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■ Voir son épouse pleurer
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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2010-03-28 | |
Jean-Paul GAVARD-PERRET
D’AMOUR, DE LANGUE ET DE PAIX Constantin Frosin est un maître de la langue. Celle-ci est son bon ange et son démon. Il la vénère, mais de la meilleure façon : en lui faisant des enfants dans le dos. En témoignent les « masques » dont il s’empare ici pour « derrière » eux en dire plus non seulement sur les auteurs dont il parle, mais sur sa propre poétique et sa philosophie pacifique. Les repères qu’il sort des « placards » sont autant de re-pères (et de re-mères). Ils sont là pour dire ce que Frosin cherche à travers eux au fond de lui-même. C’est ce qu’il appelle « pratiquer ce double jeu du ça et du soi » afin de rebondir avec des lectures qui dérangent et qui enthousiasment. Parmi celles-ci, rien que du beau linge : de Ungaretti à Cioran. Du grand poète italien aux « jarrets d’acier », Frosin propose une lecture lacanienne qui vaut bien des analyses exhaustives. Cette vision a le mérite d’être incisivement drôle, tant le poète roumain sait dire le plus sérieux avec humour - ceux qui lisent sa poésie le savent. Par le nom et le prénom du poète italien et leurs possibles « racines », Frosin fait déjà le tour de l’œuvre. C’est un exploit d’autant plus probant qu’il n’a rien d’artificiel - mais on laissera au lecteur le plaisir de la découverte… Pas question de révéler les clés de l’essayiste qui apparaît ici dans sa plus profonde originalité. Un tel article à lui seul peut renouveler les études ungarettiennes, et on espère que ce livre sera traduit en italien. Comme Ungaretti, Frosin parle à l’intelligence, au cœur et à l’écart des cuistres. Comme lui, il se bat (sans violence) pour ses convictions « au milieu de ce désert qu’est cette terre des hommes » donc et entre autres des écrivains qui ne se font pas de cadeau. Le poète roumain en a été parfois la victime, et cela l’a profondément blessé. D’autant que le poète ne pose jamais. Il avance, il fait, il croît à la Poésie. Il croît même comme Ungaretti qu’elle peut sauver (un peu) le monde et il a raison, car tant qu’il y aura des poètes il y aura des hommes. Les réflexions rassemblées ici sont autant de leçons (sans préchi-précha) de vie et de foi. Leçon de morale, si l’on veut. Car les remarques pertinentes de l’auteur pourraient constituer un recueil de germination des règles de la vie. Elles seraient à suivre par n’importe qui, afin que le monde aille un peu moins mal. On ne peut donc pas limiter ce livre à un livre de « critique ». Ce n’est pas seulement un analyste qui parle. Mais le poète qui cherche chez ses pères et ses pairs matière à se transsubstantier, à passer de l’abstrait au concret même si la poésie de Frosin se mue en métaphysique. Mais ce n’est pas pour nous déplaire. D’autant que celle-là garde chez les poètes roumains une saveur particulière. Frosin en témoigne. Cioran aussi. Et le premier lecteur du second encore plus. Les œuvres des deux Roumains possèdent un point commun : elles apparaissent à travers le clair-obscur de leur humour. Plus noir chez Cioran, il est parfois plus « joué » comme si l’auteur s’était muselé dans une marque de fabrique – que contredisent d’ailleurs ses journaux intimes. Frosin, à partir de la tradition roumaine des masques populaires traditionnels - qu’on retrouve en ex Europe de l’Ouest plus en Italie ou en Belgique qu’en France -, se mue lui-même en artisan de masques. Mais pas n’importe lesquels. Parfois il est l’homme sérieux, le professeur engagé dans les institutions pour faire bouger les choses (et il les fait bouger). Parfois il est sinon l’opposé, du moins un autre (« Je est un autre » c’est bien connu…). Dans ce va-et-vient permanent, de fait Frosin n’emprunte pas de masques : il les soulève. Comme si l’effet de leurre (et, tout compte fait, la littérature en est un) produisait la vérité. Et moins