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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2014-11-05 | |
Dans cet article, nous nous proposons de dégager les entités de „l’ameublement ultime du monde" à partir du processus de réception et de production dans lequel toute chose, dans sa qualité de patient et d’agent, est impliquée.
Toute chose subit l’influence d’une autre. Cette influence est nécessairement bonne ou mauvaise ou plus ou moins bonne ou plus ou moins mauvaise. Et elle est censée être telle du point de vue de la chose qui la subit. Toute chose peut ou non exercer son influence sur une autre. Dans le cas où elle le fait, cette influence est forte ou faible ou plus ou moins forte ou plus ou moins faible. La chose qui n’exerce plus d’influence sur une autre n’est plus. Subir une influence c’est réagir. Intérieure, la réaction est l’expression de la compatibilité ou de l’incompatibilité d’une chose avec l’influence qui s’exerce sur elle de l’extérieur. Exercer son influence c’est agir. Tourné vers l’extérieur, l’acte est l’expression de la disponibilité de la chose qui l’accomplit. L’acte, commandé de l’intérieur et tourné vers l’extérieur, et la réaction, intérieure et provoquée de l’extérieur, régissent le processus de réception et de production et supportent par là toute l’existence. Telle est l’idée qui accompagne notre démarche. Et tous nos écrits, même si elle n’y est pas toujours affirmée ouvertement. Il existe, certes, la réaction entendue comme acte de sens contraire, mais cette réaction n’est pas la contrepartie de l’acte à la façon dont la réception est la contrepartie de la production. Disons que pendant la récréation, deux enfants en viennent aux mains. Parmi les autres enfants, certains regardent la bagarre excités, d’autres inquiets, d’autres en détournent le regard. Qui plus est, l’excitation dans le premier groupe, diffère d’un enfant à l’autre. Et il en est de même pour l’inquiétude dans le second groupe et pour l’évitement dans le troisième. Tout cela laisse voir qu’entre la bagarre et le regard que les enfants y portent il n’y a pas de rapport direct. Par contre, il y a un rapport direct entre la façon dont les enfants regardent la bagarre et la façon dont ils la voient. Le problème est que seul le regard, tourné vers l’extérieur, se laisse appréhender, alors que la vue, intérieure, reste inaccessible. La différence entre voir et regarder et, d’une manière plus générale, entre sentir et faire correspond à la différence entre réagir et agir. Nous pouvions, certes, nous en tenir à la première différence, entre sentir et faire, qui est confirmée par l’expérience et légiférée par la langue. Mais comme on a du mal à attribuer de la sensibilité et de l’intentionnalité à tous les êtres animaux et d’autant moins aux êtres végétaux et minéraux, nous avons pensé que la réactivité et l’activité, plus neutres, et par là même plus techniques, conviennent mieux. Mais même ainsi, une rédéfinition des termes est nécessaire. Imaginons cela ! Un placard est fixé au mur de la cuisine à l’aide d’équerres métalliques. Sur les deux étagères du placard il y a sept piles d’assiettes et on est en train d’en ajouter une huitième. Chaque pile compte six assiettes. Avec la troisième assiette de la dernière pile le placard s’écroule. Comme on se doit d’en connaître la cause, on regarde de plus près et on constate que les équerres métalliques sont intactes, que les endroits auxquels les équerres étaient attachées au placard sont intacts aussi et que c’est le mur qui a lâché prise. On pourrait donc incriminer la résistance du mur. Mais la résistance du mur n’est pas faible ou forte que par rapport à ce qui la met à l’épreuve. Dans notre cas, le placard. Et pourtant le placard, avant qu’on n’y ajoute la troisième assiette de la huitième pile, n’a pas fait céder le mur. Faut-il incriminer la troisième assiette de la huitième pile? Certainement pas, car dans le placard vide, elle n’aurait pas produit cet effet. Dans le rapport de causalité, comme dans tout rapport d’ailleurs, chaque élément a sa part de « responsabilité ». Pour expliquer ce qui s’est passé, il faut donc prendre en compte l’état du mur, mais aussi la pression exercée sur le mur par le placard contenant huit piles d’assiettes, dont sept comptaient six assiettes et une, trois . Personne n’ignore le fait que la pression exercée par le placard est en rapport direct avec son poids. Ce que personne ne sait en revanche c’est comment le poids du placard a changé au point de faire céder le mur. En ajoutant chaque fois une nouvelle assiette, dira-t-on. Mais aucune assiette n’exerce sa pression sur le placard pris comme tout, et donc sur le placard qui tire sur les équerres métalliques. La pression de chaque assiette s’exerce seulement au niveau d’une autre assiette ou d’une des étagères du placard. Voyons comment les choses se passent exactement ? La troisième assiette de la dernière pile pèse sur la deuxième assiette avec la force que lui donne son poids. La deuxième assiette pèse sur la première avec la force que lui donne son poids et celui de la troisième assiette. La première assiette pèse sur l’étagère du placard avec la force que lui donne son poids combiné avec celui de la deuxième assiette, dont la force est donnée par le poids de la troisième assiette aussi. A cela s’ajoute le poids de l’étagère sur laquelle se trouvaient déjà trois piles d’assiettes. Cette pression, l’étagère la distribue sur les murs du placard. Sur ces murs s’exerce également la pression de l’autre étagère, sur laquelle se trouvent quatre piles d’assiettes. Le