Histoires normandes non encore écrites (VI)
Cerfs-volants « free style » et nouveau débarquement normand

Dans les Indes fabuleuses, le ciel de Jaipur est recouvert par des dizaines et des centaines de milliers de cerfs-volants à l’époque du festival Makar Sankrati (peut-être est –ce dû aussi au fait que le cerf-volant a été inventé, comme on le sait, en Orient, par d’habiles stratèges et militaires d’autres temps). Plus près de nous, en Occident, et tout aussi fabuleux, j’ai découvert avec surprise que l’une des distractions favorites chez les plus grands comme chez les moins grands est la pratique du maniement des cerfs-volants. En Normandie, à Dieppe, un célèbre festival international de cerfs-volants se déroule sur les belles pelouses du bord de la Manche. Au début du mois de septembre, des magiciens se rassemblent en commun.
Ce n’est ni un jeu, ni une bagatelle : pratiqué avec sérieux, bénéficiant d’une bonne organisation lors de festivals nationaux, européens et internationaux, d’une généreuse publicité et d’une certaine fascination pour un retour à l’enfance infaillible, le culte moderne du cerf-volant est aussi un art, une philosophie du vol,,, un sport et un niveau de relations diplomatiques. La catégorie des cerfs-volants « mono fil », avec une seule poignée, inclut des engins volants non pilotables, surtout réservée aux enfants, mais la catégorie des cerfs-volants à double poignée comprend des réalisations déjà plus élaborées, réservées uniquement aux connaisseurs : la catégorie des engins « para » concerne les projets genre parapente, utilisables en mode « traction » et la catégorie des engins « delta » comprend des cerfs-volants triangulaires, extrêmement sensibles à la vitesse et à la précision des mouvements du « conducteur ». Seuls les pilotes expérimentés peuvent choisir des cerfs-volants aux ailes de plus de deux mètres de large, et les matériaux pour les construire sont de plus en plus sophistiqués. Les clubs et les écoles pour les projets, la construction et le pilotage de ces cerfs-volants produisent de véritables artistes –ingénieurs- performants qui, en phase finale des concours, peuvent faire de véritables démonstrations de …ballet dans le ciel bleu.

Pour manier un cerf-volant, il faut un vent assez fort. Un véritable cerf-volant, comme dans les contes roumains, a besoin d’une force puissante et redoutable avec laquelle mesurer ses forces. Au bord de l’océan, le vent et les tempêtes s’y trouvent à plein. Et, j’ajouterai même, que pour voler comme dans un spectacle, les cerfs-volants ont également besoin de musique. Les 72 études karnatiques pour piano de Jacques Charpentier, par exemple, ont animés, à un moment donné, tant les couleurs souvent paradoxales des merveilleux engins volants que leurs propriétaires : En ce début du deuxième millénaire, nous ne pouvons continuer à vivre dans un monde clos, aussi beau et parfait soit-il : il existe autour de nous d’autres civilisations musicales, littéraires, artistiques tout aussi respectables. Nous devons nous ouvrir à toutes, et les approfondir. Ceci ne signifie pas que nous encourageons un style de création « carte postale », mais que nous touchons à l’essence de chaque civilisation, au moyen de liens…Parmi les liens à l’aide desquels nos mondes peuvent être construits, se trouve la manière avec laquelle opèrent les pilotes de cerfs-volants, souvent de véritables politiques reconvertis dans la manie de la vitesse des hauteurs ou dans la diplomatie des airs, mais ce sont, avant tout, des artistes. A la fin du XXème siècle – avec toutes ses catastrophes- ainsi qu’au début du XXIème siècle, des artistes de tout genre cultivaient une espèce de refus de sensibilité, choisissant la voie d’une conscience artistique non-expressive, neutre sur le plan relationnel, où l’homme se retrouvait parfois seul avec sa virtuosité, seul face à la disposition des mots, des sons, des couleurs ou des mouvements, seul dans un ensemble technique parfait, mais sans plus aucune vibration émotionnelle. Quelquefois, le pilote de cerf-volant actuel, hissant sa danse dans le voile du ciel redécouvre dans l’homme civilisé contemporain le besoin de s’exprimer à travers l’émotion qui habitait dans le passé les arènes antiques : le spectacle doit continuer pour l’homme actuel, qui est devenu moins réflexif, mais qui est peut-être plus disposé à jouer à fond le rôle de sa vie, même si celui ne consiste à rester jusqu’au final qu’un simple employé qui sert les plats.



A Dieppe, du 9 au 17 septembre, en Free Style, les maîtres de la Fédération Française de vol libre lancent un nouveau défi : sur la côte normande débarquent des milliers d’artistes volants…


(Traduction : Nicole Pottier)


Angela Furtună
Ecrivain, publiciste
Membre de l' Union des Ecrivains de Roumanie