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Du viol au vol des violons
prose [ ]
Les strates d'Ivarius - extrait II

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par [Reumond ]

2016-03-15  |     | 














Lors de l’un de mes premiers voyages sur Ivarius, il me fut donné de mettre la main sur une strate bleutée qui contenait comme un disque dur d’ordinateur des flux émotionnels et quelques-uns de mes souvenirs d’enfance.

Comme sa mère Raphaëlle et sa tante Marcelle, qui après bien des années d’étude studieuse avaient abandonné l’une après l’autre le piano pour des choses plus ordinaires, mon père Lucien avait de même laissé ses deux violons d’étude à l’abandon ; violons livrés comme de simples jouets entre nos mains malhabiles, comme cédés avec quelque imprudence à notre monde imaginaire et à nos jeux brutaux de gamins mal élevés.

Tantôt arme à feu, tantôt arc à flèche, perdant rapidement leur chevet et leurs chevilles, les deux violons de mon père dépossédés d’eux-mêmes jusqu’à en perdre leur âme, tombèrent en morceau comme tombent les combattant au champ d’honneur.

Avant que je ne fasse cette démarche que je dirais « spirituelle », ils agonisaient encore au grand pays de ma mémoire. Si j’écris ceci, c’est autant pour me libérer d’une « vielle culpabilité » qui n'avait plus raison d'être, que pour libérer les violons eux-mêmes de leurs tourments passés, afin qu’ils puissent s’élever comme des colombes d'érable, corps et âmes débarrassées du poids de leur fardeau, pour terminer leur éternité en célébrant leur céleste musique dans des Ailleurs plus paisibles.

Et donc, si j’écris ceci, c’est pour qu’ils chantent de nouveau comme chantent tous les chantres et les instruments ressuscités au Royaume des Anges et des bois précieux.

Pour avoir joué avec sauvagerie, brisé les violons dans leurs écrans vernis, et vu de mes propres yeux les entailles et les entrailles mêmes de cette mécanique à donner des frissons en vous tirant les larmes des yeux ; je connais donc par cœur l’anatomie des violons violentés ; et tel comme un légiste autodidacte, je sais la texture brillante des bois précieux outragés, je sais la chair de la chair de stradivarius et le violon d’Ingres, tout comme je connais les râles de l’érable ondé et doux, les meurtrissures de l’ébène dense et dur, le bruit du buis quand il éclate et l’appel des bois d’épicéa réduits en pièces …

Oui, aujourd’hui, avec grande repentance, je peux le reconnaître, face à vous, en les regardant dans les ouïes, car leurs cris sont devenus mon cri !

Je reconnais la souffrance muette des partitions déchirées ou couvertes de graffitis naïfs, papiers abandonnés entre nos mains gauches et brutales d’enfants joueurs ; j’ai vu et entendu de mes propres déchirements une à une les cordes se briser sous la contraindre et la pression de nos jeux, et je n’ai rien fait pour y mettre fin et empêcher ce désastre, pauvre moi !

Du mélomane au mélodrame, de la lutherie à la lutte gallo-romaine, pauvres violons violentés comme toile de maître, entre les jeu de mains juvéniles et les jeux de vilains d’iconoclastes d'à peine dix ans ; barbares stupides en culottes trop courtes pour être honnêtes, tels que nous étions si bêtes en ces temps-là.

Je revois les violons disloqués comme des petits corps malades, des corps si fragiles qu'un souffle les fait frémir. Mes propres ancêtres vikings n’avaient sans doute pas fait pire durant leurs multiples vagues d’invasions.

Pauvres violons morts en martyr sur nos champs de bataille, entre les soldats de plomb, le train électrique et les jeux de construction.

D’abord les cordes se brisent laissant jaillir leurs derniers cris plus ou moins stridents, telles ces « stridences étranges » dont nous parle Arthur Rimbaud dans ses Voyelles. La présente violence des enfants gâtés remplaçant celle d’un « suprême Clairon » tout plein de ces sons forts et aigus qui traversent les terres arides des champs de bataille. Sons insolites et hybrides de la musique et du cri, qui viennent frapper les ouïes, comme les rayons tranchants qui parviennent jusqu'à nous de l’étoile Sirius de Karlheinz Stockhausen.

Puis comme des tendons d’Achille fragiles, les chevilles du violon se brisent l’une après l’autre. Seule à résister, comme une solide figure de proue de drakkar engagée dans des combats maritimes, malgré les chocs et les nombreuses entailles, la volute du violon semble tenir les coups, comme repliée davantage sur elle-même, tels un fœtus de bois ou un schizophrène blotti en chien de violon.