placard, de son côté, tire sur les équerres métalliques, qui pèsent sur le mur de la cuisine. Enfin, le mur pèse sur les équerres, qui tirent sur le placard. Le processus à l’origine de la chute du placard est complexe. Mais il ne faut pas s’embarrasser de sa complexité. Car le schéma est le même, qu’il s’agisse du processus pris dans son entier ou d’une de ses étapes. Prenons cette étape par exemple : La première assiette pèse sur l’étagère du placard avec la force que lui donne son poids combiné avec celui de la deuxième assiette, dont la force est donnée par le poids de la troisième assiette aussi. Tout compte fait ce n’est pas la première assiette de la huitième pile qui pèse sur l’étagère du placard mais la huitième pile elle-même. Reste à savoir comment on est passé de trois entités à une quatrième dont les trois premières ne sont que des déterminations. Ce qu’on sait c’est que la troisième assiette pèse sur la deuxième, qui pèse sur la première, qui pèse sur l’étagère du placard. Ce qu’on sait aussi c’est que la deuxième assiette pèse plus lourd que la troisième et que la première assiette pèse plus lourd que la deuxième. D’où l’on peut conclure que la deuxième assiette a changé de poids avant qu’elle n’exerce sa pression sur la première assiette. Et que c’est pareil pour la première assiette, dont le changement de poids a été antérieur à la pression qu’elle allaitexercer sur le rayon du placard. Ce qu’on ne sait pas en revanche c’est comment les changements se sont produits et quels facteurs y ont été impliqués. Imaginons trois séries d’assiettes. Dans la première série, les trois assiettes, prises séparément, ont le même poids. Dans la deuxième série, la troisième assiette est plus lourde que l’assiette correspondante de la première série , alors que les deuxième et première assiettes ont le même poids que les assiettes correspondantes de la première série. Dans la troisième série, la troisième assiette a le même poids que l’assiette correspondante de la première série et les deuxième et première assiettes ont des poids différents. Imaginons maintenant que chaque série d’assiettes forme une pile. Dans ce cas, la pression exercée par la deuxième assiette de la deuxième série sera plus grande que la pression exercée par l’assiette correspondante de la première série. Cette différence, on est tenté de la mettre sur le compte de la pression exercée par la troisième assiette, dont le poids est plus grand. Mais la pression exercée par la deuxième assiette de la troisième série est plus grande aussi. Faut-il l’expliquer par le poids de cette assiette qui est plus grand ? Oui, dans la mesure où la pression exercée par la deuxième assiette de la troisième série est effectivement plus grande que la pression exercée par l’assiette correspondante de la première série. Non, étant donné que la pression exercée par la deuxième assiette de la première série est plus grande que la pression exercée par la troisième assiette de la même série. Or les deux assiettes ont le même poids. Il résulte qu’aucun facteur ne peut à lui seul expliquer le changement de poids de la deuxième assiette, changement qui, après tout, est à l’origine du poids de la nouvelle entité qui est la pile d’assiettes. Dans le changement de poids de la deuxième assiette , il faut prendre en considération la pression exercée par la troisième assiette mais aussi le poids de la deuxième assiette au moment où la pression de la troisième s’exerce sur elle. Autrement dit, les deux facteurs ont leur part de contribution. Et il s’agit là de faits observables dont tout un chacun a fait l’expérience ou peut la faire. Mais cela ne veut pas dire que le comment du changement de poids de la deuxième assiette est moins obscur. La contribution de la troisième assiette, on peut certes l’expliquer par l’action qu’elle exerce sur la deuxième. Mais comment expliquer la façon dont cette dernière subit l’action ? On convoque à cet effet l’action de sens contraire. Mais si la deuxième assiette intègre la pression de la troisième , elle peut aussi échouer dans sa tâche. Imaginons une assiette de faïence lourde qui pèse sur une assiette de porcelaine fine. Il est fort probable que cette dernière n’arrivera pas à intégrer la pression de la première et qu’elle se brisera. En plus, une action de sens contraire succède à une autre action et , comme cette autre, est orientée vers l’extérieur . Or toute chose intègre l’action d’une autre ou échoue à le faire au moment même où cette action se produit et à l’endroit où elle se produit. L’explication par l’action de sens contraire n’est donc pas bonne. Pour le devenir, elle demande une rectification q ui est loin d’être anodine. Il est sûr et certain que tout changement sous tend un mouvement. Et je ne parle pas là du mouvement qui provoque le changement, mais du mouvement qui est inhérent au changement. Ce mouvement, je l’appelle réaction. En quoi cette réaction est spéciale? Tout d’abord, comme on l’a déjà dit, cette réaction est locale, et donc intérieure, et se distingue de l’action qui est temporelle et orientée vers l’extérieur. Cette dissociation peut , il est vrai, intriguer et même irriter, car comment concevoir un mouvement qui ne part pas d’un lieu pour arriver à un autre et qui ne se produit pas à un moment déterminé, distinct du moment où se produit le mouvement qui le précède ou qui lui succède ? Pour l’instant nous dirons que le placard dont nous venons de parler a une structure macroscopique, qui a rapport à son assemblage, et une structure microscopique , qui a rapport au matériel dont il est