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Le mécanisme de la mémoire chez Proust
essai [ ]
Première partie

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par [Clara-Emilia ]

2009-04-27  |     | 




« La mémoire est nécessaire à toutes les opérations de l'esprit »
Pascal

Le souvenir ramène notre passé dans le présent, nous permet de retrouver “le temps perdu”. Qu’il soit récent ou moins récent, agréable ou moins agréable, le souvenir garantit la continuité avec nous-mêmes et avec le monde autour de nous, sa perte étant synonyme de perte de soi. Quant au mécanisme à l’œuvre dans la production du souvenir, il n’a pas intéressé que les psychologues ou les philosophes, il a intéressé aussi les hommes de lettres dont Proust est de loin le plus connu. Dans l’immense Recherche du temps perdu qui est son œuvre, le souvenir « involontaire » inaugure la reconstruction du passé et aboutit à ce qu’on appelle le temps retrouvé.

Dans ce qui suit, je me propose de revenir sur les expériences fondatrices de la Recherche, en particulier sur l’expérience de la petite madeleine qui ouvre le livre et sur celle des pavés inégaux qui le clôt, afin d’en déterminer les éléments communs et les liens qu’ils contractent. Par la même occasion, une remise en question de quelques uns de ces éléments et des concepts qui les soutendent me permettra de relier différemment les éléments-clé du souvenir, d’engager l’analyse dans une voie autre que celle qu’on emprunte couramment.

Proust, comme on le sait déjà, distingue entre la mémoire volontaire qui restitue le passé et la mémoire involontaire qui permet de revivre ce passé, de se l’approprier.
Peut-on parler pour autant d’une dynamique propre à la mémoire involontaire ? Selon Proust, il s’agirait d’une sensation éprouvée à la fois dans le passé et dans le présent, et qui ferait que l’imagination et la réalité soient complémentaires: « Et voici que soudain l'effet de cette dure loi (celle qui veut qu'on ne puisse imaginer que ce qui est absent) s'était trouvé neutralisé, suspendu, par un expédient merveilleux de la nature, qui avait miroiter une sensation à la fois dans le passé, ce qui permettait à mon imagination de la goûter, et dans le présent où l'ébranlement effectif de mes sens avait ajouté aux rêves de l'imagination ce dont ils sont habituellement dépourvus, l'idée d'existence,… »
Cette conjonction entre le passé et le présent, et par là même, entre la réalité intérieure, subjective, et la réalité extérieure, objective, fait du souvenir « involontaire » un médiateur privilégié. D’ailleurs, les psychophysiologues précédant Proust avaient déjà isolé le mécanisme de la mémoire affective, reposant sur une sensation identique à deux moments différents de la durée.

Observons maintenant de plus près l’expérience de la petite madeleine et voyons ce qui déclenche « le plaisir délicieux » qui accompagne la résurrection du monde oublié de l’enfance! Est-ce le petit morceau de madeleine trempé dans du thé ou son goût? La distinction, il faut le dire, ne manque pas de pertinence, étant donné que le goût est une sensation qui engage l’agent, le petit morceau de madeleine trempé dans du thé, et le patient, le narrateur, alors que le petit morceau de madeleine trempé dans du thé n’engage que l’agent. Regardons à ce propos le témoignage du narrateur ! « Je sentais qu’elle ( cette puissante joie) était liée au goût du thé et du gâteau, mais qu’elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de même nature. D’où venait-elle? …Je bois une seconde gorgée où je ne trouve rien de plus que dans la première, une troisième qui m’apporte un peu moins que la seconde. Il est temps que je m’arrête, la vertu du breuvage semble diminuer. Il est clair que la vérité que je cherche n’est pas en lui, mais en moi. Il l’y a éveillée, mais ne la connaît pas.» C’est donc le petit morceau de madeleine trempé dans du thé qui est en cause et non pas son goût. C’est au fond la raison pour laquelle le narrateur boit une seconde « gorgée mêlée des miettes du gâteau » et puis une troisième. Mais « le breuvage » qui a déclenché le plaisir n’en est pas pour autant la source. C’est ce qui fait que sa vertu diminue avec chaque gorgée.
Le narrateur dit aussi, il est vrai, que le plaisir qu’il ressent est lié au goût du thé et du gâteau. Cela ne veut pas dire qu’il y a là quelque contradiction. Le goût, comme toute sensation, est plus ou moins agréable, et donc jamais neutre. La contradiction s’installe par contre dès que le narrateur affirme que le plaisir dépasse infiniment le goût du thé et du gâteau. Et pour cause! Le plaisir ne peut dépasser le goût qui le renferme et qui en tant que goût englobe l’agent et son action pour le patient.
Le narrateur a-t-il raison de dire, dans ces conditions, que la source du plaisir qui l’a envahi est en lui ? Oui et non.

