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La peau de chagrin
prose [ ]
La femme sans cœur (XXII)

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par [Honoré_de_Balzac ]

2011-11-20  |     |  Inscrit à la bibliotèque par Dolcu Emilia



J’aperçus une femme d’environ vingt-deux ans, de moyenne taille, vêtue de blanc, entourée d’un cercle d’hommes, mollement couchée sur une ottomane, et tenant à la main un écran de plumes.
En voyant entrer Rastignac, elle se leva, vint à nous ; et, souriant avec grâce, elle me fit d’une voix singulièrement mélodieuse, un compliment sans doute apprêté. Notre ami m’avait annoncé comme un homme de talent en employant son adresse et son emphase gasconne à me procurer un accueil flatteur. Je fus l’objet d’une attention particulière dont je devins confus ; mais Rastignac avait heureusement parlé de ma modestie. Je rencontrai là des savants, des gens de lettres, d’anciens ministres, des pairs de France.
La conversation reprit son cours quelques instants après mon arrivée ; et, sentant que j’avais une réputation à soutenir, je me rassurai ; puis, je tâchai, sans abuser de la parole quand elle m’était accordée, de résumer les discussions par des mots plus ou moins incisifs, tantôt profonds, tantôt spirituels. Je produisis quelque sensation ; et, pour la première fois de sa vie, Rastignac fut prophète.
Quand il y assez de monde pour que chacun retrouvât sa liberté, mon introducteur me donna le bras, et nous nous promenâmes dans les appartements.
- N’aie pas l’air d’être trop émerveillé de la princesse, me dit-il ; elle pourrait deviner le motif de ta visite…
Les salons étaient meublés avec un goût exquis. J’y vis des tableaux de choix. Chaque pièce avait, comme chez les Anglais les plus opulents, son caractère particulier ; et, alors, la tenture de soie, les agréments, la forme des meubles, le moindre décor s’harmonisait avec la penséé première. Ainsi, dans un boudoir gothique, dont les portes étaient cachées par des rideaux en tapisserie, les encadrements de l’étoffe, la pendule, les dessins du tapis étaient gothiques ; le plafond, formé de solives brumes sculptées, présentait à l’œil des caissons pleins de grâce et d’originalité ; les boiseries en étaient artistement travaillées ; et rien ne détruisait l’ensemble de cette jolie décoration, pas même les croisées, dont les vitraux étaient coloriés et précieux.
Je fus surpris à l’aspect d’un petit salon moderne, où je ne sais quel artiste moderne avait épuisé la science de notre décor si léger, si frais, si suave, sans éclat, sobre de dorures. C’était amoureux et vague comme une ballade allemande, un petit réduit taillé pour une passion de 1827, embaumé par des jardinières pleines de fleurs rares, et à la suite duquel j’aperçus en enfilade, une pièce dorée, où revivait le goût du siècle de Lous XIV, et qui, opposé à nos peintures actuelles, produisait un bizarre mais agréable contraste.
- Ici, tu seras assez bien logé !... me dit Rastignac avec un sourire où perçait une légère ironie. N’est-ce pas séduisant ?... ajouta-t-il en s’asseyant.
Mais, il se leva brusquement, me prit par la main, me conduisit à la chambre à coucher, puis, me montrant, sous un dais de mousseline et de moire blanches, un lit voluptueux, doucement éclairé, le vrai lit d’une fée fiancée à un génie :
- N’y a-t-l pas, s’écria-t-il à voix basse, de l’impudeur, de l’insolence, de la coquetterie outre mesure à nous laisser contempler ce trône de l’amour ?... Ne se donner à personne et permettre à tout le monde de mettre là sa carte !... Ah ! si j’étais libre, je voudrais voir cette femme soumise et pleurant à ma porte…
- Es-tu si certain de sa vertu ?...
- Les plus audacieux de nos maîtres, les plus habiles ont échoué, l’ont avoué, lui sont restés fidèles, l’aiment encore et sont ses amis dévoués… Cette femme n’est-elle pas une énigme ?