qu’un Cioran, il ne prend pas de pose. Le seul « masque » qu’il revendique, est celui de la langue française dont il est l’ardent défenseur. Mais l’artificier n’hésite pas à choisir parfois le rire plutôt que les larmes. Même si son rire est comme celui de Cioran « tantôt jaune, tantôt sous cape, tantôt entre ses dents ou entre deux malheurs ». Il demeure néanmoins toujours là , en fil rouge. Et qui sait lire Frosin sait facilement le discerner même sous les belles paroles qui « n’écorchent ni la langue, ni l’oreille, ni les autres ». Frosin - et il le prouve dans ce livre - est quelqu’un de fidèle. Il aime la langue française, mais ne renie jamais sa Roumanie et la langue roumaine. Il restera Roumain dans son âme et sa chair, sous les traits de la langue française, conscient que la différence culturelle assure identité et authenticité. Il est tout autant fidèle au français et aux Français. Mais c’est aussi un citoyen du monde. Il est donc tout en « dépit » de son aspect rangé, un non-conformiste. Il aime autant l’action que les mots. Et l’on espère pour lui qu’il tombera toujours plus sous les mots que sous les maux. Bref, qu’il demeurera l’inverse de Cioran « tombé sous les maux, à force d’avoir aimé les mots ». Mais le face à face entre les deux écrivains roumains se prête parfois à un jeu de miroir. Les facettes de Frosin - qu’on retrouve à travers ce qu’il dit des autres - sont autant de parcelles de son « je » en ses diverses strates. Son « pas au delà » (Blanchot) dans les frontières de la langue française, font de lui un écrivain atypique. Il a de quoi offrir au patrimoine universel. Jusqu’au point de l’enrichir de ses propres valeurs, de son propre combat tous azimuts. Comme un Cioran, il trouve sans cesse des ressources pour se considérer lui-même avec détachement. Pour preuve, ici, les hommages qu’il adresse à des poètes roumains hélas trop méconnus tels (et entre autre) Adrian Erbiceanu qu’il définit comme « un poète à part, qui, se réclamant discrètement des gândiristes/penséistes et traditionalistes, est en train de devenir déjà un classique en vie » ou encore Ion Manea qui s’honore à souligner les connotations le plus souvent négatives de ces piètres personnages dont la fuite lui inspire un art de la fugue. Il faudrait aussi parler des pages importantes que Frosin consacre à l’hégémonie de l’anglais et à l’art de la traduction. L’auteur prend là un autre « masque » : celui du polémiste (quoiqu’il s’en défende) et cela lui va bien. Par exemple, lorsqu’il souligne que la plupart des traducteurs ne parviennent pas à dépasser la version tel qu’on l’apprend au lycée… Frosin sait combien écrire et traduire participent souvent du même mouvement. Mais avant d’en finir sur le sujet, l’auteur propose une confession importante : « De vous à moi, j’étais à la dérive… j’étais vraiment en quête d’identité… ou d’une identité… Il me manquait l’écrivain que je pouvais être, mais je chérissais davantage le traducteur que j’ai été du premier moment où j’entrepris d’étudier le français ». Débutant parmi des avancés, il devait tout le temps traduire ce que disaient ses professeurs et ses camarades : « dans un premier temps, traduire les autres, ensuite traduire moi-même, mes pensées ». De cet effort tout est parti, selon le principe que ce qui ne tue pas, rend plus fort. Grâce à la traduction (et sous diverses formes), Frosin s’est découvert poète lui-même « à cela près que je suis fils non pas de mes œuvres, mais de mes traductions » écrit modestement l’auteur « au point que je peux me dire traducteur-poète, et non pas poète, traducteur, etc. Autant de gagné, à la fin ! ». C’est une manière de faire un sort au père castrateur comme au grand-père castrateur dont parle en fin d’ouvrage Frosin au sujet de Sartre. Son livre se termine ainsi – avant un éloge de la paix - sinon sur une pirouette, du moins sur une manière de faire un sort à toute forme de tyrannie même celle de l’amour… |
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