Pourquoi oui ? Parce qu’il garde en mémoire, et donc au fond de lui, le rituel de dimanche matin à Combray quand, enfant, il allait dire bonjour à sa tante Léonie et quand celle-ci lui offrait , après l’avoir trempé dans du thé, un petit morceau de madeleine. Des années plus tard, quand sa mère lui propose de prendre du thé avec des petites madeleines, la gorgée mêlée des miettes du gâteau éveille le goût du thé et du gâteau que lui offrait, dans sa chambre à Combray, tante Léonie.

Pourquoi non ? Parce que le sentiment de félicité qui accompagne le souvenir de la sensation éprouvée autrefois n’est pas contenu dans cette sensation. F Paulhan, en résumant le point de vue de ceux qui contestent que les faits allégués pour prouver l’existence d’une mémoire affective aient le sens qui leur est attribué, exprime clairement l’idée de la non coïncidence entre les faits passés et ces mêmes faits retrouvés : « Ce n’est pas, a-t-on dit, un souvenir d’une ancienne émotion, une réviviscence du sentiment d’autrefois. C’est une nouvelle émotion qui se produit à propos d’images retraçant les faits d’autrefois ». L’auteur de la Recherche non plus ne confond pas les moments passés, auxquels les désillusions n'ont pas été épargnées, et les moments véritablement pleins, les moments retrouvés.
Mais si le sentiment de félicité qui accompagne le souvenir de la sensation éprouvée autrefois n’est pas contenu dans cette sensation, s’il ne se retrouve pas non plus dans le petit morceau de madeleine qui déclenche le souvenir, qu’est ce qui le fait naître ? Son accompagnement autre, dirait Théodule Ribot. « Une simple relation mondaine, même un objet matériel, si je le retrouvais au bout de quelques années dans mon souvenir, je voyais que la vie n'avait pas cessé de tisser autour de lui des fils différents qui finissaient par le feutrer de ce beau velours inimitable des années, pareil à celui qui dans les vieux parcs enveloppent une simple conduite d'eau d'un fourreau d'émeraude », dirait Proust. Mais Proust dit aussi ceci : « si le souvenir…n'a pu contracter aucun lien, jeter aucun chaînon entre lui et la minute présente, s'il est resté à sa place, à sa date, s'il a gardé ses distances, son isolement …il nous fait tout à coup respirer un air nouveau, précisément parce que c'est un air qu'on a respiré autrefois ».
Revenons sur les textes cités afin d’en saisir la portée et de tirer une conclusion d’étape! Les deux textes portent sur des choses oubliés qu’on a fini par retrouver, mais alors que dans le premier, la chose retrouvée est marquée au sceau du temps, dans le second, elle nous fait respirer un air nouveau. N’y a-t-il pas là contradiction ? Nullement, car dans le premeir texte, l’accent tombe sur « l’accompagnement » de la chose, sur tout ce qui a changé entre temps pour nous et nous fait voir la chose autrement, alors que dans le second, l’accent est mis sur la chose même, plus précisément sur l’image qu’on en garde et sur la possibilité de la rappeler, de la transformer en souvenir. Et si cela arrive, le sentiment qui accompagne le souvenir est d’autant plus intense que l’image de la chose est plus loin dans le passé et qu’elle y est restée isolée.
Il faut d’ailleurs dire que tout souvenir sous-entend une distance à franchir. Mais si, dans le cas du souvenir dit involontaire, c’est le sentiment qui en donne la mesure, dans le cas du souvenir « volontaire », l’indicateur en est l’effort. Le fait d’autre part que le sentiment peut être positif ou négatif (car il peut être négatif aussi) s’explique par la relation qui s’établit entre l’agent et le patient, dans l’expérience de la madeleine, entre le morceau de madeleine trempé dans du thé (et non pas son goût) et le narrateur. Mais là encore, il faut préciser, qu’il s’agit du narrateur à un moment déterminé de son parcours. Concrètement, il s’agit du narrateur qui, un jour d’hiver, en rentrant à la maison, a pris, contre son habitude, un peu de thé avec du gâteau. Il s’agit aussi du narrateur à qui, quand il était enfant, sa tante Léonie avait l’habitude d’offrir, après l’avoir trempé dans du thé, un petit morceau de madeleine. Il s’agit enfin de la distance entre ces moments du parcours du narrateur, et donc de tout ce qui a changé entre temps et a fait que le narrateur change, devienne un autre.
Si l’on revient maintenant aux deux textés cités, on peut dire que le premier porte sur la distance entre la sensation éprouvée par le narrateur dans le passé et le moment présent, le moment où « la gorgée mêlée des miettes du gâteau » a touché son palais. Le second texte porte sur le lien entre la sensation éprouvée dans le passé et le moment présent.

