Illustration : Vitruve, composition R.Reumond 2013






Il en est probablement des langues comme de l’humanité, il faut les parler et les partager.

J’ai beau réfléchir à me spolier les méninges, à me dépossédant du trop et cherchant le vide bienfaiteur, priant Sigmund, Carl Gustav ou Saint Jacques mon maître, retournant dans tous les sens les anneaux de Borromée, usant de patience et de compassion envers soi-même, je n’y parviens pas !

Alors un grand merci à tous ceux qui m’interpellent, car hier encore, je me faisais la même réflexion au sujet de ma propre « humanité », je me rendais compte qu'à force de ne pas la pratiquer comme on pratique une langue vivante, tout au fil des jours de ma vie, je perdais celle-ci comme on peut perdre son sens.

Lom me manque, les Trumains (1) faillent…, par pitié ! Y aurait-il entre la pesanteur des choses et l’apesanteur des grâces, quelque humain dans l’avion, qui aimerait me regarder dans les vœux et oserait parler avec moi d’autre chose que de crise et d’apocalypse ?

Sans vouloir devenir homolinge, hétéro ou bilingue, une petite relation salvatrice, un vis-à-vis de quelques heures par mois me suffiraient, je ne suis point difficile ! Car je constate avec dépit qu’à force d’aller ailleurs que dans ma plus profonde humanité, de me dépossède de moi plus encore, je me mets à parler en surface ; et force est de constater que face aux semblants, aux convictions, je parviens même à me surprendre, à causer sans le moindre effort des apparences comme de réalités !

Y' aurait-il dans le monde visible ou invisible, quelqu'un ou quelqu'une de vraiment humain ? Je crains qu’il soit trop tôt, l’homme n’est pas en corps et comme Diogène, je crains d’errer ainsi pendant des heures, des semaines ou des décennies à chercher ce saint homme, ce Graal virtuel.

Force est de constater, de visu en d’oreillettes que la venue du fils du singe que nous sommes ne peut se faire sans grandes révolutions, l’humanité à laquelle nous aspirons relève autant du mirage que du miracle, après bien des combats, le primate est déjà lui-même le fruit de bien des efforts.

Comme l’animal domestique est l’otage d’un certain confort, ne sommes-nous pas tous les prisonniers de nos cages dorées et de nos cuirasses socioculturelles, intellectuelles ou autres ? Oui, il est écrit en gras, ci-gît, entre ses planches anatomiques l’homo sapins dans toute ses pauvretés, hôte de son hôte, prisonnier de lui-même et de son égoïsme.

L’humain véritable serait-il encore dans ses cartons, sous la forme d’un projet à peine esquissé comme un croquis de Vinci ? Une immersion dans la mort nous plongera surement dans la vie afin que nous puissions comprendre du dedans la consistance exacte et les conséquences du mot humanité.

Mais réjouissons-nous tous, un jour prochain nous parlerons ensemble la langue des mort, et donc toutes ces langues mortes et vivantes qui traversèrent les civilisations, en la chair et l’os même de la matière ; j’ignore toujours où, comment et pourquoi, mais nous pourrons ainsi nous livrer avec joie et poésie à des logorrhées dans pareil.

(1) des expressions propres au discours psychanalytique de Jacques Lacan