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Le Voyage
prose [ ]
Sur l'eau, en voyage vers soi-même (3)

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par [Salvamaria ]

2008-09-12  |     | 



2. La présence à bord est pour 19 h (14 mai 1991). J'ai laissé Dorina et, du fait que je n'ai aucune tâche à bord et que je ne connais personne, je me retire dans la cabine. Je mets de l'ordre dans mes effets afin qu'ils soient facilement accessibles. À 20 h environ, on nous annonce que le contrôle pour sortir au large va commencer. En général, à part le timonier, le capitaine et le chef de pratique, l'équipage est dans les cabines. Le protocole se déroule dans le carré des officiers; les hôtes, le commandant et le capitaine, secondés par le garçon de restaurant, accordent beaucoup d'attention aux douaniers. Ceux-ci, au cas où ils s'ennuieraient au souper, ils passeront pour le contrôle des déclarations présentées par l'équipage. Après un quart d'heure de "douane" et à l'approche du souper, je me sens impatient. Je ressens une indisposition imprévue et non désirée durant ce voyage. Alors, je m'allonge sur le lit et je laisse cette sensation s'envoler. Je réfléchis et, de temps en temps, je me questionne. Je me dis, en niant la façon dont l'acte douanier se déroulait:: il n'est pas approprié d'en nier trop, mais le pire c'est de tout vanter. Si la réalité est la lutte des contraires, tu te demandes, sans doute, quand le miroir de ton âme, te montre-t-il l'image de cette réalité? Se peut-il que la vérité soit l'obsession à la roumaine du XX-ème siècle? Je pense que "se retrouver" doit être l'obsession pour les Roumains. Tu trouveras lorsque tu ne chercheras plus. Quand tu te retrouves par toi même, tu peux arriver à connaître la vérité.

Aujourd'hui, je réalise la raison des propos d'A. Russo quand il disait: "Parce que nous nous vantons trop et nous blâmons trop les autres peuples, les Roumains vont se compter parmi les meilleurs et vont s'abîmer dans le sommeil le plus profond".

Je regarde ma montre. Il est 20 h : 30. Je sors de la cabine et je demande à un officier de grade III si je peux aller au souper.
- Non, tu ne peux pas! Les douaniers Les douaniers n'apprécieront pas du tout d'être dérangés, me répond-il.
- O.K. monsieur, comment c'était alors à la Révolution?
- La seule différence est dans le fait que maintenant ils ne se méfient plus de personne et ils te parlent ouvertement de leurs prétentions, il n'y a plus de discrétion…

Je me conforme en me retirant dans la cabine et j'attends. Je m'allonge de nouveau sur le lit sans me couvrir. Je tombe dans la rêverie. La liaison à la réalité est faite par l'image d'un compartiment froid, en route vers la maison, pendant les vacances d'hiver. Je suis un peu contrarié parce que je réalise que le rêve me donne l'occasion de me remémorer les vacances d'hiver de 1989. Dans le compartiment du train dans lequel je voyageais se trouvaient aussi deux officiers aussi deux officiers. C'était la nuit du 16/17 décembre 1989. Parce qu'ils étaient deux, je n'abordais pas les thèmes militaires, pour ne pas avoir de réponses mensongères, se méfiant l’un et l’autre. J'avais une question à leur demander, mais je n'ai pas osé. Quel est l'état d'esprit dans l'armée ? Un des deux officiers descendait à Fagaras. Cette question a resurgi dans mon esprit, mais le dialogue s'est limité au foot, au froid dans les trains, dans les maisons et dans les casernes.

Je me retrouve avec Dorina en route vers Timisoara, dans le train omnibus presque vide à 8 h (18 décembre 1989). Dans notre wagon, un groupe de cinq jeunes parlait en murmurant et en me regardant avec appréhension. Tout ce que je veux c'est d'avoir des nouvelles de Timisoara. Je savais, en écoutant la radio Europa Libera, qu'à Timisoara avait commencé la Révolution. Mon père m'avait conseillé de rester à la maison, mais il ne s'est pas opposé quand je lui ai dit que, si à Timisoara il y a la révolution, tant mieux, nous devrions y aller. Arrivés à Timisoara, à la gare, une atmosphère de guerre règne. Je n'ai peur de rien, car j'ignore l'état actuel des événements.

Sur une ligne secondaire, il y a un train de marchandises et, à chaque porte coulissante ouverte, trois ou quatre miliciens ont une arme automatique sur la hanche, braquée vers les voyageurs. Ils promènent leur regard sur les quelques dizaines de voyageurs qui sont descendus du train. En bas, dans le tunnel, la patrouille arrête les 5-6 Tziganes avec des enfants accrochés à leur cou ou à leur jupe longue et colorée. La plus jeune lance l'appel suivant: « Frères roumains, venez ici! Si c'est pour mourir, mourons tous ensemble! » L'adjudant, qui dirige la patrouille, essaie de la calmer, en lui assénant des coups dans le ventre avec le canon du fusil et en menaçant de lui tirer dessus.

Dans le train, les voyageurs sont silencieux, mais heureux d'être laissés en paix, chacun vaque à ses affaires. Une des Tziganes menacées se calme elle aussi et se soumet au contrôle. Je me retrouve entre deux sentiments: le blâme à l'endroit de l'armée qui, à ma connaissance, n'a pas reçu l'ordre d'agir ainsi et le deuxième sentiment est lié à l'appel catégorique de la Tzigane.

À la sortie, la gare est clôturée par deux chars légers et des militaires qui patrouillent avec les mitrailleuses à la ceinture, en position horizontale et des casques sur la tête. Comme un automate, je relie cette image aux troupes nazies. Les gens passent dans ce paysage comme si tout est à sa place. Je dis à Dorina que j'ai l'impression que les nouvelles transmises par radio Europa Libera sont exagérées en parlant d'une Révolution. Ma belle-mère me convaincra que l'armée a fait feu sur la population - incluant des hélicoptères.