fait. Qu’elle soit micro ou macroscopique, la structure a des limites qui marquent son organisation dans l’espace et des niveaux qui marquent son évolution dans le temps. A chaque niveau se trouvent d’autres structures qui ont d’autres niveaux, de sorte que les limites d’une structure sont les niveaux d’une autre structure, et inversement . Ce qui nous intéresse c’est de savoir comment l’usage du placard fait fonctionner ces structures. Pour cela, nous avons sélectionné la deuxième étagère du placard et la huitème pile d’assiettes. La pile d’assiettes pèse sur l’étagère, qui pèse, à son tour, sur les murs latéraux du placard. La première action, orientée vers l’étagère, est commandée par le poids de la pile d’assiettes. La deuxième , orientée vers les murs du placard, est commandée par le poids de l’étagère. Comme le poids de l’étagère inclut le poids de la pile d’assiettes aussi, on est tenté de dire que le poids de l’étagère a changé entre les deux actions. En fait, le changement de poids coïncide avec l’action exercée par la pile d’assiettes , mais ne se confond pas avec cette action. Il est aussi lié au poids de l’étagère au moment de l’action. Mais cela on l’a déjà montré. Reste à voir ce qui fait le lien. L’action exercée par la pile d’assiettes provoque une réaction au niveau de l’étagère. La réaction relie l’action de la pile d’assiettes au poids de l’étagère et fait que celle-ci change de poids, de structure. Dans un deuxième temps, la réaction commande l’action que l’étagère exercera sur les murs latéraux du placard. Pour étayer un peu plus ces considérations, je reviens sur le processus de réception et de production chez nous , les hommes. Disons qu’une collègue nous appelle par notre nom. Pour que nous entendions l’appel il faut que celui -ci arrive jusqu’à notre nerf auditif et qu’il y déclenche une réaction. Cette réaction fournit l’image auditive de notre nom et commande, dans un deuxième temps, notre action suivante. La réaction s’est ainsi produite au niveau auquel s’est exercée l’action sonore, à la différence de l’action qui s’exercer à un autre niveau que la réaction qui l’a commandée. Toute chose réagit au niveau où l’on agit sur elle et agit à son tour dans les limites de sa réaction. Est-ce que cela veut dire que l’action ne succède pas à une autre action, mais à une réaction ? L’action succède réellement à une réaction, mais comme celle-ci a eu lieu au moment de l’action qui l’a déclenchée, elle est locale et non pas temporelle. Il est donc correct de dire qu’une action succède à une autre action. Il est évident que l’action consiste en une chaîne d’actes et la réaction en une chaîne de réactions correspondantes. Mais dans tous les cas, la réaction est simultanée avec l’acte et l’acte succède à la réaction. Si nos actes (et tous les actes en général), sont irréversibles c’est à cause du fait que la réaction est simultanée avec l’acte qui la déclenche. Si nos réactions (et toutes les réactions en général) sont irréductibles aux actes qui les déclenchent, c’est à cause du fait la réaction relie l’acte à l’état que nous avions au moment de l’acte, et fait que notre état change. Le propre de la réaction est de se produire au niveau même où l’action s’exerce. Le propre de l’action est de s’exercer à un autre niveau que la réaction qui la commande. Développement de la problématique Pour élargir la discussion, je me référerai à Donald Davidson dont l’œuvre fait la synthèse de plusieurs philosophes s’étant penchés sur la problématique de l’action et dont les articles, « Actions, raisons, causes » et « Événements mentaux », ont acquis le statut de classiques en la matière. Donald Davidson fait partie de la communauté philosophique analytique, dont la doctrine, connue sous le nom de physicalisme, veut que toute entité existante soit de nature physique. Parmi les physicalistes, Davidson rejoint le camp des non réductionnistes qui reconnaissent le caractère irréductible du mental, alors que les réductionnistes identifient chaque état mental à un état physique. Dans « Actions, raisons, causes », le philosophe américain défend l’idée selon laquelle l’explication d’une action par les raisons n’est pas incompatible avec son explication par les causes. Avoir un motif d'agir est ainsi un état capable d'exercer une influence sur le comportement. Dans la conception de Davidson, des événements tels que « L’éruption du Vésuve en 1906 avant J.-C.», « La préparation de mon petit déjeuner ce matin » ne se laissent pas réduire à d’autres entités. Ce sont des particuliers aussi fondamentaux, ontologiquement parlant, que les objets physiques comme des portes ou des arbres . Parmi les événements, Davidson cherche à distinguer ceux dont une personne est l’agent de ceux dont cette même personne est le patient. « A quoi reconnaît-on ses actes ou les choses qu’elle a faites par opposition aux choses qui lui sont arrivées ? » (L’agir p. 69). L’ intérêt du philosophe se porte pour l’essentiel sur les événements dont la marque distinctive est l’agir, à savoir les actions. Dans sa démarche, il part d’une constatation de E. Anscombe selon laquelle une action peut être décrite aussi bien en termes physiques (se rapportant aux mouvements du corps de l’agent) qu’ en termes psychologiques (se rapportant aux raisons et motifs de l’agent). Tout comme Anscombe, il considère qu’un événement auquel ne s’applique aucune description intentionnelle (par les raisons) est un événement qui « arrive » et non une action qui est « fait[e] » . «Un événement est une action si et seulement si on peut le décrire d’une manière qui le rende