Depuis septante ans, le soleil me tanne la peau, je suis donc sensible et même photosensible ! on me dit biodégradable jusqu’à l’os ; je suis effectivement conservable dans le formol et la mémoire des parents et des amis très chers ; je suis empalable avec le pieu de mes nuits blanches et empaillable avec le chaume des mauvais jours.

Ce qui fait de moi semble-t-il un être vivant !

Je suis plastinable en joueur de baseball, moi qui ai toujours eu une sainte horreur du plastique et des sports d’équipe ! Je suis présentable en écorché vif, exposable en chair et en mots, consommable à la sauce aigre-douce, pauvre et fragile, détériorable sous la pluie et les larmes, et surtout cassant au froid.

Je suis critiquable, aimable et détestable aussi ; plein de contradictions et d’idées fixes et noires, connectable et même connecté. Je pense et donc je suis jetable aux vents, abîmable et friable au temps qui passe et repasse par mes interstices; je suis écartelable et écartelé sur des espaces urticants, endommagable au chaud et fragilisé par le monde ambiant.

Je suis pensionnable et même déjà pensionné, consultable parfois, assurable et assuré, mais jamais rassuré ! certainement encodable et déjà sur encodé, mais difficilement reprogrammable ; facebooké de long en large, photographié sous toutes les coutures et scanné en toutes mes ratures...

Entre les astrologues, les prophètes de malheur et les médecins, je suis mis en symptômes, en fiche, en boîte, en disques durs, en rayons et puis couvert d’attentes, de chiffres, de code-barres, d’étiquettes et de préjugés …

Alors, écoutez-moi bien !

Je refuse en plus d’être valorisé et reconnu, estimé en bourse, mis sur un piédestal. Je décline le soleil et je repousse la séduction, l’avoir et le pouvoir.

Ne comptez surtout pas sur moi pour me laisser mettre en page, pour me laisser relier tout cuir avec de la dorure en tranche.

Oui, écoutez-moi bien !

Tout n’est que poussière et tout change en ce monde, je refuse d’être commercialisé, mis à l’index des bibliothèques et présenté aux vitrines des libraires.

À vos séances de dédicace et à vos tristes académies, plutôt choisir l’anonymat de la feuille portée par le vent d’automne ; plutôt que l’audimat, choisir la réalité de l’eau qui coule sans se faire d’illusion et le gommage comme programmation; choisir la dépossession comme jet et comme projet. Choisir au fil du vent l’oubli progressif et le dépouillement que toute vie demande.

En matière de promotion, plutôt opter pour la discrétion, l'humilité, la naissance au lieu de la reconnaissance ; plutôt mourir incognito, laissant mon «moi je » ridicule se dissoudre au fil du temps, tout comme les mots s’effacent et se décomposent et disparaissent les gens et les encres les plus sympathiques...