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La page blanche
personnelles [ ]

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par [Reumond ]

2011-11-13  |     | 



Résumé :

C’est lors d’une nuit blanche, sans écriture aucune, sans rêve et sans la moindre rature, que l’idée a germé dans ma petite tête de poète blanc-bec. Mais, c’est la nature même du vide, engendré par le souffle, que d’être blanc comme le silence.

Comme il y aurait une « non-couleur », cette réflexion sur la page blanche, se présente comme une sorte de voyage initiatique au cœur même du « non-écrit », ou plutôt, sous la forme d’une méditation autour d’un Produit Brut (P.B.), celui d’une simple page vierge ou celui d’un bloc de marbre brut.

Alors, quand l’insomnie vous guettera vous aussi, vous ne pourrez qu’attendre l’aube, cette grande page ouverte sur le monde, là où les angoisses semblent disparaitre dans un bain de la lumière, et où tout peut s’éclaircir de nouveau.

Mais en même temps, une veille, si longue soit-elle, ne manque pas de contenu ni même de poésie, comme un produit originel ne manque ni de puissance, ni d’innocence.

C’est dans ces moments-là, déterminants à souhait, que le bloc de marbre, la page vide ou la toile blanche vous parlent ; c’est dans cet instant de gravité, qu’elles se révèlent à vous d’une part, comme espaces vierges, où tout est virtuellement possible, et que d’autre part, elles vous révèlent vos propres potentialités au cœur d’un non-dit qui se montre fécond.

Mot-clef :

Marbre, page ou toile blanche, sculpture, écriture ou peinture; virtuelle, vide ou pleine, zen, absence et présence, silence, contemplation, virginité …,

Dédicace :

Aux calligraphes qui connaissent par cœur ces zones médianes et cet état limite, dit frontière ténue, à l’articulation du visible et de l’invisible, du réalisé et du réalisable, dans ce qui est déjà consommé, ce qui est en train de s’accomplir et ce qui ne l’est pas encore.

Moratorium :

De la place des mots dans une société de la surabondance, et pour un moratoire au sujet d’une certaine saturation littéraire.

Introduction :

En Hébreux, le temps n’existe pas comme chez nous ! Le temps, en effet, c’est un effet de style sur un effet de page ou de cadran. Ainsi, hier ou demain, qui sait les faits ? Dans l’instant même, c’est comme dans un ossuaire ou la vie comme la parole transcende la réalité, traverse une matière osseuse, qui nous semble inerte, mais qui pourtant est tellement chargée de souvenirs, que l’on pourrait en écrire des milliards de milliards de biographies.

À Denfert Rochereau, dans les catacombes parisiennes, par une belle journée ensoleillée de Toussaint, j’ai écouté sur mon MP3 les leçons de ténèbres de Couperin, tout en méditant, selon les préceptes de maître Rabelais, sur la blancheur des os et sur celle des pages blanches.

« Par curieuse leçon et méditation fréquente, rompre l’os et sugcer la sustancifique mouelle » (2)

Et si, par curieuses leçons et de quotidiennes méditations, je pouvais parvenir à écrire le silence ou à peindre le vide ?

Et si, par les épreuves liées aux cours mêmes de la vie, je pouvais, avec l’aide de cette oraison du vide, ne plus souiller la page blanche.

Et si, avec la même dévotion que le chien qui contemple l’os des choses, en philosophe né selon Platon, je pouvais m’effacer.

Voyez,

« Avec quelle ferveur il le tient (pour présent), avec quelle prudence il l’entame, avec quelle passion il le brise, avec quel zèle il le suce. » (2)

Pour obtenir juste un peu de moelle ; juste un peu de temps pour retrouver le blanc.



LA PAGE BLANCHE

« Votre navigateur ne prend pas en charge les cadres insérés ou est actuellement configuré pour ne pas les afficher… »

Pages blanches …

L’ordinateur donne son avis, il s’affiche, espace libre 100%, fichier vide, dossier inoccupé, mots dépeuplés, lieu inoccupé, encre blanchie à chaud, place vacante des alphabets dés alphabétisés…,

Au paradoxe des « Pages blanches » des annuaires quelconques, qui sont saturés de nombres, pleins de lettres à vomir l’alphabet.

La page blanche se livre aux caprices des gamins, leur insolence la couvre de honte… Que ferais-je pour la délivrer ?

Que faire pour la restaurer, la remettre virginale comme l’aube efface la nuit ?
Comment l’affranchir de la main du malin, de l’écrit vain, du juron de l’ennemi, et d’imbuvables encres en forme de poème, de mauvais jeux de maux, de romans licencieux, d’images lascives et d’exécrables maux de mots ?

En quoi ai-je failli à mon appel de gardien, en quoi ai-je courbé le coude pour participer moi-même au crime de lèse majuscule ; en quoi ai-je manqué de vigueur pour arrêter la main avant l’impact, avant la plume au papier consommé, bien avant le mot consumé d’italiques blessures ?

Pourtant, à peine sorti du ventre de ma mère, à la proue des chairs sanguinolentes, je suivais le fil rouge; au bout du cordon, je voulais déjà écrire et remettre les maux de famille à l’épreuve des mots ; prouver par A + B, par les points sur les i, par l’exclamation d’un cri primal et l’interrogation d’une bouche affamée, que les barres et les lignes peuvent se faire assassines, que les encres savent s’abattre comme raz-de-marée, que les mots peuvent faire très mal, quand le verbe « Vivre » met lui-même la foi à l’épreuve des lettres, et que la preuve dépose ses encres pétrochimiques dans nos regards de lecteurs comme sur des plages de papier sensible.

(…)

« La Blanche, c’est à la fois la Couleur et le Vide ; on n’en épuise pas la saveur. » (1)

Oh nocturnes ou diurnes souillures ! Amères graphies et rances écritures, vains jets d’encres stériles !

