Le prix Nobel de littérature a été attribué jeudi à une femme, pour la première fois depuis 1996. La lauréate, l'Autrichienne Elfriede Jelinek, poète et dramaturge d'avant-garde âgée de 57 ans, est notamment l'auteur du roman "La Pianiste", adapté au cinéma en 2001 par son compatriote Michael Haneke, primé à Cannes.

Ce roman partiellement autobiographique de 1983, son septième, est sans doute le plus connu, même si l'ensemble de son oeuvre est apprécié par un important public, germanophone et francophone principalement. Jelinek est la dixième femme, après la poète polonaise Wislawa Szymborska en 1996, récompensée par l'Académie suédoise depuis la création du Nobel de littérature en 1901.

Interrogée chez elle à Vienne où elle vit recluse, elle a déclaré à l'agence Associated Press qu'elle n'assisterait pas à la remise des prix le 10 décembre. "Je ne suis pas en état mentalement de supporter de telles cérémonies", a-t-elle expliqué, "je souffre malheureusement de phobie sociale". Ses projets pour les prochains jours? "Disparaître!"

L'écrivaine a néanmoins estimé que cette récompense était "le plus grand honneur" qu'on puisse lui faire, même si elle n'avait "pas encore eu le temps d'y penser (...) . D'un côté, c'est un honneur et je suis heureuse, mais de l'autre j'ai peur que ma vie calme ne soit menacée".

L'Académie a précisé dans son communiqué avoir attribué le prix -et le chèque de 10 millions de couronnes (1,1 million d'euros) qui l'accompagne- à Elfriede Jelinek "pour le flot musical de voix et contre-voix dans ses romans et ses drames, qui dévoilent avec une exceptionnelle passion langagière l'absurdité et le pouvoir autoritaire des clichés sociaux".

La plupart des oeuvres de l'Autrichienne, comme "La Pianiste", où une enseignante (incarnée au cinéma par l'actrice française Isabelle Huppert) développe avec un élève une liaison amoureuse sadomasochiste, ou "Lust" (1989), qui décrit "la violence de l'homme contre la femme" dans un mariage conventionnel, évoquent sans concessions la sexualité, la douleur et le conflit homme-femme.

Née en 1946 à Murzzuschlag (Autriche) d'un père juif d'origine tchèque et d'une mère issue de la haute-bourgeoisie viennoise, Elfriede Jelinek a débuté en 1967 avec des poèmes, devenant plus critique après son implication dans les mouvements étudiants des années 1970, avec le roman satirique "Wir sind Lockvögel Baby!". Dans "Les Enfants des morts", elle choque l'Autriche en la décrivant comme le royaume de la mort.

Son opposition véhémente au parti d'extrême droite de Jörg Haider, le FPÖ, qui intègre la coalition au pouvoir en 2000 malgré des propos antisémites et xénophobes, lui attire les foudres d'une partie de la classe politique autrichienne. Pour le président du Parti communiste Walter Baier, c'est en revanche "une féministe et l'une des voix les plus importantes de 'l'autre Autriche'". "Quand j'écris, j'essaie toujours d'être du côté des faibles. Le côté des puissants n'est pas celui de la littérature", explique-t-elle à l'AP.

Ces dernières années, les représentations des pièces d'Elfriede Jelinek en Autriche ont été perturbées par des sifflets, cris et départs de spectateurs. Sa pièce la plus récente, "Bambiland" (2003), critique l'invasion américaine de l'Irak. Mais le secrétaire permanent de l'Académie suédoise, Horace Engdahl, assure que le Nobel n'a aucune connotation politique. Une suite, "Babel", évoquant les tortures dans la prison d'Abou Ghraïb et la mutilation des soldats américains à Falloujah, paraîtra en mai 2005.

Le Nobel de littérature 2003 était allé au Sud-Africain John Maxwell Coetzee.

jeudi 7 octobre 2004, AP.