Voilà comment Pierre Brunel formule dans son « Histoire de la littérature française » le phénomène de mémoire involontaire chez Proust: « : la coïncidence entre une sensation présente et le souvenir de cette même sensation, éprouvée longtemps auparavant, provoque la résurrection de tout un monde oublié, …». Cette formulation, qui rend impossible le phénomène de mémoire involontaire, alors qu’il est possible et qu’il se produit pour de bon, a fait beaucoup d’adeptes parmi les critiques littéraires français et étrangers. Qu’est ce qui ne va pas avec cette formulation? Le souvenir d’une sensation éprouvée longtemps auparavant est cette sensation qui remonte à la surface, redevient présente. Sa remontée est aussi une mise à jour, ce qui veut dire qu’une fois présente, elle n’est « ni tout à fait la même ni tout à fait une autre ». Mais une fois présente, elle fait que la sensation « présente » dont parle Pierre Brunel - si elle existe - , soit du domaine du passé. Il n’y a donc pas « coïncidence entre une sensation présente et le souvenir de cette même sensation, éprouvée longtemps auparavant. En plus, sans stimulus extérieur, une sensation éprouvée dans le passé reste dans le passé.
Il ne faut pas inventer de dinosaurs pour dire que le souvenir d’une chose appartient aussi bien au présent qu’au passé. Il faut par contre dire qu’un souvenir, qu’il soit volontaire ou involontaire, dépend de ce qui le déclenche et de ce qu’il déclenche. Dans notre cas, il dépend, du petit morceau de madeleine trempé dans du thé et du goût de petite madeleine trempée dans du thé, éprouvé dans le passé. Il depend, plus précisément, de la relation entre deux éléments, dont l’un extérieur et l’autre intérieur.
Plus la compatibilité entre ces éléments est grande plus le souvenir est agréable. Plus le temps qui sépare les deux éléments est grand plus le renouvellement intérieur est significatif. Ce n’est donc pas l’un ou l’autre des deux éléments qui est en cause, mais les deux. Toute est question de relation.

Quant à l’expérience des pavés inégaux, elle fera l’objet d’un deuxième essai.




Bibliographie sélective

Bohler, Danielle, La mémoire des sensations : Proust en discussion avec une génération de philosophes, Le temps de la mémoire : le flux, la rupture, l'empreinte, Presses Univ.de Bordeaux, 2006.
Brunel, Pierre , Histoire de la littérature française, Bordas, 1972, p. 601.
Frédéric Paulhan, Sur la mémoire affective http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/psy_0003-5033_1903_num_10_1_3602
Proust, Marcel , Du côté de chez Swann, Le temps Retrouvé, Garnier- Flammarion, 1984.


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