Pourtant, le marié était en blanc ! Et si je pouvais, m’abstenir, avec l’aide de l’Esprit, de maculer les pages blanches de tristes flétrissures !

Si je pouvais, moi-même, faire abstinence d’encres tiède et continence de papier cru, dans la lumière de mes ombres grisonnantes, dans l’aube de mes doutes crépusculaire, ou le jour se profile sur du papier de grège.

Alors, évitez-moi, frères humains, de me pendre au porteplume ou de me jeter dans l’encrier, comme tous ces branleurs de mots, ceux dont je suis, de ceux-ci, de ceux-là, qui de l’aurore au crépuscule, académiques Ponocrates, portent aux nues les prix littéraires, des rames entières de papiers non recyclables, des lauriers et de grosses taches d’encre sur du vierges papiers.

Évitez-moi de devenir comme ces producteurs de talents, pornographes attitrés, éditeurs de pauvres chevaux de traits, pitoyables et touchants. Tous ces auteurs
qui se font les esclaves de vaines épopées de la pensée écrite, recherchant sans repos au plus noir des encres, sur les champs de bataille de la linguistique, la gloire et la reconnaissance, entre les barbelés de la grammaire, les limites intrinsèques du vocabulaire et du verbe en soi.

En ces catacombes, dans un voyage au bout de la nuit, en cette lumière malingre, j’ai trouvé de modestes arguments pour tenir mon stylo en équilibre instable, entre le langage poussé à bout, et le vide de la page blanche, dans une errance toujours fertile.

« Dépoussière tes pages ! »

Nu de tout, je ne sais où me cacher derrière quelques mots désuets, je ne sais où aller en ces étranges labyrinthes de la culture.

« Roland, dépoussière tes pages ! »

Me criaient les os, communiant avec la moelle de mes propres os, comme dans une vision digne d’Ezéchiel le prophète ; témoignant ainsi, que les squelettes eux-mêmes en lignes, allongés point sur les i, ne sont nullement indifférents aux droits et aux devoirs de l’écrivain.

(…)

Comment passer de ces comportements obsessionnels descriptifs à la contemplation ?

En 57, j’avais 10 ans, Michel Butor publiait « La Modification », je l’ignorais encore.

L’innovateur mettant « Le pied gauche sur la rainure de cuivre » venait de matérialiser le Nouveau Roman.

En mettant en récit les excès obsessionnellement descriptifs du langage écrit, détaillant sur plus de 300 pages de grandes bouffes pantagruéliques où le narrateur se gave de mots, en guise de sommation.

Suicidant la page blanche, mais en connaissance de cause, Michel Butor, en précurseur, avant-gardiste, prophète des temps nouveau, nous offrait un avant-goût d’une société de surconsommation où les mots de la publicité et les messages hyper descriptifs des médias, viendrons plus tard nous faire croire qu’ils peuvent à coup de produits, combler tous les maux de l’âme et du corps.

Avec ruse, les mots de Panurge s’insurgent contre le vide ! Entre la verve de Rabelais et le silence des calligraphies de François Cheng, c’est deux mondes qui s’affrontent, c’est un combat réel, au-dedans comme au-dehors, un monde occidental où le vide fait peur, face à un Orient où le vide se fait créateur.

Mais, entre l’un et l’autre, la substantifique moelle de la littérature, ne serait-elle pas dans cette tension continue, dans cette distension permanente, entre un néant au-delà du zéro de l’écriture, à l’exemple d’icelui qui est saigné à blanc, et une pléthore de bien digne d’un Gargantua du XXI siècle ?

(…)

Depuis cette visite aux morts, je suis là, nu et nul devant une page blanche, mes pensées se déploient entre ses marges étroites comme des mors ; recto entrouvert, elle me regarde la regarder, blafarde comme un matin de novembre, indigente comme le spectre froid d’un Rimbaud analphabète, fantôme A4, dramatique.

Peut-être est-elle la vision d’un autre moi-même, ectoplasme tendu pour atteindre mes rêves, pâle à se taire à tout jamais, dans un silence sans mot. Telle une œuvre inachevée, sans cri et sans écrit aucun, un texte dénudé dans toute son in expression.

Belle aventure que celle de l’apaisement des raz d’encres amères, des griffonnages, en ce miroir recto verso des cohabitations, où voisine dans un face à face, la feuille et l’auteur, couché à hauteur d’ambitions, dans l’attente d’un lecteur potentiel.

C’est le calme avant le non-écrit, le pire cauchemar pour certain, une béatitude pour le sage !

Je suis là, devant elle, à penser sans agir, à aimer sans créer… avec au bout des doigts l’inaction, dans le cœur une palpitation muette, et au bord de mes lèvres, gorgées de mutisme, un seul vœu : Devenir moi-même page blanche comme une banquise imbibée de profondeur, humide d’humilité…

Devenir moi-même page blanche comme une banquise imbibée de profondeur, humide d’humilité…

N’est-ce pas l’espoir suprême de tout écrivain, la crème ou la crèche de l’espoir, le vœu le plus pieux, le Bic le plus engagé comme un pieu dans la chair du papier ?

Oui, connaître l’humilité de la page blanche, et puis mourir dans le plus grand silence ! Dans la simplicité même des simples, quand le silence prend corps dans la chair de l’absence.

Nous avons là, dans l’absence des mots comme dans une rature, la révélation absolue de l’humilité, du dépouillement d’une humanité toujours trop indigente pour dire le réel au-delà de la réalité.

Cela veut dire que l’écriture est un ministère de pauvreté !

Papier cru ou papier cuit, c’est la blancheur du marbre ou du papier qui donne à créer.

Enfermé dans notre réalité, nos limites, comme enclos dans nos marges, je pensais pouvoir dépasser la peur d’écrire, surpasser le trac du créateur et la frontière des marges barbelées, oser la déviation, me faire maître de l’outrance, afin de me perdre en grands écarts, en errements jusqu’aux confins des mots.

