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FELICIANO MEJIA HIDALGO. Le poète des khipus
presse [ ]
Par Serge Pey

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par [Mariu ]

2006-05-31  |     | 



FELICIANO MEJIA HIDALGO. Le poète des khipus.
Par Serge Pey


De Feliciano Mejia on entend toujours un cri. Car la langue est coupée sur laquelle on écrit. Le poète arrache la langue de sa bouche et écrit ainsi sur une page de chair. Lentement avec le stýlet de son peuple, sur les arbres ou sur les sables de ses accouchements et de ses mers. Quand il écrit, sa bouche est ainsi vidée de sa langue, sa bouche est seule, sa bouche est un trou. Et c'est dans cette bouche sans langue que le poète va chercher son cri.

Au fond de ce puits il jette la chaîne et remonte le seau rempli d'invisible où il sait lire ses mots. Avec sa gorge et ses dents. Le poème de Feliciano Mejia résonne ainsi de ce gouffre. Miroir exact des précipices des montagnes sur le chemin inca de la poésie moderne.

JJoooorR ! est ce cri. Combien de fois l'ai-je entendu dans les échos de mes nuits ou dans les montagnes du Pérou quand nous habitions ensemble à Huancayo ou à Ciudad de Dios. Quand sa mère nous réveillait dans la fumée noire des cuisinières à pétrole et nous servait des sardines hachées avec de l'oignon.

Car le poème de FM est fait avec les matières du quotidien péruvien comme un cochon d'Inde mangé vivant qui dort sous la plaque de fer où reposent les cailloux de la faim.

Pour dire son poème Feliciano Mejia construit d'abord un feu et dispose devant lui des offrandes pour son peuple et les dieux sans dieu de la poésie. Ici le feu, ici les plumes, ici la petite eau, ici le verre d'alcool et la rose. Un livre de Feliciano Mejia c'est aussi un poncho qui cache le coeur et les armes, les lettres et les photos, la bibliothèque de la montagne et du torrent. Un livre qui cache l'aigle de son coeur.

Pour lire FM il faut rentrer d'abord la tête par le trou de la couverture, sortir ses mains par les bords et commencer à faire le poème. Il faut ensuite replier le poncho et laver ses mains.
Quand il fait froid le poème de FM recouvre le corps de celui qui dort.
Quand il s'agit de faire le feu, il cache les braises aux yeux de l'ennemi puis les active pour ceux qui de loin décèlent les signes. Étoiles des feux de la Croix ou de la Grande Ourse qui tourne dans la poêle à frire du ciel. Étoile du grand repas pour le vagabond céleste.
Quand il s'agit de marcher, le poème est un drapeau et la vieille couverture flotte devant escortèe par ses condors. Je n'ai connu de drapeau hissé par Feliciano Mejia qu'une vieille couverture déchiquetee par les corbeaux.

La poésie est cet oiseau que le sorcier ramène de la montagne et qu'il attache par les pattes avec des liens de cuir sur le col du taureau qui attend sur la place du village. La poésie se sont ces bijoux que les femmes

arrachent de leurs oreilles dont elles recouvrent les ailes de l'oiseau. C'est la lutte entre l'aigle et le taureau. L'aigle comme une banderille vivante sur la nuque de verre de l'animal du labyrinthe.
Puis ce sont les yeux crevés de l'oiseau qui monte droit vers le soleil de Midi dans son méridien vertical. C'est le poitrail du taureau qui explose à coups de bâton de dynamite. Mythe contre mythe. Poème contre poème. Le poème indien contre le poème espagnol, angle au noramericain.

De Montségur en passant par Lima ou Huancayo c'est du compagnon de route dont je voudrais parler. A Monségur dans cette neige de 1987 accompagnè par les flûtes et les tambours d'alerte et les trompes du soleil. J'avais invité alors mes amis à un vaste rassemblement contre toutes les inquisitions. Il y avait là, devant la tombe d'espoir de tous les réprimés du monde, au pied du champ des brûlés, Adonis, Ahmed Ben Dhiab, Yves Rouquette, Guy René Doumayrou, Jacques Demarcq, Bernard Heisieck et bien d'autres...Et là aussi FM lança son cri, JJooooorR ! devant l'aigle qui tournait dans le ciel comme un nuage pur. Face au massacre des cathares le poème seul pouvait se souvenir du présent des massacres.

