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Entre synchronie et diachronie (IIIab)
essai [ ]

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par [Clara-Emilia ]

2010-12-03  |     | 



Il semble que le terrain n’était pas prêt pour s’attaquer au problème si controversé de la phrase qui est formée de mots ou qui les forme, problème qui appelle un autre, celui de l’organisation de la phrase. Organisation hautement problématique, il faut le dire!
J’ai choisi donc d’entreprendre un détour avant d’y arriver. Un détour que le réferent extralinguistique, trop délaissé, réclame.

Dans la génération de la phrase le sujet parlant compte tout autant que l’objet dont il parle. C’est que la phrase dépend de l’objet dont le sujet parle mais aussi de ce que le sujet veut en dire et des moyens dont il dispose pour le faire.
Au niveau de la phrase, l’objet dont parle le sujet prend la forme d’une donnée nominale. Ce que le sujet veut en dire prend la forme d’une manifestation verbale. Une manifestation dans les limites de la donnée nominale. Qu’est ce qu’il faut entendre par là? Que sur le plan de le forme la manifestation verbale s’accorde avec la donnée nominale avec laquelle est compatible sur le plan du contenu, et qu’iI suffit que l’une ou l’autre de ces deux conditions ne soit remplie pour que la phrase soit irrecevable.
Prenons les deux phrases suivantes: „Le vent soufflez très fort ce matin.”et „Le vent luit très fort ce matin.”
La première est irrecevavable en raison du désaccord sur le plan de la forme entre la manifestation verbale et la donnée nominale, la seconde, en raison de l’incompatibilité sur le plan du contenu entre la manifestation verbale et la donnée nominale. Comme l’incompatibilité sur le plan du contenu est celle même entre l’objet auquel le sujet se réfère et la manifestation qu’il lui attribue, on peut dire avec Yves Macchi que le procès de signification ne peut être ramené „à une simple tolérance combinatoire entre signifiants ” et que, dans la genèse du sens d’une phrase, l’ancrage référentiel est important.
Prenons à présent une phrase qui, du point de vue de la langue française, est recevable: „Le vent souffle très fort ce matin.”
Est-ce qu’on peut dire que le vent soufflait effectivement ce matin-là? Et qu’il soufflait très fort?
Ce qui qui est sûr c’est que le fait de souffler est une manifestation propre au vent, et à tel point qu’un vent qui ne souffle pas n’est pas du vent. Et s’il souffle, il le fait avec plus ou moins de force, ce qui veut dire qu’il est possible que le vent ait soufflé très fort ce matin-là
Et pourtant, il est tout aussi possible que le vent n’ait pas soufflé ou qu’il ait soufflé avec moins de force.
C’est que le sujet parlant ne se réfère pas au vent qui soufflait très fort ce matin-là, mais au vent qu’il a entendu souffler et qu’il peut avoir entendu bien ou plus ou moins bien.
Le fait de l’avoir entendu bien sous entend que le sujet entendait et qu’il entendait bien. Cela sous entend aussi qu’il avait entendu souffler le vent à d’autres occassions, ce qui lui a permis de distinguer le vent d’autres bruits et le vent qui soufflait très fort ce matin-là du vent qui, à autres occasions, avait soufflé moins fort.
Il y a donc le vent qu’il avait déjà connu et le vent qui soufflait ce matin-là. Voyons de plus près quel est le rapport entre les deux!
Sur la base du vent qu’il avait déjà connu, le sujet parlant a reconnu comme vent le vent qui soufflait ce matin-là. Suite à la modification que ce dernier a produite sur le premier, le sujet parlant a identifié le vent comme étant le vent qui soufflait très fort ce matin-là. Plus exactement, le vent comme donnée du sujet a intégré le vent comme manifestation de l’objet atmosphère et cette manifestation a, de son côté, différencié la donnée, l’a affinée. Dans le sens de l’intégration, le vent qui soufflait très fort ce matin-là a été reconnu sur la base des ressemblaces entre le vent comme manifestation de l’objet atmosphère et le vent comme donnée du sujet, dans le sens de la différenciation, le vent a été identifié sur la base des différences entre le vent comme manifestation et le vent comme donnée.
Dans la littérature de spécialité, on parle, dans le premier cas, de référent conceptul,dans le second, de référent expérienciel. En fait, l’un comme l’autre sont le résultat de l’expérience. A cette exception près que le „référent conceptuel” sert de base au „référent expérienciel” qui, à son tour, fait varier le référent conceptuel. C’est d’ailleurs ce qui fait que ce dernier soit relativement variable.