Mais mon erreur était là, on ne peut se trouver que dans la blancheur pour ne pas en mourir !

Alors, frères et sœurs de plume, pardonnez-moi d’avoir tant écrit et tant décrier au dessus des encriers, je ne savais pas ce que ma main faisait !

Je me repends donc du Bic, je m’attriste du stylo bille !

Alors, faute de mieux, je compte sur vous tous, blanchissez-moi jusqu’à la fibre du papier, jusqu’au fil du Verbe, jusqu’aux pigments de l’encre noire, et excusez mon clavier, je ne suis qu’un pauvre pécheur, textuellement parlant, un triste pêcheur de métaphores !

C’est qu’il y a entre la feuille et nous, une affection particulière, un vide qui appelle le vide, un vertige comme le gouffre de manuscrits vacants, une image comme un néant, qui ne ressemble à rien ou à presque rien, mais qui peut tout contenir, comme le sentent bien les cœurs coupables de porteplumes où les plumes honteuses les plus agiles, celles qui portent l’inspiration jusqu'au-boutisme, en un long voyage des seins gonflés de souffle des muses, jusqu’aux supports de marbre brut ou de toile disponible à tous les excès.

Me dépouiller de verbes trop envahissants, d’adjectifs pesants, de mots inutiles…, c’est mon aspiration la plus sincère et mon assurance la plus sûre ; me rendre semblable à toi, papier froissé, recyclable…, page blanche parmi les pages, par rames entières de vierges feuilles, tel le miroir de pages immaculées.

Je désire au plus fort de mon désir te ressembler, page blanche pour nous apparenter corps et âme jusqu’à nous confondre en quiétude, entièrement transparents l’un à l’autre, l’un et l’autre, limpides d’un blanc de cristal comme le fond de l’œil d’un enfant nouveau-né, infiniment ouverts à tous les possibles, à toutes les proses probables, dans la béance des phrases versifiées, de tous les romans faisables, de mille essais potentiels et de toutes ces bonnes nouvelles en suspend dans la grande épure d’un intervalle de l’espace-temps, que je pourrais signer en bas du vide comme un chèque en blanc.

Je passerais mes nuits blanches à contempler les lieux ; à la hauteur de ma réputation de solitaire, au lieu de textes engagés j’écrirai le vide sur mille feuilles blanches, vierges de tout commentaire/

(…)

Des palindromes, vides, c’est-à-dire pleins de sens, illisibles dans les deux sens.

Le blanc, c’est bien connu du noir, combinant toutes les fréquences du spectre, le blanc est une apparition, une révélation qui transfigure, une transfiguration qui révèle, c’est-à-dire qui dépasse la figuration, la lettre pour se faire esprit dans les plis des espaces pliables, produisant ainsi une impression visuelle de clarté plus ou moins neutre, selon la coloration du papier d’origine.

Grisonnante, jaunissante, poivrée, lactescente, laiteuse, décolorée, terne gris, entre l'albâtre et la craie, le beige et le bistre, blême ou couleur de lis, d’hermine … d’apparences souvent trompeuses ou le blanc bonnet n’est pas tout à fait de bonnet blanc, le bluff, du lux, du blanc, qui va de celui du fromage blanc au blanc du sperme écumeux.

Aujourd’hui, j’arrête d’écrire ! Je marque d'une pierre blanche ce chemin de silence ; là où la canne blanche d’un aveugle trouve sa route sur un papier cousu de fil blanc.

(…)

Car le Verbe, personne ne l’a jamais vu, personne ne le voit et personne ne le verra, mais un fil ténu nous le fait connaître comme langage à lire et à écrire.

Je contemple le vide, il est plein de Chi, disent les taoïstes ; plein d’énergies et de vibrations soulignent les physiciens quantiques, le vide est rempli de subtile Présence, expriment le mystiques et les artistes aussi, ceux qui se perdent en nuits obscures ou en clair-obscur, dans un blanc plus vrai que nature, une obscurité où se perdent des lumières éthérées.

Ici-bas, les centres de gravité et lignes de force, ne peuvent s’incarner que sur et dans un vide ! Comme dans les métaphores et les sages paraboles, les lignes internes des choses, objets ou sujets, les réelles vérités, ne sont-elles pas plus visibles qu’elles ne sont pas perceptibles ? Invisibles aux sens, mais présente dans cette dialectique entre le blanc et le noir, cette relation d’échange mystérieuse, énigmatique, qu’elles entretiennent entre elles depuis la nuit des temps, et qu’elles sauvegarderont jusqu’à l’aube d’un nouvel âge.

Entre les mots, les lignes, les traits, c’est dans le vide et autour de lui que s’organisent l’inventaire de la réalité, pour y cerner les mots, les émotions, les claires et les obscures, les reliefs du terrain dans le blanc de l’air, celui de l’eau, des fumées et des nuages, tels les chemins de la clarté du soir.

(…)

Dans la peinture de Georges de La Tour et chez Pu Yen-T’u, on trouve la même observance de la réalité, là où toutes les choses sous le Ciel ont leur côté visible et leur face invisible, un extérieur et une intériorité, qui ne font qu’un comme se mêlent le Yin et le Yang, comme le cri qui charrie les vents et les pluies, et comme la prière de l’iconographe laisse deviner le silence du pinceau, malgré les traits qu’il trace dans la mouvance du souffle de l’esprit.

(…)

Que mon silence se fasse franc, comme le sol en hiver peut se faire blanc comme neige ; et qu’entre les lignes manquantes, sur la portée des silences, le blanc se dise prière. Péroraison silencieuse en fin de mot, comme des douves pleines de vide autour de mon château intérieur.