intentionnel » (p 305) L’intentionnalité apparaît ainsi comme la marque distinctive de l’action. Contre les wittgensteiniens, Davidson soutient que la relation qui unit les raisons aux actions n’est pas simplement une relation de justification. Elle est aussi causale. « Il y a des causes pour lesquelles il n’y a pas d’agent. Parmi ces causes sans agents se trouvent les états et les changements des personnes qui, du fait qu’elles sont des raisons autant que des causes, font de certains événements des actions libres et intentionnelles. » (p 36) En distinguant entre événements individuels, datés, et types d’événements, il dit plus précisément qu’un événement mental particulier peut causer un événement physique particulier, mais que la relation qui sous-tend les deux événements est physique et non pas mentale ou psychophysique, les phénomènes mentaux, à la différence des phénomènes physiques, ne pouvant pas être subsumés sous des lois déterministes. L’idée de l’irréductibilité du mental au physique, il la développe dans l’article « Événements mentaux » d’où on retient deux thèses plus importantes. Selon la première, qui est une transposition d’une idée de G. E. Moore, les propriétés mentales sont dépendantes des propriétés physiques ou survenantes par rapport à elles. La seconde thèse se rapporte au caractère holistique du mental et explique pourquoi la survenance n’implique pas la réductibilité du mental par l’intermédiaire de lois ou de définitions. Selon cette dernière thèse, qu’il reprend à W. V. Quine, les contenus mentaux ne peuvent pas être déterminés isolément : « …nous ne pouvons comprendre les croyances particulières que dans la mesure où elles sont intrinsèquement liées à d’autres croyances, à des préférences, à des intentions, espoirs, peurs, attentes, et autres états mentaux. Cela ne tient pas seulement, comme dans le cas de la mesure de la longueur, au fait que chaque cas particulier confirme une théorie et dépend d’elle, mais au fait que le contenu d’une attitude propositionnelle dérive de la position qu’elle occupe dans la trame générale. » (p 297) Contre Carl G. Hempel, qui considère que la disposition à agir d’une personne sous entend une loi gouvernant le comportement de cette personne, D. Davidson défend l’idée selon laquelle les lois implicites dans les explications par les raisons sont « particulières aux individus, et même à des individus dans des moments particuliers. » (p 351) Il arrive, dit-il, que les gens aient des raisons pour accomplir certaines actions et ne les accomplissent jamais. Il arrive aussi que les gens aient des motifs pour accomplir certains actes, mais ne les accomplissent finalement que par accident. « Les motifs n’ expliquent une action que s’ils la causent, et d’une façon très spécifique. » (p.350) Dans la conception davidsonienne, le trait de rationalité de l’agent invoqué par G. Hempel et par Frank Ramsey, dans sa théorie de la décision, « est un instrument trop peu précis pour être de grande utilité dans les explications par les raisons, car même la personne la plus rationnelle agira souvent pour des raisons peu solides, alors que,… l’action la plus futile a ses raisons. » (p 353) En plus, la théorie de la décision décrit une situation statique : la trame des préférences d’une personne à un moment donné. Or les sujets peuvent être influencés dans leurs préférences par l’expérience elle-même. D’après Davidson, l’explication par les raisons est une explication de second ordre qui doit être englobée dans une explication plus large. Dans « L’individuation des événements », l’ontologie de l’action s’ouvre sur la question de savoir quand deux événements sont identiques et quand ils sont distincts. « Je tourne l’interrupteur, j’allume la lumière et j’illumine la pièce. A mon insu, j’alerte aussi un rôdeur de ma présence à la maison ». (p 17) Ces phrases, dans la conception de Davidson, décrivent une seule action comportant le mouvement corporel de l’agent (avancer la main), la raison du mouvement (vouloir allumer la lumière) et ses conséquences plus ou moins éloignées (illuminer la pièce et alerter un rôdeur). « On rencontre, à mon sens, des difficultés insurmontables quand on considère ces différentes actions, les actions primitives telles que mouvoir la main, et les actions que nous décrivons en les désignant comme des conséquences, comme numériquement distinctes les unes des autres. » (p 86) Mais le critère d’individuation de l’action avancé par le philosophe - deux événements sont identiques quand ils ont les mêmes causes et les mêmes effets – est jugé comme étant circulaire, et donc problématique. Pour finir, il est important de préciser le sens de quelques termes fondamentaux de la théorie de l’action de Donald Davidson : raison primaire, action primitive et intention pure. Le concept de vouloir, introduit par Aristote , rend prometteuse une analyse de la « connexion mystérieuse » entre les raisons et les actions, mais il est trop étroit, soutient Davidson. La structure des rationalisations doit inclure, d’après lui, deux attitudes psychologiques canoniques : un désir qui rende l’agent favorable à l’accomplissement d’une action ayant telle ou telle caractéristique et la croyance que l’action accomplie a la caractéristique en question. « La phrase « Je veux cette montre en or qui est dans la vitrine » n’est pas une raison primaire, et n’explique pas que je sois entré dans la boutique que parce qu’elle suggère une raison primaire – par exemple que je voulais acheter la montre. » (p. 19) La raison primaire d’une action est sa cause et elle suppose un état