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Poezii Românesti - Romanian Poetry

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La peau de chagrin
prose [ ]
XIIIa

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par [Honoré_de_Balzac ]

2010-12-04  |     |  Inscrit à la bibliotèque par Dolcu Emilia




- Si ces Messieurs veulent passer dans le salon, le café les y attend!...
Et les portes s’ouvrirent.
En ce moment, presque tous les convives se roulaient au sein de ces limbes délicieuses, où les lumières de l’esprit s’éteignent, où le corps delivré de son tyran, s’abandonne aux joies délirantes de la liberté.
Les uns, arrivés à l’apogéé de l’ivresse, restaient mornes et péniblement occupés à saisir une pensée qui leur attestât leur propre existence; les autres, plongés dans le marasme produit par une digestion alourdissante, niaient le movement; d’intrépides orateurs disaient encore de vagues paroles dont ils ne comprenaient pas, eux-mêmes , le sens; puis, quelques refrains retentissaient comme le bruit d’une mécanique obligée d’accomplir sa vie factice et sans âme. Le silence et le tumulte s’étaient bizarrement accouplés.
Néanmoins, en entendant la voix sonore du valet qui, à défaut d’un maître, leur annonçait des joies nouvelles, ils se levèrent entraînés, soutenus ou portés les uns par les autres.
Mais la troupe entière resta, pendant un moment, sur le seuil de la porte, immobile et charmée. Les jouissances excessives du festin pâlirent devant le chatouillant spectacle que l’amphitryon offrait au plus voluptueux de leurs sens.
Sous les étincelantes bougies d’un luster d’or, autour d’une table chargée de vermeil, un groupe de femmes se présenta soudain aux convives hébétés, dont les yeux s’allumèrent comme autour de diamants.
Riches étaient les parures, mais plus riches encore étaient ces beautés éblouissantes devant lesquelles disparaissaient toutes les merveilles de ce palais. Les yeux passionnés de ces créatures, prestigieuses comme des fées, avaient encore plud de vivacité que les torrents de lumière qui faisaient resplendir les reflets satinés des tentures, la blancheur des marbres, les saillies délicates des bronzes et la grâce des draperies joyeuses. Rien ne pouvaient effacer l’éclat de ces figures, les couleurs agaçantes des robes faciles et la vigoureuse mollesse des formes entrelaçees avec coquetterie. Le cœur brûlait à voir les contrastes de leurs coiffures mouvantes et de leurs attitudes, toutes diverses d’attrait et de caractère. C’était une haie de fleurs mêlées de rubis de saphirs et de corail; une ceinture de colliers noirs, sur des cous de neige; des écharpes légères flottaient comme les flammes d’un phare; des turbans orgueilleux; des tuniques modestement provoquantes. Elles offraient des séductions pour tous les yeux, des voluptés pour tous les caprices.
Posée à ravir, une danseuse semblait être sans voile sous les plis onduleux du cachemire. Là une gaze diaphane, ici la soie chattoyante cachaient ou révélaient des perfections mystérieuses. De petits pieds étroits parlaient d’amour, des bouches fraîches et rouges se taisaient. Il y avait des jeunes filles frêles et décentes, vierges d’hier, dont les jolies chevelures respiraient une religieuse innocence. Puis, des beautés aristocratiques au regard fier, mais indolentes, mais fluettes, maigres, grâcieuses, penchaient la tête comme si elles avaient de royales protections à faire acheter.
Une Anglaise, blanche et chaste, figure aérienne, descendue des nuages d’Ossian, ressemblait à un ange de mélancolie, à un remord fuyant le crime.