Que mes blancs se fassent vacance au pays du repos, au cœur même des cessations d’écrire, dans le va-et-vient du tracé ordinaire des jours. Afin que dans la détente je trouve enfin la paix que je cherche depuis tant d’années.

L’horloge des poètes, c’est justement ce balancier des mots, qui palpitent par cœur, flux et reflux cadencé d’une graphie habituelle, celles des jours où la plume vagabonde.

Cette nuit, elle fait grève, dans le vague flou des incertitudes en suspension.

Vide effronté au fonds des pages, au front des marges, comme ces petites plaies molles, des stigmates qui se forment quand les Bic arrêtent de se tracer des routes, à la place même des ampoules que se font les scriptes aux mains.

Vêtement de mots et vestiges d’un tracé.

À l’opposé de toute « Modification » (3) l’espace vidé de tout contenu, ce lieu qui ne contient rien d’autre que lui-même, rien de lisible, rien de figuré ou même de suggéré ; dans lequel il n’y a rien de liquide (encre/peinture) ou de solide (concept/formes-matière), aucune matière à dire ou parole à prononcer, comme au zéro de l’écriture, au néant du graphe, ou contenant dépourvu de tout contenu
seul subsiste le cadre et ses marges pour mieux marquer les limites du support.

Comme un ventre qui sonne le creux, une chambre mortuaire ou un berceau inoccupés, un bureau sans meuble, un désert sans sable, vidé de sa matière, mais pas de sa moelle ; telle une ville vidée de ses habitants, une rue sans maison, un temps sans heure, un espace sans distance, tel est le blanc qui nous occupe.

« Sur le vide papier que la blancheur défend »

Tel est le propos sensé de Mallarmé.

Une mémoire sans souvenir, un malheur sans cause ni raison, une raison sans pensée, un désir sans émotion, un nid de poules sans œuf, des insignifiances même pas signifiées, celles d’une existence sans être, insipide, incolore, inodore, totalement dépouillé. Tel est ici le blanc qui nous préoccupe !

Ne rien contenir que soi, ne rien renfermer, posséder, avoir, pouvoir, savoir, sans arrière-pensée, sans le moindre soupçon de trait, sans le moindre traitement…

C’est-à-dire, vide de tout élément !

Pas d’anagramme, pas la moindre onomatopée, la plus petite alluvion d’allusion, pas d’auxiliaire quelconque, de complément de quoi que ce soit…

De la cave au grenier, l’absence, non pas comme un défaut de surface, une défaillance, mais comme une fonction nécessaire au chevet de la présence, mais l’attraction d’un manque, celui d’une réalité la plus abstruse : le vide est un tout saturé de puissance !

Blanche, tel un haut sommet enneigé !

Oui, une pieuse aventure, entre apesanteur et pesanteur, une contingence ; le lieu d’un événement à venir, d’une réalité qui peut à chaque instant se réaliser, changer, tel un paradoxe de toutes nécessités en suspens.

Là où tout peut changer, dans l’instant, par hasard, nécessité ou grâce ; d’un seul trait fortuit, dans l’incertitude d’une ligne fantôme, répondant ainsi à l’effectivité d’un appel au contour d’un papier buvard d’éternité.

« Il vaut mieux suivre le bon chemin en boitant que le mauvais d’un pas ferme »

Rappelle avec prudence le grand Saint Augustin.

Pondération pour les temps d’austérité et mesure dans la démesure, la page blanche est effectivement un chemin de dialogue permanent, la Page Brute (P.B.) n’est-elle pas aussi un chemin de sobriété, avant de sortir les mots du silence, de les jeter en pâture, craignant les dérapages toujours possibles, mieux vaut les consumer intérieurement !

Un manque bien garni vaut mieux qu’un plein dégarni !

Quel avenir pour les pages et les toiles blanches ? Et quel lendemain pour l’auteur ?

Face à ses questions existentielles, l’envie me prend subitement de contempler la Page Blanche comme l’Univers avant toute forme de parturition, un monde où serait absent toute création. La matière brute nous invite à un pèlerinage de silence que l’on pourrait comparer à une adoration.

Non pas au verso, au fond du puits, mais derrière le blanc manteau, comme un espace à approfondir toujours, dans la déchirure de l’absence, paradoxe du manque qui dit le très blanc d’une nuit obscure, alors que tout peut jaillir, que tout peut être l’objet d’écrits comme d’un non-écrit, le sujet d’une peinture monumentale comme d’une non-peinture tout aussi phénoménale.

C’est à moi de prendre l’initiative de me faire silence !

Devant un A4 d’adoration, sacrement de l’absence par laquelle tout est possible
Les Rois marges sont là, agenouillés avec leurs présents.

Comme eux, il nous faut oser, oser la réflexion et la flexion devant la page blanche, comme lieu d’adoration, avant toute nativité, tout enfantement textuel, avant même que le phénix renaisse de ses encres, une méditation silencieuse, tel un veilleur devant l’aube, dans l’avant l’avent d’une perspective pleine d’espérance, sans tomber dans le piège de la médiocrité indifférente aux vraies questions de sens.

La tiédeur de mot sans relief ou sans saveur me donne la nausée !

Car, c’est un silence que ce blanc-là, un blanc qui engage et qui est un gage d’avenir, le blanc choix qui ne peut être que libre !

La vigilance devant l’horizon s’impose d’elle-même ; la méditation du silence ou l’oraison du vide, c’est du pareil au blanc, c’est la virtualité, la capacité d’être, de s’écrire ou de peindre dans la liberté, qui se présente, présent, c’est une vraie réponse à la question du sens et cela ouvre des portes A4, qui vont jusqu’à l’infini de l’écriture.

N’en déplaise aux détracteurs de la monochromie et aux tracteurs de l’écriture, ceux qui dénoncent la platitude ; les mêmes certainement qui cachent leur incapacité à se plonger dans la prière, et à s’émouvoir dans une contemplation silencieuse, sans objet et sans sujet.