conatif et un état cognitif. D’après Davidson, certains actes doivent être primitifs au sens où l’on ne peut pas les analyser en termes de leurs relations causales à des actes du même agent. Ce sont les mouvements du corps. Il est […] important de montrer que dans des actions ordinaires telles que montrer du doigt quelque chose, ou lacer ses souliers, l’action primitive est un mouvement du corps. (p. 75) Deux objections ont pu être élevées à l’encontre de cette thèse. L’une consiste à dire qu’un individu qui montre du doigt quelque chose fait advenir certains événements dans son cerveau et ces événements ne sont pas des mouvements du corps . Mais tout en admettant que les mouvements mentaux sont des cas problématiques, Davidson dit que cela ne prouve pas que montrer du doigt quelque chose n’est pas une action primitive, parce que cela ne prouve pas que l’individu doit faire quelque chose d’autre qui en soit la cause. L’autre objection consiste à dire que certaines actions primitives impliquent plus qu’un mouvement corporel. Quand un individu noue ses lacets, par exemple, il y a d’un côté le mouvement de ses doigts, et de l’autre le mouvement des lacets, et l’individu ne peut décrire ou concevoir comment il meut ses doigts, indépendamment du fait qu’il meut les lacets. D’après Davidson, un agent sait toujours comment il meut son corps lors d’une action intentionnelle. Ainsi, l’ individu peut décrire le nouage des lacets de la façon suivante : je meus mon corps précisément de la manière requise pour nouer mes lacets. Voilà ce que le philosophe écrit dans son article « L’agir » de la relation qui unit l’action primitive aux autres actions : «…à partir du moment où il a fait une seule chose (bouger le[s]doigt[s]chaque conséquence implique un acte de l’agent : un agent cause ce que ses actions causent. » (p. 81) Cette idée va dans le sens de sa conception « uniciste » de l’action. Comme l’ action, l’intention peut être comprise en termes de notions plus fondamentales. L’intention pure est ainsi définie comme l’intention qui accompagne toute action intentionnelle un peu longue à réaliser, ou qui implique des étapes préparatoires. Dans l’action qui consiste à écrire le mot « action », certains segments temporels « sont eux- mêmes des actions ; par exemple, j’écris d’abord la lettre « a ». Je fais cela en ayant l’intention d’initier une action qui ne sera pas complète tant que je n’aurai pas écrit le reste du mot. » (p. 126) Cette intention indique qu’il y a quelque chose qui est séparable des contextes dans lesquels s’accomplit l’action visée. Davidson distinque ainsi deux sortes d’intentions, celles avec lesquelles on agit et qui correspondent à des états mentaux antécédents à l’action et celles que l’on forme dans l’action d et qui correspondent à des états mentaux ponctuels, contemporains de l’acte. « Durant toute activité continue, telle que conduire une auto, ou toute performance difficile à réaliser, comme traverser l’Hellespont à la nage, il y a des objectifs à réaliser, des critères, des désirs et des habitudes plus ou moins fixes qui donnent forme et direction à l’entreprise tout entière, et il y a une entrée continue d’informations sur ce que nous faisons, sur les changements dans l’environnement, en termes desquels nous réglons et ajustons nos actions. » (p. 27-28) Ces deux types d’intention, il les identifie à des jugements. Le jugement conditionnel ou « prima facie » qui prête à l’action une désirabilité relativement à certaines caractéristiques , en liaison avec les données dont l’agent dispose, est associé à l’intention comme raison, non spécifique, et le jugement inconditionnel, absolu, qui est associé à l’intention pure, spécifique. Cette distinction lui permet d’expliquer pourquoi les intentions ne sont pas nécessairement suivies d’actions, d’une part, et, d’autre part, pourquoi l’agent peut agir à l’encontre de ce qu’il juge être le meilleur. Elle permet d’expliquer, autrement dit, ce qu’Aristote appelait akrasia, comportement irrationnel. Toutes les thèses de Donald Davidson ne font pas l’unanimité. Sa théorie de l’action n’en reste pas moins l’une des plus complexes et complètes qui soit. Discussion Le rapprochement entre les réflexions menées en philosophie de l’esprit et les recherches scientifiques, tenté par les philosophes analytiques, semble prometteur. Il faut encore que les réductionnistes et les non-réductionnistes trouvent un terrain d’entente, sans que le socle physicaliste s’en trouve abîmé. Nous pensons, quant à nous, que la distinction entre expérience en première personne et expérience en troisième personne, à condition qu’on en exploite toutes les virtualités, peut à cet égard être vue comme une sorte de voie royale, une voie sur laquelle les deux tendances se rejoignent. D’entrée de jeu, il faut dire que l’expérience en première personne n’a rien à voir avec l’expérience qu’on a de soi par opposition à l’expérience qu’on a d’autrui. L’expérience en première personne est celle à laquelle on accède directement en tant que personne qui a telle ou telle expérience. À l’expérience en troisième personne, on accède, par contre, indirectement, à partir du comportement d’autrui ou de notre propre comportement. L’expérience en troisième personne, nous l’avons en commun avec les autres, mais elle n’est pas pour autant identique pour nous tous. C’est que, justement, elle s’accompagne de l’expérience en première personne, qui est différente pour chacun d’entre nous, et donc unique. Il est important aussi de faire observer que l’expérience en troisième personne peut se rapporter non