion. Il prétend que Satan se cache dans chaque poète, qu'il lui infuse ses écrits et cela est, en fait, de l'hérésie. Depuis, le caractère de l'écriture en arabe a changé ; elle est passée de la créativité à la technique grammaticale. Une longue tradition conservatrice s'est ainsi enracinée dans la conscience du public arabe au point qu'il rejette toute possibilité de ramener la langue arabe dans une voie créatrice qui lui permettrait de faire face à ce qu'il y a d'humain en nous. Pourtant, un mouvement moderne et post-moderne important a été instauré et, malgré les opposants, il ne renonce pas à la création en langue arabe. J'en fais partie. (Traduit de l'hébreu par Isabelle Dotan-Robinet) |
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