Prenons le référent conceptuel vent! Si sa stabilité a permis de reconnaître comme vent le vent qui soufflait ce matin-là, sa variabilité a permis d’identifier le vent comme étant le vent qui soufflait très fort ce matin-là.
Par la suite, je parlerai plutôt du vent comme donnée du sujet. C’est qu’en tant que résultat d’un processus d’intégrations successives et de différenciations simultanées, il englobe aussi bien le concept de vent que les valeurs propres aux vents dont le sujet a fait l’expérience, le concept, général, étant donné par l’intégration successive des vents particuliers, les valeurs particulières, par la différenciation simultanée du concept.
Ce processus, qui a le mérite de montrer que le général et le particulier sont en égale mesure le produit de l’expérience et qu’ils sont interdépendants, n’explique pourtant pas comment il est possible que le concept qui intègre soit lui-même le produit de l’intégration. Il n’explique pas non plus en quoi l’interdépendence du géneral et du particulier est conséquente.
Je tâcherai, par un même exemple, de répondre aux deux objections.
Prenons un sujet humain pour lequel la tornade n’existe pas et qui un jour en fait l’expérience. Pour ce sujet, il n’est pas question d’intégrer la tornade qu’il est e train de vivre au concept de tornade. Faute d’intégration, la reconnaissance de la tornade comme tornade n’est pas possible. D’où l’on voit qu’intégration et reconnaissance vont ensemble. Ce sujet peut en revanche reconnaître la tornade comme vent, ce qui veut dire qu’il peut l’intégrer au concept de vent. L’intégrer c’est-à-dire saisir les ressemblaces entre la tornade et les vents dont il a déjà fait l’expérience. Les ressemblances laissent simultanément ressortir les différences, différences (l’intensité et les dégâts sans commune mesure avec ce qu’il connaissait) qui font que le sujet humain identifie le vent dont il est en train de faire l’expérience comme étant un vent inconnu.
Conclusion d’étape: Un sujet humain pour lequel la tornade n’existe pas, ne possède pas le concept de tornade non plus. La conséquence: la tornade qu’il est en train de vivre, il la reconnaît comme vent , mais le vent il ne l’identifie pas.
En l’absence du concept de tornade, la tornade que le sujet humain est en train de vivre est intégrée par le concept de vent, que le sujet possède. Suite à cette intégration, le concept comprend les traits (ou valeurs) du vent „inconnu”aussi; il se différencie.
Autre conclusion d’étape: Ce qui permet au sujet humain d’identifier le vent comme étant inconnu c’est ce qui fait varier le concept de vent. Autrement dit, différentiaciation (ou variation) et identification vont ensemble.
Disons maintenant que le sujet est confronté à une deuxième tornade. Cette deuxième tornade, il l’intègre au concept de vent, concept qui comporte des valeurs correspondant au vent qu’il a qualifié d’inconnu. L’intégration permet ainsi à notre sujet de reconnaître la deuxième tornade comme étant un vent connu, et en tant que vent connu, de le nommer. Or la possibilité de le nommer annonce la naissance d’un nouveau concept.
Autre conclusion d’étape: La naissance du concept de tornade suppose au moins deux expériences de la tornade, dont la deuxième, reliée à la première, transforme le vent inconnu en un vent connu, vent que le sujet humain peut nommer tornade.
Une troisième tornade, le sujet humain l’intègre au concept de tornade. L’intégration lui permet de reconnaître cette tornade comme étant une tornade. La différenciation lui permet de l’identifier, de réaliser que cette tornade est, par exemple, plus faible que la précédente.
Autre conclusion d’étape: L’identification d’une tornade comme étant plus faible qu’une autre, demande au moins trois expériences. Une fois, parce que le sujet humain doit reconnaître la tornade comme étant une tornade, ce qui suppose deux expériences au moins, une autre fois, parce que la tornade reconnue, il ne peut l’identifier que par rapport à une autre qui la précède.
Le fait que l’identification d’une tornade dépend tout autant de la tornade elle-même que de la tornade qui fait déjà partie des données du sujet humain, montre à quel point ces données sont importantes. Leur nombre est important, et l’ordre de leur succession est important aussi.
Pourquoi le nombre est-il important?