Mais le blanc soutient toutes les critiques, comme le vide soutien et participe de la gravitation universelle. Si le blanc est exsangue de figuration, de couleur ou de forme, il n’est pas vide de sens !

Sur mon bureau, où gît la feuille à l’état brut, c’est le blanc du jour qui se lève.

Quand la feuille blanche reste un paysage immaculé, où s’effacent toutes les ombres quand le vent gomme toutes tâches ; simplicité même symbolisant le renouvellement et la nouveauté toujours possible.

C’est là, entre ces 4 bords, que de blanc vêtu, l’espace contient toute la profondeur, c’est le principe même du commencement ; l’aube blanche à ravir, brume sans nom d’un premier jour où d’un premier être qui ouvrirait les yeux sur rien; éther de l’indifférencié, du néant silencieux qui précédent tout phonème.

Ce n’est qu’un baptême du monde comme s’ouvre au temps, des fleurs blanches qui s’ouvrent à l’espace sur l’arbre de la connaissance du bien et du mal ; comme s’ouvrent les lèvres de l’amant, délicates, éclatantes de translucidité, pour accueillir le vœu de la vie ; la langue vierge de tout, exsangue de tout mot et pâle comme l’amante qui s’apprête pour un premier baiser.

C’est comme l’âme pure et belle qui s’envole pour un premier voyage, pas encore incarnée, mais libre déjà, livide comme un linceul, peut-être, mais à la recherche d’un corps à habiter. C’est entre la brûlure incandescente du métal en fusion et le froid glacial d’un iceberg en voyage, le blanc s’y fait infini, à la source même de l’éternité, blanc de blanc, incertaine immensité, où tout peut encore se dire et s’écrire, émerger de la blancheur immaculée de l’être, de la vierge nature, pour naître d’un désir neuf comme un océan de blancheur, suprême couleur des dieux et des hommes, où peuvent s’entremêler tous les éléments de la couleur et toutes les vibrations de la matière, là où il y a de la place pour tout et pour tous !

Blanc vertueux c’est-à-dire virtuel, où tout le réalisable se trouve déjà uni dans son nid de possibles ;

Devant la feuille blanche, dans un élan pseudo contemplatif, tous mon être aspire à accéder au sommet de la montagne immaculée, pour atteindre après l’éveil ou le réveil, l’Albedo, ce degré d’illumination qui rend le langage inutile et les mots sans consistance, c’est une autre conscience du verbe à l’extrémité même du
Logos.

Si le blanc absolu n’existe pas, rien ne l’empêche d’être ! À l’articulation des opposés, des contraires, des différences, dans l’entrebâillement même du visible et de l’invisible, comme se dévoile progressivement l’accomplissement du Grand Œuvre de Blanchiments.

Un chaulage de l’être qui brûle l’existence, pour faire de nous des êtres de lumière, blancs comme des plumes d’anges, ou bien comme ces amples robes d’un blanc très purifié par les épreuves de la vie ou de la correction ; pas celui des blanchisseurs d’argent sale et des blasphémateurs…, mais de ce beau Blanc des bienheureux, lavés jusqu’au bout des orteils pour l’éternité ; les purs, les lépreux du monde, les innocents séparés des pécheurs, tous les handicapés du langage, les S.D.F et Sans Papier pour la Gloire et pour l’Éternité ; les petits incolores, inodores, insipides du monde, blanchis au jour le jour comme la laine blanche de l’agneau ; blanche comme les pierres où est déjà écrit à tout jamais leur propre nom en lettre d’or purifié, dans une grande nuée blanche, une grande marée d’amour, qui est celle des vainqueurs de ténèbres.

Comme ceux-là, lave-moi Éternel et je serais blanc moi aussi, comme une feuille couverte de neige parfaite, ou comme ce blanc cheval qui traverse au galop les pensées du vent ; que mes vêtements de lin gris sale, mon corps négligé, mes Bic noirs, ma nudité souillée et mon cœur pervers… soient, sur ce chemin de décrassement, toujours plus blancs, plus blancs que le lait d’une jeune mère allaitant l’enfant Jésus, plus blanc qu’une lumière sainte qui ne saurait blanchir plus encore ; blancs comme les champs qui tendent à la moisson, quand le Ciel s’ouvre béant devant le Trône, là où ce tient pour toujours, Celui qui Aime sans condition et sans grammaire ; Celui qui émerveille l’œil dans son manteau d’une blancheur éclatante ; Celui qui blanchit la matière la plus sombre avec sa Parole la plus brillante ; Celui autour duquel se tiennent les anciens, des palmes à la main, dans une grande fumée lactescente qui me rappelle la buée des hauts fourneaux et des Athanors où se réalise l’Amour le plus authentique.

Je suis toujours devant ma feuille, dans un demi-rêve, à moitié éveillé, la manne du désert qui était blanche avait un goût de beignets au miel ; si blanc se dit Lâvân en hébreux ancien, et si Lâvash signifie se vêtir, se vêtir de blanc s’enracine dans un sens commun, association de mots qui peuvent s’associer et signifier en même temps ce qui est perdu, le jugement ou la folie, comme le blanc s’associe à la couleur de l’aubier, mais aussi à la racine Lév qui dit, entre autres, le cœur et l’esprit, la pensée et l’être.

Alors, donne-moi Éternel, de virer au blanc, comme le métal précieux que l’esprit travaille de l’intérieur ; ainsi, quand le blanc prend chair de papier, il se fait occulte, illumination, comme dans l’origine de l’homme, dans le blanc de l’œuf de Dieu, conscience diurne, épanouie à la sortie de la nuit comme l’or du blanc et le noir du plomb à la sortie du four. Ce blanc n’est-il pas quelque part l’aboutissement de la vie ?

C’est un moment transitoire entre le premier et le dernier mot qui revient toujours à la mort.

