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■ Voir son épouse pleurer
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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2011-11-18 | | Inscrit à la bibliotèque par Dolcu Emilia
Jusqu’à l’hiver dernier, ma vie fut la vie tranquille et studieuse dont j’ai tâché de te donner une faible image. Dans les premiers jours du mois de décembre 1829, je rencontrai Rastignac.
Malgré le misérable état de mes vêtements, il me donna le bras et s’enquit de ma fortune avec un intérêt vraiment fraternel… Alors, je lui racontai brièvement et ma vie et mes espérances. Il se mit à rire, me traita d’homme de génie, de sot, d’enfant. Sa voix gasconne, son expérience du monde, l’opulence qu’il devait à son savoir-faire agirent sur moi d’une manière irrésistible. Il me fit mourir à l’hôpital, méconnu comme un niais, conduisit mon propre convoi, me jetant dans le trou des pauvres. Il me parla de charlatanisme. Avec cette verve aimable qui le rend si séduisant, si entraînant, il me montra tous les hommes de génie comme des charlatans, et me déclara que j’avais un sens de moins, une cause de mort, si je restais, seul, rue des Cordiers. Je devais aller dans le monde, égoïser adroitement, habituer les gens à prononcer mon nom et me dépouiller moi-même de l’humble monsieur qui messeyaiat à un grand homme de son vivant. - Les imbéciles, s’écria-t-il, nomment ce métier-là , intrigue, les gens à morale le proscrivent sous le mot de vie dissipée. Ne nous arrêtons pas aux hommes, interrogeons les choses et les résultats ?Tu travailles, toi ?... tu ne ferais rien ! La dissipation, mon cher, est un système politique. La vie d’un homme occupé à manger sa fortune devient souvent une spéculation. Il place ses capitaux en amis , en plaisirs, en protecteurs, en connaissances… Un négociant risque-t-il un million ?... pendant vingt ans, il ne dort, il ne boit, ni ne s’amuse, il couve son million, il le fait trotter par toute l’Europe ; il s’ennuie, se donne à tous les démons que l’homme a inventés ; puis une faillite le laisse sans un sou, sans un nom, sans un ami. Le dissipateur, lui, s’amuse à vivre, à faire courir ses chevaux ; et, si, par hasard, il perd ses capitaux, il a la chance d’être nommé receveur général, de se marier, d’être attaché à un ministre, à un ambassadeur… Il a encore des amis, une réputation, et toujours de l’argent… Connaissant les ressorts du monde, il les fait jouer à son profit. Est-ce logique, ou suis-je fou ?... N’est-ce pas la moralité de la comédie qui se voit tous les jours dans le monde ?... - Ton ouvrage est achevé, reprit-il après une pause. Tu as un talent immense !... Eh bien ! ce n’est rien. Voilà le point de départ. Il faut maintenant faire ton succès toi-même, cela est plus sûr. Tu iras conclure des alliances avec les coteries, conquérir des prôneurs… Moi, je veux me mettre de moitié dans ta gloire, être le bijoutier qui aura monté ton diamant. - Pour commencer, dit-il, sois ici demain soir. Je te présenterai dans une maison où va tout Paris, notre Paris à nous : les beaux, les gens à millions, les célébrités, les hommes qui parlent d’or comme Chrysostome. Quand ils ont adopté un livre, le livre devient à la mode ; et, s’ils est réellement bon, ils ont donné quelque brevet de génie sans le savoir. Si tu as de l’esprit, mon cher enfant, tu feras toi-même la fortune de ta Théorie, en comprenant mieux la théorie de la fortune… En un mot, demain soir, tu verras Fœdora ! La belle comtesse Fœdora, la femme à la mode. - Je n’en ai jamais entendu parler. - Tu es un Caffre !... dit Rastignac en riant. Ne pas connaître Fœdora !... Une femme à marier qui possède quatre-vingt mille livres de rentes et qui ne veut de personne ou dont personne ne veut !... Espèce de problème féminin, une Parisienne à moitié Russe, une Russe à moitié Parisienne !... Une femme chez laquelle s’éditent toutes les productions romantiques qui ne paraissent pas… La plus belle femme de Paris, la plus gracieuse… Tu n’es même pas un Caffre, tu es la bête intermédiaiare qui sépare Le Caffre de l’animal. Adieu, à demain… Il fit une pirouette et disparut sans attendre ma réponse, n’admettant pas qu’un homme raisonnable pût refuser d’être présenté à Fœdora. Comment expliquer la fascination d’un nom ?... FŒDORA !... Ce nom me poursuivit comme une mauvaise pensée, avec laquelle on cherche à transiger !... Une voix me disait : - Tu iras chez Fœdora ! Et j’avais beau me débattre avec cette