Ces paroles excitèrent une sorte d’ivresse en moi. Ma jalousie craignait déjà le passé. Tressaillant d’aise, je revins précipitamment dans le salon où j’avais laissé la comtesse. Je la rencontrai dans le boudoir gothique. Elle m’arrêta par un sourire ; et, me faisant asseoir près d’elle, me questionna sur mes travaux, et parut s’y intéresser vivement quand, au lieu de vanter gravement en langage de professeur l’importance de ma découverte, je traduisis mon système en plaisanteries.
Elle rit beaucoup en m’entendant lui dire que la volonté humaine était une force matérielle, semblable à la vapeur ; et que, dans le monde moral, rien ne résistait à cette puissance quand un homme s’habituait à la concentrer, à en manier la somme, à diriger constamment, sur les autres âmes, la projection de cette masse fluide ; et qu’il pouvait, à son gré, tout modifier relativement à l’homme, même certaines lois de la nature…
Elle me fit des objections qui me révélèrent une incroyable finesse d’esprit. Je m’amusai malicieusement à lui donner raison pendant quelques moments pour la flatter ; mais je détruisis ses raisonnemnts de femme par un mot ou en attirant son attention sur un fait journalier dans la vie, vulgaire en apparence, mais au fond plein de problèmes insolubles pour le savant.
Je piquai sa curiosité. Elle resta même un instant silencieuse quand je lui dis que nos idées étaient des êtres organisés, complets, vivant dans un monde invisible à nos regards, mais qui influaient sur nos destinées, lui donnant pour preuve les pensées de Descartes, de Napoléon, de Diderot, qui avaient conduit, qui conduisaient encore tout un siècle…
J’eus l’honneur de l’amuser. Elle me quitta en m’invitant à la venir revoir. En style de cour, elle me donna mes entrées.
Soit que je prisse, selon ma louable habitude, des paroles polies pour des paroles de cœur, soit qu’elle me crût destiné à quelque célébrité prochaine ; ou que, réellement, elle voulût augmenter sa ménagerie de savants, je me flattai d’avoir su lui plaire.
Appelant à mon secours toutes mes connaissances physiologiques et mes études antérieures sur la femme, je consacrai le reste de la soirée à l’examen le plus minutieux de sa personne et de ses manières.
Caché dans l’embrasure d’une fenêtre, je la vis allant et venant, s’asseyant et causant, ou appelant un homme, l’interrogeant et s’appuyant, pour l’écouter, sur un chambranle de porte. Je reconnus dans sa démarche un mouvement brisé si doux, une ondulation de robe si gracieuse, elle excitait si puissamment le désir, que je devins alors très incrédule sur sa vertu. Si Fœdora méconnaissait aujourd’hui l’amour, elle avait dû jadis été fort passionnée… Il y avait de la volupté jusque dans la manière dont elle se posait devant son interlocuteur. Se soutenant sur la boiserie avec coquetterie, comme une femme prête à tomber ou à s’enfuir, mais restant là, les bras mollement croisés, en paraissant respirer les paroles, en les écoutant même du regard et avec bienveillance, elle exhalait le sentiment.
Puis, ses lèvres fraîches, rouges tranchaient sur un teint d’une vive blancheur. Ses cheveux noirs allaient admirablement bien à la couleur orangée de ses yeux mêlés de veines comme une pierre de Florence, et qui semblaient ajouter de la finesse à ses paroles. Son corsage était paré des grâces les plus attrayantes. Une rivale aurait peut-être accusé de dureté ses épais sourcils qui paraissaient se rejoindre, et remarqué je ne sais quel duvet imperceptible dont les contours de son visage étaient ornés.
Enfin je trouvai la passion empreinte en tout, l’amour inscrit sur ces paupières italiennes, sur ces belles épaules dignes de la Vénus de Milo, dans ses traits, sur sa lèvre supérieure un peu forte et légèrement ombragée. Il y avait certes tout un roman dans cette femme !...