Il y a des bulles dans le papier, ce sont des phylactères vides, invisibles à l’œil, renfermant des paroles pas encore écrites, comme des parchemins à réaliser de main d’homme, des vélins précieux sur lesquels seront inscrit des paroles précieuses.

A4 ou A3, où plus petit comme les feuilles de mes carnets de notes, dans le papier il y a un guide-âme, un fil médian à suivre avec le cœur, comme si l’invisible se faisait filable au firmament, le temps d’un répit.

Paix sur cette feuille, sur ce bureau, cette maison, cette ville !

Dans cette page blanche, en filigrane, invisible mais bien là, il y a un fil artère, sur le côté gauche ; comme toute parole traverse toute trame, la paix s’y fait filament de silence.

Ce qui prouve bien dans l’épreuve des mots ou dans la preuve de leur absence, que la littérature comme la peinture ne tiennent qu’à un fil, ce petit bout de ficelle de rien du tout.

Un trait, une virgule ou un mot de trop, un point qui s’égare, une parenthèse ou un guillemet qui se ferment ; un rien qui change tout en enfer !

En filigrane, une rawette, issue de cette pelote donnée gratuitement à Thésée pour lui permettre de se diriger dans le noir et de retrouver le chemin de lui-même.

Encore faut-il saisir ce fil, le suivre de haut en bas, de l’extérieur à l’intériorité de soi, là où il s’étire en brins plus solides par trois, évitant les nœuds ou la totale brisure, sans laquelle le sang s’écoule au fil du sens.

Quand les états limites de la conscience se perdent dans les valeurs limites du blanc, à l’extrémité même de l’infini de l’horizon des pages, comment gérer les mots quand les maux vous gèrent ? Entre la surabondance des verbiages et la trop faible densité des mots, quel processus de régulation faut-il mettre en place pour écrire comme on peint une icône dans le secret de son oratoire ?

Changer de condition, tel est mon appel ! Passage obligé pour être, que celui des cruelles insomnies, quand les beaux mots se bousculent dans la tête des poètes et se répercutent dans tout le corps, comme une forme de transe, et qu’en définitive on se retrouve au matin incapable d’écrire un seul mot, parce que l’on est comme assommé, que l’on à tout oublié au moment même de poser la plume sur le papier, ou de taper quelques touches sur le clavier du PC.

L’insomnie des poètes, c’est le monstre des nuits suspendues entre l’absence sur la feuille et la présence sous le lit. Cette expérience du vide est une immense souffrance, comme une petite mort qui serait grande, un rite qui est plus encore un risque de passage, celui d’une nuit obscure de la poésie, dans l’univers lunaire d’une nuit sans sommeil, à laquelle succèderait une aube riche de potentiel, certes, mais vide comme un estomac affamé, une pile déchargée, un Bic sans encre, un PC sans courant ou sans commandement.

« Le blanc, sur notre âme, agit comme le silence absolu. »

Couleur initiatrice, le blanc il se fait la couleur même de la révélation, représentation de la transfiguration, celle qui éblouit jusqu’aux confins de l’Univers, dépassant l’entendement. C’est là, dans la non-couleur, le mystère fondamental de la matière comme une conscience primale précédant toute forme de graphie et d’écriture. Ce qui est blanc et saint, sacré, l’essentiel est là, nimbée d’une auréole de lumière plus blanche que l’absolu, au for intime du papier, telles ces extraordinaires théophanies d’où jaillissent les grandes œuvres, des Misérables à la Bible, en passant par les pages du Bottin téléphonique.

« Un silence qui regorge de possibilités vivantes »

Le blanc, considéré comme une non-couleur reste en tant que propriété virtuelle, le symbole de tous les possibles.

« C’est un rien plein de joie juvénile »

Derrière, Point ligne plan - comme grammaire de la création, on ne peut mieux décrire le blanc que l’a fait Vassily Kandinsky lui-même !

L'avenir de la peinture comme celui de l’écriture est nécessairement dévêtu de papier et de toiles blanches.

Dans ma vision, entre noir et blanc, deuil de cendre, et couleurs de revenants, je discerne Flaubert et Hugo, mort et renaissance, Honoré de Balzac et Voltaire, Rabelais et Rimbaud et toute la clique des Anciens, et la bande des modernes, de toutes les confessions et de toutes les écoles, ainsi que le clan fermé des nouveaux.

(…)

Vous vous souvenez qu’en solfège, la blanche est une figure de note, représentée par un ovale de couleur blanche, attaché à sa hampe. C’est la position de cet ovale sur la portée qui va nous indiquer la hauteur de la note. En fait, la durée d’une blanche équivaut à la moitié d'une ronde, au double d'une noire, au quadruple d'une croche, ainsi de suite, car la blanche n’a pas de fin en soi !

Dans l’axe de mes pensées nocturnes en attendant l’astre de la pensée diurne, dans ma tête fatiguée, les yeux à demi clos, je pose la blanche et je fais une demi-pause, en respirant ; n’écrivant rien de rien sur ma portée ; je me porte devant ma feuille blanche, constatant dans cet insomniaque instantané, que les mots silence et blanche s’assemblent et se ressemblent. Effectivement, en musique, le silence qui à la même durée que la blanche est comme une demi-pause. Alors, dans un seul élan, je pose mon Bic sur le bureau, à la gauche de la feuille blanche, sur laquelle je pose toujours mon regard contemplatif ; je repose ma souris et mon clavier Microsoft ; je ferme l’écran Acer et je mets l’ordinateur sur veille ; je clique mon Bic noir, la pointe revient dans son fourreau comme un organe dans son enveloppe de peau.

Roland, ose le blanc !

Apaise-toi, regagne ton lit douillet, ta tendre compagne des bons et des mauvais jours dans la chaleur des draps, ne reste pas là planté devant cette feuille vierge, oublie la portée de la nuit, les blanches obscures, les demi-pauses sans rémissions…, reviens à toi !

