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Cet au revoir est un adios
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par [Mariu ]

2007-03-10  |     | 



Librairie

Cet au revoir est un adios
Baisse du chiffre d'affaires, concurrence d'Internet: la librairie hispano-américaine de Paris a mis la clé sous la porte.

Par Ange-Dominique BOUZET
QUOTIDIEN : jeudi 4 janvier 2007

La porte en bois est fermée, la grille marron tirée et le verre de la vitrine masqué par un grand panneau de papier kraft griffonné d'un double adieu, bilingue : «La librairie est définitivement fermée. Au Revoir. Adios. » La librairie hispano-américaine de la rue Monsieur-le-Prince a tombé le rideau.
Elles étaient deux à Paris. Deux institutions, qui ont, pendant des décennies, polarisé la clientèle des hispanisants de la capitale et des exilés d'Espagne et d'Amérique latine : la librairie espagnole de la rue de Seine, à Saint-Germain-des-Prés, que fréquentait, dans les années cinquante-soixante, toute l'intelligentsia transpyrénéenne, et celle-là, moins «mondaine» et plus universitaire, qui lui faisait pendant, près du Luxembourg, de la Sorbonne et de l'Institut hispanique. Victime de la spéculation immobilière et de la flambée des loyers, la première, créée en 1948 par Antonio Soriano, un exilé de la guerre civile, a aujourd'hui dû céder la place à un magasin de meubles pour se réimplanter près de Montparnasse, rue Littré. La seconde, créée un an auparavant, en 1947, ne lui aura pas survécu beaucoup plus longtemps.
Couronnée d'une enseigne qui célébrait plutôt que le commerce des livres, les «Ediciones hispanoamericanas», c'était une librairie à l'ancienne : petite, obscure, l'air d'un antre pour érudits, un peu poussiéreux et désordonné. Les habitués savaient, eux, que, dans cette caverne, tout était merveilleusement rangé et l'espace soigneusement agencé, réparti moitié-moitié entre le domaine espagnol et l'Amérique latine. Et surtout que les étagères, chargées d'ouvrages en langue originale (et de quelques traductions françaises), jamais n'y sommeillaient : au 26 de la rue Monsieur-le-Prince, l'actualité éditoriale ne retardait pas d'une seconde, les livres entraient en vitrine en quasi-synchronie avec le rythme des publications hors frontières. Une prouesse que Michèle Pochard, la responsable de la librairie, savait accomplir quelle que fut la distance et quelques pittoresques qu'aient été, parfois, les us commerciaux latinos...
Annie Morvan, éditrice au Seuil, qui fréquentait souvent les lieux, appréciait : «C'était à la fois une librairie de fond et une librairie de nouveautés. Une librairie de profs, en fait, où, dès qu'on voulait quelque chose sur le Siècle d'or, par exemple, on trouvait. Mais, parallèlement, l'actualité arrivait, par des réseaux très efficaces. Souvent je m'apercevais, quand je voulais une nouveauté, que si je m'adressais directement à l'éditeur ou à l'agent de l'auteur, en Espagne, je mettais trois semaines pour recevoir leur courrier. Alors qu'en passant par la librairie hispano-américaine, j'avais le livre en cinq, six jours...» Comme beaucoup d'autres, c'est avec effarement qu'elle s'est heurtée, en décembre, à la grille baissée de la librairie.
Depuis plusieurs mois, Michèle Pochard se plaignait de la baisse de son chiffre d'affaires : l'Internet lui détournait des clients, les étudiants recouraient de plus en plus à la photocopie plutôt qu'à l'acquisition des ouvrages entiers, et la diminution des postes au Capes d'espagnol n'arrangeait pas les choses. En novembre, certains de ses clients réguliers ont reçu un mail, laconique, annonçant la «fermeture très prochaine (dépôt de bilan)» et promettant «des remises importantes faites à la caisse, jusqu'au 13 novembre».
Aux autres, ceux qu'elle n'aura pu joindre, ceux qui, en ces fêtes de fin et de nouvel an, sont arrivés trop tard, Michèle Pochard et son équipe ont adressé, sur sa vitrine, un dernier message : «Merci de votre fidélité durant toutes ces années (soixante...). N'oubliez jamais : il faut fréquenter les librairies.»

http://www.liberation.fr/culture/livre/226594.FR.php

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