La Parisienne, dont toute la beauté gît dans une grâce indescriptible, vaine de sa toilette et de son esprit, armée de sa toute-puissante faiblesse, souple et rieuse, syrène sans cœur et sans passion, mais qui sait artificieusement créer les trésors de la passion et contrefaire les accents du cœur, ne manquait pas à cet escadron périlleux, où brillaient encore les Italiennes tranquilles en apparence et consciencieuses dans leur félicite; de riches Normandes, aux formes magnifiques; des femmes méridionales, aux cheveux noirs, aux yeux bien fendus.
Vous eussiez dit les beautés de Versailles convoquées par Lebel, ayant, dès le matin, dressé tous leurs pièges, arrivant, comme une troupe d’esclaves orientales, réveilées par la voie du marchand, pour partir à l’aurore.
Elles restaient interdites, honteuses, et s’empressaient autour de la table comme des abeilles bourdonnant à l’entrée d’une ruche. Cet embarrass craintif, reproche et coquetterie tout ensemble, accusait et séduisait. C’était puduer involontaire. Un sentiment que la femme ne dépouille jamais complètement leur ordonnait de s’envelopper dans le manteau de la vertu pour donner plus de charmes et de piquant aux prodigalités du vice.
Aussi, la conspiration ourdie par le maître du logis échoua-t-elle. Ces homes sans frein furent subjuguées tout d’abord par la puissance majestueuse dont la femme est investie. Un murmure d’admiration résonna comme la plus douce musique. L’amour n’ayant pas voyagé de compagnie avec l’ivresse, au lieu d’un ouragan de passions, les convives surpris dans un moment de faiblesse s’abandonnèrent aux délices d’une douce extase.
Obéissant à la poésie qui les domine toujours, les artistes étudièrent avec bonheur les nuances délicates qui distinguaient ces beautés choisies.
Réveillé par une pensée, due peut-être à quelque émanation d’acide carbonique qui se dégageait du vin de Champagne, un philosophe frissonnait en songeant aux malheurs qui amenaient là ces femmes dignes autrefois des plus purs hommages… Chacune d’elles avait, sans doute, un drame sanglant à raconter; Presque toutes apportaient d’infernales tortures, et traînaient après elles des hommes sans foi, des promesses trahies, des joies rançonnées par le malheur…
Les convives s’approchèrent d’elles avec politesse, et des conversations aussi diverses que les carctères s’établirent. Des groupes se formèrent. Bientôt, vous eussiez dit d’un salon où les jeunes filles et les femmes vous offrant aux convives, après le diner, les secours que le café, les liqueurs et le sucre prêtent aux gourmands embarrassés dans les travaux d’une digestion récalcitrante. Puis quelques rires éclatèrent… Le murmure augmenta. Les voix s’élevèrent. L’orgie, domptée pendant un moment, menaçait par intervalles de se réveiller. Ces alternatives de silence et de bruit avaient une vague ressemblence avec une harmonie de Beethoven.
Assis sur un mœlleux divan, les deux amis virent d’abord arriver près d’eux une grande fille admirablement bien proportionnée, superbe en son maintien, de physionomie assez irrégulière, mais perçanate, mais impétueuse, et qui saisissait l’âme par de vigoureux contrastes. Sa chevelure noire, artistement mise en désordre semblait avoir déjà subi les combats de l’amour et retombait en boucles capricieuses sur ses puissantes épaules, qui offraient des perspectives attrayantes à voir. De longs rouleaux bruns enveloppaient à demi son cou majestueux, sur lequel la lumière glissait par intervalles, en révélant la finesse des plus jolis contours. Sa peau, d’un blanc mat, faisait ressortir les tons chauds et animés de ses vives couleurs. L’œil armé de longs cils, lançait des flammes hardies, étincelles d’amour; et la bouche, humide, entr’ouverte, appelait le baiser. Elle avait une taille forte, mais lascive. Son sein, ses bras étaient largement développés, comme ceux des belles figures de Carrache; néanmoins elle paraissait leste, souple, et sa vigueur supposait l’agilité d’une panthère, comme la mâle élégance de ses formes en prommettait des voluptés dévorantes.