seulement à l’expérience que nous avons des autres mais aussi à l’expérience que nous avons de nous mêmes et que l’expérience en première personne accompagne les deux. On dira donc que les deux expériences, en troisième et en première personne, adviennent ensemble, et que la seconde n’est pas réductible à la première. Sur ce point, notre position semble se rapprocher de l’explication dite non réductrice, dont Donald Davidson est l’un des représentants , mais elle s’en éloigne en ce qui concerne l’ontologie de l’expérience en première personne. De l’avis de tous, cette expérience réfère aux aspects qualitatifs de l’expérience. Mais dire, à la façon des philosophes non réductionnistes, que ces aspects sont non physiques c’est méconnaitre le fait que les relations dans le monde physique sont des relations de compatibilițe ou d’incompatibilité et qu’elles génèrent nécessairement des états dont la charge est positive ou négative. Et cette charge est telle du point de vue du patient. Dans le cas de deux groupes sanguins incompatibles, le changement est négatif pour le receveur et non pour le donneur. La compatibilité entre le greffon, un plant américain résistant au philloxéra, et le porte-greffe, une vigne de France, génère une charge positive pour le porte-greffe. L’incompatibilité entre l’eau de mer et le fer est génératrice de négativité pour le fer, qu’elle fragilise. Du point de vue du patient, l’interaction n’est jamais neutre. Elle a cette charge de positivité ou de négativité qui, pour être physique, n’est pas moins „subjective” L’expérience en première personne est l’interaction du point de vue du patient. Le physicalisme n’implique donc pas le rejet des qualias. L’explication dite réductrice, d’autre part, repose sur la thèse selon laquelle on peut connaître ce qui se passe à un niveau de la réalité en réduisant celui-ci à la description d’un niveau inférieur. Mais cette thèse n’est pas réellement fiable. Et la raison peut être formulée comme il suit. Passer d’un niveau de la réalité à un autre c’est passer d’un niveau d’évolution à un autre. C’est changer de niveau temporel. Au changement de niveau correspond un changement des structures qui se trouvaient au niveau antérieur. Et ce changement, qui est local, est irréductible. S’il en était autrement , on pourrait revenir en arrière et on pourrait aussi connaître le futur à l’avance , ce qui n’est pas le cas. En résumant notre objection, on dira qu’on ne peut retourner à un niveau antérieur de la réalité parce que les structures qui se trouvaient à ce niveau ont changé entre temps et qu’on ne peut réduire le changement sans changer de niveau . Le retour en arrière est toujours une marche en avant. Cette „marche ”, d’autre part, s’effectue dans les limites d’une structure donnée, ce qui fait que le changement soit relatif à cette structure, qu’il ne soit pas total. Il y a donc une structure commune aux deux niveaux. Cette structure, au niveau d’arrivée, s’accompagne d’une valeur qui n’existait pas au niveau de départ. La structure, réductible au niveau de départ, correspond à l’expérience en troisième personne, la valeur, irréductible, correspond à l’expérience en première personne. Seule la structure commune aux deux niveaux est connaissable, alors que la valeur, qui accompagne la structure au niveau d’arrivée, est imprédictible. Cette valeur , en revanche, fait agir, fait avancer les choses. Il f aut faire avec les qualia, avec „l’effet que acela fait” d’avoir telle ou telle expérience. Sur ce point, on peut rendre justice aux philosophes non réductionnistes et à la psychologie du sens commun. Mais la valeur, tout comme la structure, est physique. Et elle n’est psychique que dans la mesure où elle est le résultat de l’expérience en première personne. Distinguer une action de ce qui n’en est pas une est une priorité pour Davidson. Et pour nous aussi. Le passage qui suit, tiré de l’article „L’agir” de D. Davidson, nous aidera à préciser notre position. „Certaines sortes d’erreurs sont particulièrement intéressantes : un signe mal lu, un ordre mal interprété, un poids sous-estimé, ou une addition mal faite. […….] ces erreurs ne sont pas intentionnlles; elles sont néanmoins des actions. Pour voir pourquoi , il suffit seulement de relever que faire une erreur doit dans chaque cas consister à faire quelque chose d’autre intentionnellement. Mal lire un signe c’est le comprendre, bien qu’on n’atteigne pas l’objectif voulu; mal interprété un ordre c’est encore l’interpréter (et avec l’intention de l’interpréter correctement); sous-estimer c’est estimer; et faire une erreur de calcul, c’est calculer (même si on se fourvoie).” (p. 70) En fait, seule l’action est intentionnelle. Son résultat, échec ou réussite, ne l’est pas. Un signe mal lu, une addition mal faite tout comme un signe bien lu, une addition bien faite s’expliquent non seulement par le vouloir de la personne concernée, mais aussi par son pouvoir, par les moyens dont cette personne dispose au moment de l’action. Un ordre mal interprété, un poids sous-estimé tout comme un ordre bien interprété, un poids correctement estimé sont à mettre en rapport avec les moyens dont la personne concernée dispose au moment de l’action. Et pour cause. Lire un signe est une action, comprendre le signe n’en est pas une. Faire une addition est une action, en calculer la somme, au sens de l’évaluer n’en est pas une. La personne qui lit le signe est l’émetteur ou l’agent, la personne qui comprend le signe est le récepteur ou le patient. La personne qui fait l’addition est l’agent, la personne qui en calcule la somme