Sur Ivarius, j’ai compris cela avec crainte et stupeur, d’où ma démarche de réconciliation : La tête des violons n’est pas qu’ornementale, elles pensent, elle perçoit, elle croie au succès, elle imagine des concerts, elle se sait glorieuse dans sa forme spiralée qui ressemble à une gadouille galactique. Sculptée avec tellement d’amour et de finesse ; vernies avec les propres larmes du luthier, les têtes de violon retiennent la mémoire d’une Jean Sibelius jusqu’à leur dernier souffle en ré mineur.

Effectivement, si les ouïes du violon se brisent, laissant paraître quelque tasseau, dont elles gardent des acouphènes qui ressemblent de loin a un concerto pour violon, Opus 36 d'Arnold Schoenberg, la tête des violons tient tête au temps et à l’espace, surtout quand elles sont sculptées comme on taille les diamants.

Il faut souligner qu’à cette époque dont je vous parle, nous n’avions alors qu’entre 5 et 10 ans, et qu'à notre décharge notre propre père n’a rien fait, rien tenté pour arrêter nos mains et nos jeux, afin de préserver quelques pages de ses propres souvenirs d’enfance.

Stradivarius prend pitié de moi, pauvre pécheur ! C’est de ma faute, de ma très grande faute… mais pourquoi donc justement l’italien « violone » (grosse viole) et violare (traiter avec violence) sont-ils si proche du mot latin violare (violer) ?

Portant ainsi atteinte aux souvenirs d’enfance de notre propre géniteur, avec mon frère, nous avons quelque part violé une part de lui-même, comme on viole un beau souvenir, ou une parole en la jetant en l’air, comme ça, rien qu’une parole en l’air !

Pareillement, on a probablement mille fois profané le nom de Stradivarius en jouant comme un pied sur la table d’un violon de concert; au nom de notre impétuosité d’alors, notre jeune fougue n’excusant rien, n'avons-nous porté atteinte à notre propre père et aux pères de nos pères, en portant ainsi de nombreux coups à ses instruments, tel Télégonos blessant mortellement son père Ulysse ?

Certes, notre pauvre père en avait vu d'autre, son semblant de passivité devant notre manque de respect et tant de détermination à détruire gratuitement, cachait probablement des états d'âme plus essentiels; qu’Athéna nous console l’un et l’autre, puisque c’est de l'ordre même du destin que les violons, comme un Saint Sébastien soient martyrisés et violentés à grands coups d’archets.
Alors qu’un écho comme un son amplifié de mille souvenirs monte en moi, à travers les strates ouvertes aux souvenirs, que tous les instruments à cordes frottées me fustigent, que mes propres nerfs soient fait corde et que mon corps tout entier devienne violon, qu’une grande vibration me traverse comme tout un orchestre en moi, pauvre diable, que je puisse supporter et dépasser cette vieille culpabilité, comme le violon, le violoncelle ou la contrebasse supportent les crins.

Comme un concerto de Paganini qui me traverse, je veux faire mémoire de cet épisode de destruction qui remonte aux années cinquante. Comme un seul chœur, les mots viol, violon et violent tournent et chantent dans ma tête. Comment peut-on justifier et se faire pardonner une si triste besogne ?

Alors qu’il existe des ouailles repentantes, je m’en confesse devant vous, vous les amoureux de Lola Bobesco, de Yehudi Menuhin ou de David Oistrakh. Et de ce pas de métronome, je me cache le visage derrière les trous symétriques des ouïes amputées de tous les violons endommagés de La Terre comme du Ciel pour déclamer ma faute et me faire ainsi pardonner.

Des hommes, comme des stradivarius brutalisés.
L’analogie est brutale, mais réelle, aussi réelles que ces dépouilles foulées du pied par des bottes de cuir noir, aussi réels que ces êtres de chair et d’os déshumanisés, comme ces compagnons d’infortune et de captivité que mon père a entendu gémir à Schirmeck jusqu’au Struthof.

Oui, j’ai vécu mon enfance avec un survivant des camps de concentration, avec un humaniste authentique qui continuait après tout « ça » à croire en l’homme, tout en relativisant la réussite sociale et la valeur des choses matérielles.

En violentant ses violons, sans vraiment le vouloir, j’ai participé à l’effacement de ce qui lui restait de son innocence d’avant, de la musique d’avant la musique des camps, des violons d’avant les violons de l’échafaud, d’avant la guerre… quand l’enfance et l’innocence coulaient encore dans ses veines, avant qu’il ne soit père.


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