Ces richesses féminines, cet ensemble harmonieux des lignes, les promesse faites à l’amour que je lisais dans cette structure étaient tempérées, il est vrai, par une réserve constante, par une modestie extraordinaire qui contrastaient avec l’expression de toute la personne : il fallait une observation aussi sagace que la mienne pour découvrir dans cette nature les signes d’une destinée de volupté. Pour expliquer plus clairement ma pensée, il y avait en elle deux femmes séparées, par le buste peut-être : l’une était froide, tandis que la tête seule semblait être passionnée. Avant d’arrêter ses yeux sur une personne, elle préparait son regard comme s’il se passait je ne sais quoi de mystérieux en elle-même ; vous eussiez dit une convulsion ; mais ses yeux étaient brillants et beaux. Enfin, ou ma science était imparfaite, et j’avais encore à découvrir de nouveaux secrets ; ou la comtesse possédait une belle âme, dont les sentiments et les émotions communiquaient à sa physionomie ce charme qui nous subjugue et nous fascine, ascendant tout moral et d’autant plus puissant qu’il s’accorde avec les sympathies du désir…
Je suis sorti ravi, séduit par la femme, enivré par le luxe, chatouillé dans tout ce que mon cœur avait de noble, de vicieux, de bon, de mauvais. Alors, en me sentant si ému, si vivant, si exalté, je crus comprendre l’attrait qui amenait, chez cette femme, tous ces artistes, ces diplomates, ces agioteurs doublés de tôle comme leurs caisses, ces hommes de pouvoir. Sans doute, ils venaient chercher près d’elle l’émotion délirante qui faisait vibrer en moi toutes les forces de mon être, fouettait mon sang dans la moindre veine, agaçait le plus petit nerf et tressaillait dans mon cerveau !... Elle ne s’était donnée à aucun pour les garder tous. Une femme est coquette tant qu’elle n’aime personne…
Puis, dis-je à Rastignac, elle a peut-être été mariée ou vendue à quelque vieillard, et le souvenir de ses premières noces lui donne de l’horreur pour l’amour…
Je revins à pied du faubourg Saint—Honoré où Fœfora demeure. Entre sa demeure et la rue des Cordiers il y a presque tout Paris ; mais le chemin me parut court, et cependant il faisait froid. Entreprendre la conquête de Fœdora, dans l’hiver, un rude hiver, quand je n’avais pas trente francs en ma possession, quand la distance qui nous séparait était si grande !... Un jeune homme pauvre sait, seul, ce qu’une passion coûte en voitures, en gants, habits, linge, etc…. ! Et, si l’amour reste un peu trop de temps platonique, il devient ruineux… Vraiment, il y a des Lauzun de l’École de Droit auxquels il est impossible d’approcher d’une passion logée à un premier étage !...
Et comment pouvais-je lutter, moi, faible, grêle, mis simplement, pâle et hâve comme un artiste en convalescence d’un ouvrage, avec ces jeunes gens si bien frisés, si jolis, pimpants, cravatés à désespérer la Croatie toute entière, riches ; armés de tilburys et d’impertinence…
- Bah ! Fœdora ou la mort !...criais-je au détour d’un pont. Fœdora, c’est la fortune !...
Et le beau boudoir gothique et le salon à la Louis XIV, passèrent devant mes yeux, et je la voyais, elle, la comtesse, avec sa robe blanche, ses grandes manches gracieuses, et sa seduisante démarche et son corsage tentateur…
Quand j’arrivai dans ma mansarde nue, froide, aussi mal peignée que la perruque d’un naturaliste, j’étais encore environné par toutes les images du luxe prodigieux de Fœdora… Ce contraste était un mauvais conseiller. Les crimes ne doivent pas naître autrement. Alors je maudis, en frissonnant de rage, ma décente et honnête misère, ma mansarde féconde où tant de pensées avaient surgi… Je demandai compte à Dieu, au diable, à l’état social, à mon père, à l’univers entier de ma destinée de malheur, et je me couchai tout affamé, grommelant de risibles imprécations, mais bien résolu de séduire Fœdora.
Ce cœur de femme était un dernier billet de loterie chargé de ma fortune…

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