La poésie de Feliciano Mejia appartient à ce qu'il est habituel d'appeler la poésie engagée. Mais si engagement il y a, elle reste engagée à côté de la montagne et de la pierre, du précipice absolu, du camion fou rempli de mineurs, des poulets vivants jetés dans les filets, des hauteurs du Macchu Picchu, des observatoires millénaires des étoiles dont les rayons nous traversent le cerveau à la manière d'une acupuncture de lumière.
On peut écrire à côté de la beauté des fleurs et sur la beauté des fleurs. On peut écrire aussi sur l'homme. Et l'honneur des poètes est de ne pas oublier l'homme dans le poème comme cet enfant qui crachait son sang dans un pot de yaourt vide sur un trottoir de Lima. Heureux de cracher son sang car il pouvait espérer plus de charité que son frère qui n'en crachait pas.
FM est de cet honneur et de cet engagement. De cette poésie de libération.

La page est la survivance du dessin du chamane, tracé à même la terre, pour contrôler les forces du monde. L'écriture des noeuds que pratique Feliciano Mejia répond à ce besoin. Les Khipus, ce système d'écriture de noeuds sur une corde, dont la signification reste en partie perdue, est retrouvée par le poète qui réalise avec elle une écriture à la fois mnémotechnique et rituelle.
FM suspend ses cordes nouées dans les endroits où il récite, il les attache partout, aux poignées des portes et aux fenêtres, autour des cous, sur les poignets, sur les yeux. Il récite en faisant des voeux, des noeuds entre les mots et les choses qui existent ou n'existent pas. Le mot est écrit la chose est liée. Le poète est le centre de ce noeud.

Les anciens péruviens réalisaient des écritures de noeuds sur une corde.
Feliciano Mejia est un Khipukamayoq qui a, comme ses ancêtres, le privilège de lire les khipus devant le peuple assemblé à l'occasion des cérémonies et des fêtes rituelles. Feliciano Mejia est la revanche des Khipukamayoqkuna assassinés du Pérou par l'occupant impérialiste d'Espagné, de la Grande-Bretagne et de les Etats-Unis. Devant les yeux brûlés de ses frères, devant leurs doigts coupés il n'oublie pas. Il prédit l'avenir, en même temps, des hommes et du poème, dont il cèle l'avenir par des pierres d'espérance.
Ce n'est plus lui qui écrit, mais ce sont ces doigts et ses yeux, qu'il serre ensemble dans sa couverture de feu.

Feliciano Mejia était cet enfant perdu dans la foule devant la cathédrale de Lima quand le conseil provincial de la ville décréta en 1535 la destruction systèmatique des écritures de noeuds et l'extermination des maîtres de lecture.
Il y a cinq cents ans Feliciano Mejia regardait déjà l'horreur.
Feliciano Mejia il y a cinq cent ans écoutait les yeux en larmes. Il a eu le temps de voir le dernier noeud que fit le poète des noeuds. Feliciano Mejia est ce 'Maître de lecture' ressuscité, lisant sur des cordelettes les noeuds espacés, égrenant ces noeuds comme un chapelet, retrouvant la parole et la psalmodie.
La technique des khipus a été perdue. Mais le poète Feliciano Mejia retrouve dans son oralité le khipu de ses ancêtres. Son corps, entouré de cordes à noeuds, est sa page d'écriture. C'est son corps lui même qui dit parce qu'il est enserré par l'écriture des noeuds. Feliciano Mejia est en même temps le poète le plus vieux et le plus jeune du Pérou.

Faire un noeud, c'est aussi manifester dans un acte l'emprisonnement de la 'chose' dite sur le fil vertical de la parole. La corde est une parole et les noeuds sont les 'choses' du réel.

Sa poésie est une marche.
Il dit : mon ami est une montagne qui porte le nom du grand chien.
Il dit : il faut jeter l'alcool à terre avant de boire.
Il dit : il ne faut jamais annoncer la date de son départ.
Il dit : faisons le cercle pour parler et ouvrons-le pour laisser partir la parole comme une fumée.
Il dit : attrapons l'aigle et donnons lui le poème à porter.

Marcher avec ce poète c'est changer les chaussures de la poèsie.
C'est l'écouter avec des pieds dans les oreilles.
C'est manger le nuage qui lutte contre le ciel.
C'est hisser la corde qui voit l'avenir du poème.

Serge Pey, 5 fevrier 1996

http://www.poetasdelmundo.com/verInfo_america.asp?ID=584



--
Feliciano Mejía
Ambassadeur de la Paix
www.iespana.es/felicianomejia/
www.poetasdelmundo.com/verInfo.asp?ID=584
www.rocaxpoetas.galeon.com

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