Un concept est d’autant plus apte à appréhender la diversité du réel que son degré de différenciation, et donc de compréhension, est élevé. Or le degré de différenciation d’un concept est en rapport avec le nombre de manifestations qu’il a intégrées. Ainsi un sujet humain risque d’autant moins de confondre une tornade avec un cyclone, par exemple, que le nombre des tornades qu’il a connues est grand.
Pourquoi l’ordre de succession est-il important aussi?
Une perception n’est jamais complètement neutre et objective. C’est qu’elle est l’expression de la compatibilité ou de l’incompatibilité entre l’objet perçu et le sujet percevant. Et le degré de compatibilité ou d’incompatibilité est en rapport avec l’ordre dans lequel le sujet humain a intégré les manifestations du monde extérieur.
Notre sujet, par exemple, n’a pu percevoir la troisième tornade comme étant „plus faible” que par rapport à une tornade précédente qu’il avait perçue comme forte. En plus, il est probable que sa perception s’est accompagnée d’un sentiment de soulagement, sentiment qui n’est pas sans rapport avec le choc que le sujet a dû avoir lors de la tornade précédente. La même tornade, pour un sujet qui n’a connu que des tornades de faible intensité, peut être perçue comme forte. Et inquiétante aussi.
Là je vais ouvrir une parenthèse pour dire que les données d’un sujet humain et son parcours dans la vie font un, dans le sens que l’ordre de succession de ses données est unique et fait que son parcours soit unique.
Certes, on peut dire que l’ordre dans lequel les manifestations du monde extérieur deviennent des données peut être le même pour tous les membres d’une communauté, que cette communauté soit représentée par la nation, le groupe professionnel, les groupes informels ou la famille. Mais tous les membres d’une nation n’appartiennent pas au même groupe professionnel, tous les membres d’un groupe professionnel n’appartiennent pas aux mêmes groupes informels et tous les membres d’un groupe informel n’appartiennent pas à la même famille. Le résultat: Un individu peut avoit des données communes avec les membres des communautés auxquelles il appartient, mais l’ordre de succession de ses données est unique et génère des différences. Des différences dans les limites des données communes.
Un schéma simple, qu’on peut appeler existenciel, résume cette idée:
Au même moment, n individus se trouvent dans n lieux différents.
Dans le même lieu, n individus se trouvent à n moments différents.
Si l’on note avec des chiffres les moments et avec des lettres les lieux on aura des combinaisons telles que 2m ,4a, 2c, 23a, 12d, etc.
Au moment 2, dans le lieu m, ne peut se trouver qu’un seul individu, qu’on appellera X. Au moment 1, dans le lieu c, ne peut se trouver qu’un seul individu, qu’on appellera Y. Et ainsi de suite. La combinaison entre un moment et un lieu est chaque fois unique.
Du même lieu, à deux moments différents, X et Y voient (ou entendent ou tout simplement perçoivent) des manifestations différentes du monde extérieur. Et plus les moments sont éloignés l’un de l’autre plus les manifestations que X et Y voient sont différentes.
Au moment 4, l’individu X voit à partir du lieu c une manifestation qu’on appellera N. Au moment 23, l’individu Y voit à partir du même lieu une manifestation qu’on appellera L. Comme, d’autre part, ils voient ces manifestations du même lieu, et donc sous le même angle, entre leurs données il y a des ressemblances aussi. Mais il s’agit de ressemblances entre des données différentes.
Au même moment, 2, les individus X et Y peuvent se trouver face à une même manifestation du monde extérieur. Mais comme cette manifestation, qu’on appellera M, X la voit à partir du lieu m et Y à partir du lieu c, ils la voient sous des angles différents, et donc différemment. Et plus la distance entre m et c est grande, plus la différence entre la donnée M de X et la donnée M de Y est grande. Mais il s’agit d’une différence dans les limites d’une donnée commune.
Une même manifestation ne peut pas être la même pour des individus différents et des manifestations différentes ne peuvent pas être que différents pour des individus différents.
Et c’est là un schéma existenciel.
L’ordre dans lequel les manifestations du monde extérieur deviennent des données est temporel. Quant aux données elles-mêmes, elles sont locales et dépendent tout autant de l’ordre dans lequel les manifestations sont intégrées que du nombre de ses manifestations. L’ordre génère les différences qui sont autant de valeurs. Et les valeurs particulières sont subjectives. Le nombre profite aux ressemblances qui forment le concept. Et le concept général est objectif. Les valeurs, avec le temps, peuvent ou non devenir des concepts. Les concepts peuvent avec le temps gagner en valeur ou perdre de leur valeur. De sorte qu’on peut parler non seulement d’un processus d’intégrations successives et de différenciations simultanées mais aussi de généralisations successives et de particularisations simultanées, ou, si l’on veut, d’abstractisations successives et de concrétisations simultanées.