(…)

Sur le papier bible, avec légèreté, le Petit Robert jette ses définitions comme le Petit Poucet lâchait dans la forêt ses petits cailloux tout blancs.

Au-dessus des feuilles, la plume attendait d’avoir un rapport, concupiscence, attente d’un contact avec le papier ; quant à l’encre, dans sa cartouche, pleine de tension liquide, elle espère impatiemment ce moment, celui d’une noire éjaculation qui laissera sa trace personnelle, au jet de sa graphie, avant la signature.


Blanc

«… Qui n’est pas utilisé, n’est pas écrit; vierge, intact. Feuille blanche. Remplir les espaces blancs d’un formulaire. Bulletin de vote blanc. Qui est blanc et qui n’a pas été sali, terni. Ce mur n’est plus très blanc. Des draps blancs… » (Petit Robert)

La feuille qui n’a pas encore été souillée, ni entachée au contact d’une plume impure se fait innocente pour tromper l’ennemi du silence. Elle n’ignore en rien la présence du stylet de Damoclès qui plane au-dessus d’elle.

Car, c’est connu, l’auteur revient toujours à l’écriture, comme le criminel sur le lieu de son crime ! Chez lui, c’est compulsif ! Ca ne se soigne pas, il souffre le martyre et c’est plus fort que lui, plus puissant que tout, il faille, défaille, il faut, qu’il écrive, à tout prix, qu’il s’écrive sans cesse, ici, tout de suite, qu’il s’exprime, sinon il explose, manque d’air et de lumière. C’est comme un état de survie !

Qu’elles soient nocturnes ou diurnes, les pollutions sur les feuilles vierges, à cent chapitres à la ronde, sentent le crime !

Avec une exquise préméditation, l’écriture n’est-elle pas le plus souvent de l’ordre du viol ou de l’abus de confidence ? Une exhibition, un envahissement, tel un raz de marée ?

Sans cesse, le poète de mes deux, vers, retourne à la page blanche pour y crucifier le verbe et la locution sur la croix des métaphores; par le stylet et le clou, l’épine et l’excès, et par tous les instruments de torture qui s’écrivent au pied du calvaire blanc, il récidive !

(…)

Les plumes, c’est bien connu des volatiles de mauvais augure, et des oiseaux de bon auspice comme les cigognes, les pigeons voyageurs ou les grues cendrées ( ceux qui migrent, bon gré, mal gré, sur le papier vélin, pour passer la ligne plus au sud de l'Espagne), sont des lieux de tourment.

Les mots eux-mêmes y utilisent l’ascendance des images, pour s'élever plus haut, en planant et en se déplaçant dans l’air chaud des allégories, sur des milliers de kilomètres de pages de ciel tourmenté, comme pour se réchauffer de beaux printemps et de belles calligraphies arabes ou chinoises.

Vol de nuit au-dessus d’une mer d’encre ; les manches de porteplumes
portent en vols migratoires de gros mots en forme de V ou d’Y ; mais de A à Z, tout l’alphabet s’exécute en vol nuptial, faisant de grands groups de messages, et de gros grous incongrus, qui s'entendent de très loin, jusqu’aux marges floues des horizons.

Depuis toujours, chacun des appendices tégumentaires de l’oiseau peut servir à écrire, c’est sûr comme une encre amère ! En particulier celles des grandes ailes et de la queue ; mais depuis l’invention de la plume de métal, les oiseaux de fer écrivent eux-mêmes dans le ciel, comme dirait Kadinsky, des points, lignes et plan de nuages.

(…)

Au lieu même où le verbe prend chair de papier, les Rois Marges ou Rois Pages, arrivèrent de très loin pour rendre hommage à sa blancheur immaculée, et pour la protéger, sainte et sainte, en posant de la distance, la mettant de côté ; lui apportant pour l’avenir, en guise de présent, l’or des alchimistes pour couler le stylo, l’encens parfumé des grands prêtres pour en tirer des encres, et l’extrait de balsamier, matière aromatique pour parfumer la fibre du papier.

Que des cadeaux d’une grande richesse symbolique !

(…)

Aux sillons de ses plaies, sur le chemin des maux, j’écris son nom :

Page blanche abusée

Et dans ses blessures, à l’endroit même et à l’envers des encres sèches, des lettres des fronts et des mots épars comme des corps brisés, je dépose des baumes aux senteurs fruitées pour couvrir l’odeur de poudre et de pigment.



Waterloo, Waterloo !

« Waterloo n'est point une bataille; c'est le changement de front de l'univers ».

Quel est le miséreux qui ignore cette célèbre phrase que l’on peut lire dans le roman Les Misérables !

Mais qui peut en comprendre toute la teneur et le sens profond ?

Quels sont ce front, cette profondeur, cette position existentielle dont nous parle Hugo ?

Effectivement, depuis la nuit des scribes, l’écriture peut se faire bouclier ou poignard, projectile amoureux ou boulet de canon.

De Waterloo à Waterman, l’écriture se présente comme un véritable champ de bataille ; non seulement au plan de la linguistique, mais surtout sur le territoire même d’une humanité qui s’écrit.

Car l’écriture n’est pas le territoire, cela est bien connu de G.P.S. et des grands explorateurs !

L’écriture comme toutes les formes d’art, est un front où se joue la vie, tout simplement, une petite dramaturgie au jour le jour, dans la perspective d’une grande scénographie universelle.

Authentique champ de bataille, où, de plume blanche à boulet rouge, on s’exprime. Entre ou derrière les mots, entre les lignes, à travers les traits, en tranchées, en amont et en aval des éditeurs, des libraires, des lecteurs… la page reste un lieu clos de marges, où se livre une bataille terrible sans point final !