Quoiqu’elle dût savoir rire et folâtrer, ses yeux effrayaient la pensée. Semblable à ces prophétesses agitées par un démon, elle étonnait plus qu’elle ne plaisait. Toutes les expressions passaient par masses et comme des éclairs sur sa figure mob ile. Peut-être eût-elle ravi des gens blasés, mais un jeune homme l’eût redoutée. C’était une statue colossale, tombée du haut de quelque temple grec, sublime à distance; vue de près, grossière; et, cependant sa foudroyante beauté devait réveiller les impuissants, sa voix charmer les sourds, ses regards ranimer de villeux ossements.
Émile la comparait vaguement à une tragédie de Shakespeare, espèce d’arabesque admirable, où la passion éclate, où la joie hurle! Où l’amour a je ne sais quoi de sauvage, où la magie de la grâce et du bonheur succède aux sanglants tumultes de la colère; monstre qui sait mordre et caresser, rire comme un démon, pleurer comme les anges, improviser dans une seule étreinte toutes les şÃ©ductions de la femme, excepté les soupirs de la mélancolie et les enchanteresses modesties d’une vierge, puis, en un moment, rugir, se déchirer les flancs, briser sa passion, son amant; enfin se détruire elle-même comme fait un peuple insurgé.
Vêtue d’une robe en velours rouge, elle foulait d’un pied insouciant quelques fleurs déjà tombées de la tête de ses compagnes; et, d’une main dédaigneuse, elle tendait aux deux amis un plateau d’argent. Fière de sa beauté, fière de ses vices peut-être, elle montrait un bras éblouissant, d’une admirable rondeur, et qui se détachait vivement sur le velours. Elle était là comme la reine du plaisir, comme une image de la joie humaine, cette joie qui dissipe les trésors amassés par trois générations, qui rit sur les cadavreas, se moque des aïeux, broie des trônes, transforme les jeunes gens en vieillards, et souvent les vieillarde en jeunes gens; de cette joie, permise seulement aux géants fatigués du pouvoir, éprouvés par la penséé, ou pour lesquels la guerre est devenue comme un jouet.
- Comment te nommes-tu,? … lui dit Raphaël.
- Aquilina!
- Oh! Oh! tu viens de Venise sauvée! … s’écria Émile.
- Oui! répondit-elle. De même que les papes se donnent de nouveaux noms, en montant au dessus des hommes, j’en ai pris un en m’élevant au dessus de toutes les femmes.
- As-tu donc, comme ta patronne, un noble et terrible conspirateur qui t’aime et sache mourir pour toi? … dit vivement Émile, réveillé par cette apparence de poésie.
- Je l’ai eu! … répondit-elle, mais la guillotine était ma rivale. Aussi, je mets toujours quelques chiffons rouges dans ma parure, pour que ma joie n’aille jamais trop loin…
- Oh! Si vous lui laissez raconter l’histoire des quatre jeunes gens de la Rochelle, elle n’en finira pas!... Tais-toi donc, Aquilina!... Les femmes n’ont-elles pas toutes un amant à pleurer? Mais toutes n’ont pas comme toi, le bonheur de l’avoir perdu sur un écahafaud!... Ah! j’aimerai bien savoir le mien couché dans une fosse à Clamart que près d’une rivale…
Ces phrases si cruellement logiques furent prononcées d’une voix douce et mélodieuse, par la plus innocente, la plus jolie et la plus gentille petite créature qui, suivant l’expression d’Horace Walpole, fût jamais sortie d’un œuf enchanté…
Elle était venue à pas muets, et montrait une figure délicate, une taille grêle, des yeux bleus ravissants de modestie, des tempes fraîches et pures. Une naïade ingénue, s’échappant de sa source, n’est pas plus timide, plus blanche, ni plus naïve…
Elle paraissait avoir seize ans, ignorer le mal, ignorer l’amour, ne pas connaître les orages de la vie, et venir d’une église où elle aurait prié les anges d’obtenir avant le temps son rappel dans les cieux…


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