Et là je pense avoir expliqué comment il est possible que le concept qui intègre soit lui-même le produit de l’intégration.
Le concept de tornade s’est formé dans les limites du concept de vent, dont le degré de généralité est plus élevé
Disons qu’un sujet humain n’utilise pour boire que la tasse et qu’un jour, quelqu’un lui donne à boire de l’eau dans un verre. Comme le sujet ne possède pas le concept de verre, il ne peut pas reconnaître le verre comme verre. Il peut, en revanche, le reconnaître comme un ustensile à boire, mais un ustensile inconnu, qu’il n’identifie donc pas. Si un autre jour, il doit à nouveau boire dans un verre, il verra le verre comme un ustensile à boire connu, et en tant qu’ustensile connu il pourra le nommer. Pour ce sujet, le concept de verre sera né.
Voilà ce qu’il en est pour le concept. En ce qui concerne le deuxième point qui porte sur l’interdépendence du géneral et du particulier et son poids dans la communication, je pense avoir montré de façon plus ou moins claire qu’on ne peut identifier une chose qu’on ne reconnaît pas.
Pour être plus claire encore: Un verre à vin, on ne peut l’identifier comme étant un verre à vin sans le reconnaître comme verre. Un verre à vin en cristal, on ne peut l’identifier comme étant un verre à vin en cristal sans le reconnaître comme verre à vin. Un verre à vin en cristal ébreché, on ne peut l’identifier comme étant un verre à vin en cristal ébreché sans le reconnaître comme verre à vin en cristal. Et ainsi de suite. Plus la reconnaissance est fine, plus l’identification est claire. Il faudrait donc plutôt parler de degrés de généralisation, et donc d’intégration , et de degrés de particularisation, et donc de différenciation.
Est-ce qu’on peut dire pour autant que la dépendance n’est pas réciproque, que seul le particulier dépend du général? Nullement. Car on ne peut reconnaître un verre à vin sans en avoir vu un. De même, on ne peut reconnaître un verre à vin en cristal sans en avoir vu un. Et ainsi de suite. Mais si le verre à vin, particulier, est donné dans les limites du verre, qui est plus général, le verre à vin en cristal, est reconnu comme verre à vin, avant d’être identifié comme verre à vin en cristal, grâce au verre à vin particulier qu’on a identifié par le passé.
D’où l’on voit à quel point les données que le sujet humain possède déjà sont importantes. Leur nombre est important. Car plus leur nombre est grand plus la reconnaissance des manifestations du monde extérieur est fine. Et l’ordre de leur succession est important aussi. Car c’est lui qui fait qu’un objet ait de la valeur ou perde de sa valeur. Ce n’est pas la même chose de boire dans des verres en cristal après avoir bu dans des verres ordinares ou de boire depuis toujours dans des verres en cristal.
Il est vrai que cet exemple ruine en partie nos affirmations précédentes, car il laisse voir que le nombre peut aussi nuire à la perception. Mais il y a plus encore. Une perception particulièremet négative ou positive peut rendre caduques des dizaines de perceptions antérieures, sinon toutes. Ce qu’il faut en fait prendre en compte c’est le rapport entre le nombre de données et l’ordre de leur succession. Car, comme je l’ai déjà montré, il n’y a pas de donnée qui soit seulement différente des autres ou seulement commune avec les autres. Ou, ce qui revient en quelque sorte au même, il n’y a pas de donnée qui soit seulement différente d’un sujet à l’autre ou seulement commune à tous les sujets. Une donnée, et donc ce à quoi les sujets se réfèrent quand ils parlent, c’est les deux. Le nombre de données est en rapport avec le pouvoir du sujet alors que le vouloir de celui-ci est à mettre en rapport avec l’odre de succession des données. Et c’est un rapport juste entre les deux qui est à souhaiter.
J’ai réussi, tant soit peu, à répondre à deux des objections qu’on pourrait faire au processus de réception que je tâche de mettre en place, un processus qui, comme on le verra, permet de mieux cerner la position de Saussure et celle de Coşeriu en matière de synchronie et de diachronie.

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