Le centre-ville nous présente un tableau horrifiant. Les kiosques à journaux du Parti sont brûlés, les vitrines cassées, les volumes de Ceausescu, en cendre et j'en passe. Je suis fier d'avoir une épouse qui vient de cette ville où la Révolution a commencé. Je ressens beaucoup d'agitation. Par endroits, des passants chuchotent au coin de la rue. Près du Bureau de Poste du centre-ville, les soldats, affectés à la garde des frontières, forment un cordon de troupes. Autour de l'Opéra c'est le même paysage. Nous allons vers l’Hôtel Continental et l'Agence de voyages pour chercher les billets de retour à Arad. Chemin faisant, nous constatons avec stupéfaction et tristesse les dégâts: des trolleybus brûlés, aux vitres cassées, kiosques en cendre etc.. J'ai l'audace de demander à un soldat s'il défend quelque chose. Comme je ne reçois aucune réponse, j'insiste: attaquez-vous quelque chose? Il me regarde de travers. Dorina me fait signe de me calmer. Nous arrivons à l'Institut de Recherche Scientifique de Timisoara. Le portier nous informe qu'il est défendu de dialoguer avec les salariés. Je lui dis que nous venons de Constanta et sommes à la cherche du frère de Dorina. Alors, d'un clin d'œil, il nous invite à attendre sur le trottoir.


En quelques minutes, nous avons près de nous toute la famille de mon beau-frère. Il m'avoue qu'à Timisoara se trouvent Coman, Stanculescu, Guse, Pacoste, pour entamer des négociations, mais la population de Timisoara refuse d'être trompée. Elle demande la grève générale et, à la veille de la Nouvelle Année, la chute de Ceausescu est inévitable. Il nous dit que les actions des hooligans ont été faites par les détenus libérés à la demande des organismes de répression, pour compromettre le mouvement populaire.

Nous retournons au centre-ville pour savourer l'annulation de la propagande de parti. La Place de l'Opera est entourée par l'armée et les troupes de soldats des frontières. Dans les coins de rues, des civils en habits de cuir sont armés jusqu'aux dents. Devant la Cathédrale, j'ai l'impression de voir ces civils comme s'ils étaient découpés de l'image d'une troupe de SS. Je les regarde... forts, grands, la nuque rouge, craquant d'énergie et fiers d'eux-mêmes. Ils ont l'air d'intimider la population qui devient de plus en plus agitée. Dégoûté par un tel paysage, je dis à Dorina: je ne sais pas si ces individus se rendent compte que dans peu de temps ils devront se cacher. Ils vont faire en sorte qu'ils ne soient plus reconnus. J'ai parlé pour être entendu et, en plus, j'ai fini la phrase en jetant les carnets de parti dans la poubelle la plus proche. Ceux qui font partie du groupe n'ont aucune réaction, ni à mes paroles, ni à la suite de mon geste. Je réalise alors que leur parade est une forme de manifestation de peur, et non de force.

À la gare, nous sommes arrivés en même temps que la surprise. Le train est bondé d'étudiants. Il est 15 h 30. Le train se met en marche cinq minutes plus tard. Aux alentours de la gare, du côté du parc, on entend des rafales d'arme à feu automatique. Les étudiants, dans les compartiments de train, avouent qu'ils avaient entendu de tels coups de feu toute la nuit. Ils racontaient comment un peloton de l'armée était arrivé la veille (donc, le 17 décembre 1989) dans les maisons d'étudiants. Là-bas, les étudiants et les professeurs, à l'entrée du foyer, discutaient sur les événements du centre-ville. Un peloton de l'armé se positionne pour tirer à bout portant. Il y a eu des victimes, surtout des étudiantes, les garçons, ayant reçu l'ordre de se couchent par terre. Quand ils arrivent pour se réfugier dans le foyer, le peloton de l'armée continue à mitrailler les vitres de la maison d'étudiants. Le 18 décembre, les étudiants partent en vacances car, dans les foyers, les conditions pour y habiter sont devenues très précaires.

Bucarest, le 21 décembre 1989 (...) En route chez les Vuza, je vois des camions pleins de manifestants. La situation paraît étrange. Je remarque des pancartes sur lesquelles je lis des slogans qui condamnent les nervis ("huligani") de Timisoara. Je crie : Canailles! Saligauds! Je n'entends aucune réplique. Peut-être pensaient-ils que mes injures s'adressaient aux manifestants. Chez les Vuza on me conseille la prudence. (...) j'apprends que la Place de l'Université est bondée de manifestants. À notre arrivée, surprise! L'endroit est vide. Du côté de la Gallérie Horizon j'entends du bruit et je vois beaucoup de monde; la Place du Palais est occupée... mes "amis" vous êtes ici! Voyons donc, qu'est-ce que vous êtes capables "d'inventer"!

(...) À 13h, chez le peintre Stefan Câltia, nous regardons la télé quand son frère nous annonce qu’à 13 h 30 environ, le meeting tournera contre Ceausescu. (...) Le chauffeur du taxi, surexcité, nous avoue que dans le centre-ville on entend des coups de fusil. À la Gare du Nord, la situation est calme, à Constanta, également. À 22 h je suis de passage chez des connaissances pour leur raconter l'état d'esprit dans le pays. Tous sont sceptiques. Je doute que la situation se calme, en attribuant alors, soi-disant le trouble, aux forces extérieures, et non à celles de l'intérieur du pays.








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note: traduit du roumain d'après "Voiajul" (Le Voyage) - de Ioan Mircea Popovici, livre paru chez Muntenia, 1994

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