voix et lui crier qu’elle mentait, elle écrasait tous mes raisonnements avec ce nom : - Fœdora. Mais ce nom, cette femme étaient les symboles de tous mes désirs et le thème de ma vie. Le nom réveillait les poésies artificielles du monde, en faisant briller les fêtes, la vanité, les clinquants ; la femme m’apparaissait avec tous les problèmes de passion dont je m’étais affolé. Ce n’était peut-être ni la femme ni le nom, mais tous mes vices qui se dressaient debout dans mon âme pour me tenter de nouveau. La comtesse Fœdora, riche et sans amant, résistant à des séductions parisiennes !... C’était l’incarnation de mes espérances, de mes visions. Je me créai une femme, je la dessinai dans ma pensée, je la rêvai. Pendant la nuit, je ne dormis pas, je devins son amant, je fis tenir une vie entière, une vie d’amour en peu d’heures. J’en savourai les fécondes et pures délices. Le lendemain, incapable de soutenir le supplice d’attendre longuement la soirée, j’allai louer un roman, et je passai la journée à le lire, me mettant ainsi dans l’impossibilité de penser, de mesurer le temps. Pendant ma lecture, le nom de Fœdora retentissait en moi, comme un son que l’on entend dans le lointain, qui ne vous trouble pas, mais qui se fait écouter… Je possédais heureusement encore, un habit noir et un gilet blanc assez honorables ; puis, de toute ma fortune, il me restait environ trente francs que j’avais semés dans mes hardes, dans mes tiroirs, enfin de mettre entre une pièce de cent sous et mes fantaisies, la barrière imposante d’une recherche et les hasards d’une circum-navigation dans ma chambre. Au moment de m’habiller, je poursuivis mon trésor à travers un océan de papiers. La rareté du numéraire peut te faire concevoir tout ce que mes gants et mon fiacre emportèrent de richesse : ils mangèrent le pain de tout un mois. Mais nous ne manquons jamais d’argent pour nos caprices ; nous ne discutons que le prix des choses utiles et nécessaires. Nous jetons l’or avec insouciance à des danseuses, et nous marchandons un ouvrier dont la famille affamée attend le paiement d’un mémoire. Il semble que nous n’achetions jamais le plaisir assez chèrement. Je trouvai Rasignac fidèle au rendez-vous. Il sourit de ma métamorphose, m’en plaisanta ; puis, tout en allant chez la comtesse, il me donna de charitables conseils sur la manière de me conduire chez elle. Il me la peignit avare, vaine et défiante ; mais avare avec faste, vaine avec simplicité, défiante avec bonhomie. - Tu connais mes engagements, me dit-il. Tu sais combien je perdrais en changeant d’amour. En observant Fœdora, j’étais désintéressé, de sang-froid, mes remarques doivent être justes. Or, en pensant à te présenter chez elle, je songeais à ta fortune : ainsi prends garde à tout ce que tu diras. Elle a une mémoire cruelle. Elle a une adresse à désespérer un diplomate, à deviner le moment où il dit vrai. Entre nous, je crois qu’elle n’a jamais été mariée. L’ambassadeur de Russie s’est mis à rire lorsque je lui ai parlé d’elle ; il ne la reçoit pas et la salue fort légérement quand il la remarque au bois. Cependant, elle est de la société de madame de F…, va chez mesdames de N…, de V…. En France, sa réputation est intacte. La maréchale de ***, la plus collet-monté de toute la coterie bonapartiste, l’invite à passer la saison à sa terre. Beaucoup de jeunes fats et même le fils d’un pair de France, lui ont offert un nom en échange de sa fortune, elle les a tous poliment éconduits. Peut-être sa sensibilité ne commence-t-elle qu’au titre de comte ! N’es-tu pas marquis ?... Ainsi, marche en avant si elle te plaît ! Voilà ce que j’appelle donner mes instructions. Cette plaisanterie me fit croire que Rastignac voulait rire et piquer ma curiosité, de sorte que ma passion improvisée était arrivée à son paroxisme quand nous nous arrêtâmes devant un péristyle orné de fleurs. En montant un vaste escalier tapissé, où je remarquai toutes les recherches du confortable anglais, le cœur me battit ; et j’en rougissais ; car je démentais mon origine, mes sentiments, ma fierté. J’étais sottement bourgeois. Mais je sortais d’une mansarde, après trois années de pauvreté, ne sachant pas encore mettre au-dessus des bagatelles de la vie, les trésors acquis, les immenses capitaux intellectuels qui vous font riche en un moment, quand le pouvoir tombe entre vos mains, sans vous écraser parce que l’étude vous a formé d’avance aux luttes politiques. |
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