est le récepteur ou le patient. Dans ces exemples, la même personne est agent et patient. En tant qu’agent, elle fait quelque chose „intentionnellement”. En tant que patient, elle est à l’origine de l’échec ou de la réussite de ce qu’elle fait. Plus précisément, elle lit le signe „intentionnellement” mais elle le lit mal parce qu’elle l’a compris mal et le lit bien parce qu’elle l’a compris bien. Et c’est pareil pour l’addition. De même, donner un ordre est une action, interpréter l’ordre n’en est pas une. Peser au sens d’exercer une pression est une action, estimer la pression n’en est pas une. La personne qui donne l’ordre est l’émetteur ou l’agent, la personne qui l’interprète est le récepteur ou le patient. La chose qui pèse plus ou moins lourd est l’agent, la personne qui en estime le poids est le patient. Dans ces exemples, l’agent et le patient sont des personnes (ou des choses) différentes. La personne qui correspond au patient ne fait rien „intentionnellement” pour la simple raison qu’elle réagit dans les limites de son pouvoir. Plus précisément, l’agent donne l’ordre „intentionnellement” et le patient, visé par les exemples, interprète l’ordre bien ou mal en fonction des moyens dont il dispose au moment de l’action. Et c’est pareil pour l’estimation du poids. Davidson a tort de prêter un caractère intentionnel au fait de comprendre. Vouloir comprendre bien un signe écrit, par exemple, est la raison pour laquelle on lit ce signe. Et vouloir le comprendre bien est la raison pour laquelle on le lit plus d’une fois. Seule la lecture est intentionnelle. Quant à la compréhension , elle dépend de la lecture qu’on est en train de faire et des lectures qu’on a déjà faites , et qui nous fournissent, en tant que récepteurs, les moyens nécessaires pour une bonne compréhension du signe. A force de lire, on comprend mieux. Et il n’y a pas que „certaines sortes d’erreurs”qui sont „particulièrement intéressantes”. Une action bien faite soulève autant de difficultés qu’une action mal faite, pour la simple raison que, dans les deux cas, il faut prendre en compte non seulement la raison d’agir de l’agent, mais aussi ses moyens d’action. Il est important maintenant de revenir sur la distinction faite per Davidson entre l’intention qui précède l’action et l’intention qui se forme dans l’action ou l’intention pure. Plus que l’identité des causes et des effets de deux actions, la distinction entre intention et intention pure peut servir de critère d’individuation de l’action. Une fois, parce que l’état mental antécédant à l’action, à laquelle il donne son orientation, permet de désigner une action comme étant numériquement distincte d’une autre. Une autre fois, parce que les états mentaux « ponctuels », « contemporains » de l’action, permettent de rendre compte de la non identité entre l’intention qui précède l’action et le résultat de l’action. Sur la durée d’une activité, « il y a des objectifs à réaliser, des critères, des désirs et des habitudes plus ou moins fixes qui donnent forme et direction à l’entreprise tout entière » et « il y a une entrée continue d’informations sur ce que nous faisons, sur les changements dans l’environnement, en termes desquels nous réglons et ajustons nos actions. » dit Davidson. Cela montre justement que, sur la durée d’une activité, l’état cognitif change, mais qu’il change dans les limites de l’état conatif de départ. Si l’état cognitif ne changeait pas, l’activité ne serait pas adaptée et se terminerait par un échec. Si l’état conatif changeait aussi, cela engagerait une autre activité. D’où l’on voit que seul l’état conatif définit la raison primaire d’une action ou sa cause. L’état cognitif est à mettre en rapport avec les moyens d’action de l’agent et non pas avec sa raison d’agir. Il faut donc laisser de côté la croyance davidsonienne ou les règles sociales des wittgensteiniens et s’en tenir au vouloir aristotélicien. Dans l’article „La question de l’identité et de l’altérité”, nous avons commenté cette citation d’Aristote: „ Pourquoi, s’ils rencontrent un puits ou un précipice dans leurs promenades du matin, ne s’y dirigent-ils pas en droite ligne, et paraissent-ils prendre leurs précautions, comme s’ils jugeaient qu’il n’est pas également mauvais et bon d’y tomber ? Il est donc évident qu’ils pensent que telle chose est meilleure, telle autre plus mauvaise. » (L.4, ch.4, §.18) Nous revenons sur certains points de notre commentaire tout en les développant afin de montrer que „ils” se rapportent aussi bien à „ils” en tant que patients qu’à „ils” en tant qu’agents et que seule cette dissociation permet une approche cohérente de l’action. Par la suite, nous parlerons d’un seul promeneur et nous le désignerons par x. La promenade du matin est l’activité de x. Le précipice sur le chemin est le changement dans l’environnement. Ce changement devient une information s’il est perçu. Disons que x ne perçoit pas le changement ou qu’il le perçoit trop tard. Dans ce cas, il se dirigera vers le précipice au lieu de le contourner ou de faire marche arrière. Plus précisément, x en tant que patient fait que x en tant qu’agent marche dans le vide et tombe. La promenade du matin de x a un caractère intentionnel, certes, x se promenant pour vouloir se mettre en forme, par exemple. Mais le résultat de la promenade, la mise en forme ou la chute, n’est pas intentionnel, car le résultat dépend non seulement de la raison d’agir de x, mais aussi de ses moyens d’action. Ces moyens changent au cours de la promenade, mais ils changent dans les limites de la raison d’agir. Le fait que les moyens