L’écriture s’y positionne, comme un combat pour exister, une trace laissée là pour devenir. Marignan, Verdun ou Waterloo… que de batailles se jouent de nous en ces pages manuscrites. Que de partages ou même de rencontre entre les lignes. Que d’engagements, de choc des idées, de critiques, d’admiration, de convictions et de croyances qui s’exposent au flan du papier.

Que d’individus, de mêlées de personnes, de duels à travers des mots qui s’étendent sur des surfaces maculées, engeances de stylo !

C’est un sang d’encre qui s’épand, et une encre de plasma qui coule encore dans les rigoles de l’être et dans les trous de bombes et les mines antipersonnelles.

L’écriture est comme champs de bataille, entre le culte de l’égo et l’estime de soi, qui, à juste titre, comme la reconnaissance est un besoin fondamental de l’être humain, comme une nécessité .

En cette tension incessante, l’écriture comme toutes les graphies connaissent bien ces combats spirituels entre l’homme de Lettres et l’homme de l’être, c’est là le Jihâd véritable, celui qui peut engendrer l’homme véritable dans la profondeur même.

Qu’importe l’art, l’outil ou le support, c’est l’être qui compte avant toute chose !
C’est au sculpteur lui-même de réveiller l’âme qui repose dans les veines du marbre et au peintre de susciter la contemplation au-delà de la toile.

Les Orientaux pensent réellement que la beauté d’un jardin est cachée dans l’arbre ou dans la pierre, et que c’est au jardinier de dévoiler par son travail la fleur qui s’ouvre au soleil, comme c’est à l’écrivain de révéler dans son œuvre un chemin d’humanité.

La nature profonde de l’auteur, du jardinier ou du joaillier, est dans ce qu’il va produire et découvrir à partir de la matière brute. Les apparences ne content guère, elles cachent trop souvent la profondeur des marbres !
Entre le burin et le pinceau, le râteau et le Bic, le terme jihad s'applique ici avant tout au combat intérieur, à mon propre combat pour aller vers moi-même, c’est la transsubstantiation de ce qui est encore sauvage en nous, dans une obéissance à Dieu ou à la nature, dans une dynamique de conversion de l’homme pour l’homme. Et là, il y a peut de place pour le culte de l’égo, car en puissance, la personne authentique sera toujours victorieuse face à l’individu.

(…)

Elle est là, couchée comme le marbre blanc

Quel est ce subtil dosage de gris dans les marbres blancs, cet équilibre entre l’ombre ténue de quelques filets plus fades perdus dans neuf parts de lumière ?

L’étoile de Bethléem avait cette même blancheur, celle des plumes d’anges annonçant une naissance virginale.

Depuis, le marbre se fait chair et le papier de verre pour accueillir le verbe et sa lumière.

« Voici que la feuille vierge concevra la Parole »

Tel un bloc de marbre chaud sous le soleil de Toscane, la feuille vierge est dans l’attente. Elle était là, ouverte, comme une vierge pure, jeune, simple et belle à contempler.

Lorsque les mots n’y font pas bombance et ne se gavent pas de bruits ; que le stylo, impudique stylet, n’y dépose sans discernement son vert langage…

Si elle le pouvait, elle resterait ainsi, le temps qu’il faut pour naître. Mais au péril des mots, elle risque d’être déflorée à tout instant, altérée dans son altérité, là où elle reste éthérée en sa profondeur, son intimité, car, c’est par grâce qu’une feuille si pudique, si modeste, n’accueille un jour l’amour ou accepte de jaunir à tout jamais au vent.

Bereshit

Un point virgule sur le blanc, un simple guillemet se voulant guilleret, une apostrophe d’impatience, une virgule d’inattention, et, à tout instant, elle peut dire adieu à sa vierge nature !

« Déserte et vide »

Au début, telle la terre des origines, cette feuille blanche était encore vierge, une A4 impubère, réalisée avec cette pâte à papier dont on fait les vrais poètes ; car les faces blanches ont, comme les Victoires et les Muses, des ailes au verso pour emporter l’inspiration et les mots qui viendront s’y déposer comme des petits oiseaux.

Au commencement, nul écrivain ne l’avait encore connue, aucun écrivant ne s’était couché sur elle, pas le moindre écrit vain n’avait souillé son devenir, elle semblait faite de ces marbres immaculés dont on fait les gisants ; vide et déserte comme un tohu-bohu ; mais en principe, toutes les créations possibles, toute la puissance du verbe, tout était déjà là !

Dans le continuum espace-temps linguistique, la page blanche était comme un manuscrit vide, comme une toile sans rien, un bloc de marbre inachevé…

Mais ce vide d’écrit, de forme ou de couleur était plein de Nèfesh, de Chi ou d’Esprit, selon, plein de ce souffle créateur, de cette aspiration à la vie qui plane sur la pâleur de cette partition, sur ce ventre vierge de toute notation.

Tel un livre de marbre blanc ouvert pour l’éternité, dans un moment suspendu, sans écriture, sans signature. En nos musées, le David et les Esclaves de Michel-Ange ne sont-ils pas en marbre de Carrare, la Vénus de Milo en marbre de Paros, et le Parthénon dans son élan vers le ciel en marbre du Pentélique ?

(...)



Références bibliographiques

(1) François Cheng, Vide et plein, Le langage pictural chinois essai - Yin-Yang (ou obscur-clair).
(2) Rabelais, Gargantua, prologue.
(3) Michel Butor, La Modification,

Illustrations :

Hermes portant l’enfant dionysos - Œuvre de Kasimir-Malevitch - Œuvre de Manzoni Piero - Marche-funebre A. Allais - Vue de l’ossuaire parisien - Œuvre de Robert Ryman
Œuvre de Rauschenberg - Venus de Milo - Victoire de Samothrace - Symbole du Yin-Yang - Portée, blanche et demi-pause - Œuvre de Roland Reumond, Le Fil rouge et Saturation lettriste, triste saturation.

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