changent explique pourquoi la promenade peut se terminer bien ou mal. Le fait que les moyens changent dans les limites de la raison d’agir permet de dire qu’on a affaire à une même action, de quelque façon qu’elle se termine. Davidson dit que l’erreur, même si elle n’est pas intentionnelle, est une action. Mais l’erreur n’est pas une action, mais une certaine façon d’accomplir l’action. Elle ne s’explique pas par le pourquoi de l’action, qui est constant, mais par le comment de l’action, qui est variable. L’activité de se promener consiste en une action principale, celle de marcher, et des actions secondaires, celles de regarder, de réfléchir, etc. Chaque action, de son côté, consiste en une série d’actes (une série de pas, de regards, de pensées ou actes de parole, etc). Dans l’action de marcher, par exemple, chaque pas est différent des autres en raison des moyens développés pour le faire. En même temps, chaque pas est relié aux autres en raison de l’intention qui anime l’action de marcher. Le pas dans le vide, qui nous intéresse en particulier, est intentionnel en raison de l’intention qui animait l’action de marcher de x, mais il est aussi un faux pas en raison des moyens dont x a disposé pour le faire. Il est possible que sur la durée de sa promenade, le fait de réflechir à quelque chose ait pris le desssus sur le fait d’observer la route et qu’il n’ait pas vu le précipice qui se creusait devant lui, ou qu’il l’ait vue trop tard. Le faux pas est ainsi à mettre en rapport avec la disposition de x à réagir aux facteurs du milieu. On dira donc que x a marché dans le vide parce que sa réaction face au précipice a été nulle ou tardive. La réaction, qui explique l’action, concerne x en tant que patient, l’action concerne x en tant qu’agent. Disons maintenant que x voit le précipice. Dans ce cas, il peut faire marche arrière et renoncer à la promenade, il peut continuer la promenade en prenant un autre chemin, il peut se jeter dans le précipice, etc. Déterminer exactement ce qu’il fera est impossible. Et cela n’est pas dû au précipice qu’il voit, mais à la façon dont il le voit. Car seule la façon dont il le voit correspond à ce qu’on appelle expérience en première personne , expérience qui déterminera, à son tour, la façon d’agir de x. Mais cette expérience n’est connaissable qu’à partir du comportement qu’elle génère chez x, et donc après coup. Dans la conception davidsonienne, l’explication par les raisons n’est pas suffisante, une fois, à cause du caractère holistique de l’expérience mentale, une autre fois, à cause de l’inexistence de lois reliant les raisons aux actions. Appliquée à notre exemple, sa conception pourrait être traduite de la façon suivante : Dans l’expérience de vie de x, la vue du précipice occupe une place déterminée Déterminer cette place c’est déterminer le moment où x a vu le précipice. Déterminer le moment où x a vu le précipice c’est déterminer la façon dont il a vu le précipice. L’ordre de succession des expériences, la place qu’elles occupent les unes par rapport aux autres, est décisif pour la façon dont ces expériences sont vécues. Le problème est qu’on ne peut déterminer le temps d’une expérience que dans un autre temps, ce qui change l’ordre dans lequel cette expérience succède à une autre et, par là même, la façon dont elle est vécue. D’où l’on voit que l’expérience en première personne n’est pas connaissable en raison de l’ordre de succession des expériences qui la détermine, ordre qui n’est pas réversible. Et on a affaire ici à un schéma existentiel et non pas aux limites de notre connaissance. Davidson a raison de dire que le caractère holistique de l’expérience mentale détermine son caractère individuel, daté, mais il a tort de soutenir que cette expérience n’est pas une expérience type aussi et que la relation qui l’unit à l’action est d’une nature différente de la sienne. Toute expérience est le résultat d’une mise en rapport entre la stimulation exercée sur nous de l’extérieur et une information similaire que nous déteneons déja. Dans sa simplicité, la mise en rapport conforte aussi bien la thèse de la réductibilité d’un niveau supérieur à un niveau inférieur que la thèse de l’irréductibilité. Il y a réductibilițé parce qu’il y mise en commun des similarités. Il y a irréductibilité en raison de la différence qui se dégage sur fond de similarité. La mise en commun rend compte du caractère général de toute information, la différence en explique le caractère particulier. La mise en rapport, d’autre part, suppose des forces d’attraction et de rejet qui sont physiques, car basées sur la compatibilité ou l’incompatibilité entre les substances. Ses forces font qu’il n’y ait pas d’information neutre. Si x juge qu’”il n’est pas également mauvais et bon” de tomber dans le précipice c’est parce que l’information sur la présence du précipice n’est pas neutre. La mise en rapport sous entend une réaction intérieure à l’action qui s’exerce sur nous de l’extérieur. Et la réaction, comme l’action, est physique, et on ne peut la considérer comme étant psychique que dans la mesure où elle intérieure. La mise en rapport exige la prise en compte de l’hypostase de patient à côte de l’hypostase d’agent. Notes ¹L’exemple illustrant la conception de l’auteur est tiré d’ « Actions, raisons et causes », étant donné que dans « L’individuation des événements », la forme d’argumentation philosophique dominante est l’analyse logico-linguistique. Bibliographie Davidson Donald, Actions et événements, Presses universitaires de Paris, 2008 |
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