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Poésie verticale
poèmes [ ]

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par [Roberto_Juarroz ]

2004-07-30  |     |  Inscrit à la bibliotèque par lucia sotirova



QUELQUES POEMES EXTRAITS DE DOUZIEME POESIE VERTICALE

5

Certaines lumières éteintes

éclairent plus

que les lumières allumées.



Il y a des lieux où il ne faut pas

que quelque chose soit allumé pour y voir clair.

De plus il y a des choses

qui s'éclairent mieux toutes lumières éteintes,

comme certaines strates obliques de l'homme

ou des recoins qui s'installent subrepticement

dans les espaces les plus ouverts.



Il y a cependant une intempérie de la lumière,

une zone sereine et dépouillée

où il n'y aucune différence

entre les lumières allumées

et les lumières éteintes.



8

Il dessinait partout des fenêtres.

Sur les murs trop hauts,

sur les murs trop bas,

sur les parois obtuses, dans les coins,

dans l'air et jusque sur les plafonds.

Il dessinait des fenêtres comme s'il dessinait des oiseaux.

Sur le sol, sur les nuits,

sur les regards tangiblement sourds,

sur les environs de la mort,

sur les tombes, les arbres.



Il dessinait des fenêtres jusque sur les portes.

Mais jamais il ne dessina une porte.

Il ne voulait ni entrer ni sortir.

Il savait que cela ne se peut.

Il voulait seulement voir : voir.



Il dessinait des fenêtres.

Partout.



9

Tôt ou tard

il faut mettre la main au feu.



Peut-être la main pourrait-elle

apprendre d'abord à être flamme

ou bien persuader la flamme

de prendre la forme d'une main.



Et si les deux échouaient

peut-être la flamme et la main

pourraient-elles se muer en atomes libres

d'une autre clarté.



Ou peut-être simplement

réchauffer un peu plus l'univers.



17

La parabole qu'est notre environnement

contamine notre vision

et l'embrase d'une fugace parade

qui contredit les étoiles.



Le mythe de porter en soi un dieu

nous scarifie la vision

et la corrompt sous la tutelle intime

d'un oeil ancré dans son propre strabisme.



Coincée entre le dehors et le dedans,

la vision devrait être autonome,

indépendante de l'homme et des dieux,

de l'oeil et des choses.



La vision devrait être vision et non regard,

lumière sensible, ponction, flamme sans bûches,

création d'un oeil, non son rejeton.

Et après, seulement, ouvrir le monde.



21

On dirait parfois

que nous sommes au centre de la fête.

Cependant

au centre de la fête il n'y a personne.

Au centre de la fête c'est le vide.



Mais au centre du vide il y a une autre fête.



61

Etre.

Et rien de plus.

Jusqu'à ce que se forme un puits en-dessous.



Ne pas être.

Et rien de plus.

Jusqu'à ce que se forme un puits au-dessus.



Ensuite,

entre ces deux puits,

le vent s'arrêtera un instant.




— Douzième poésie verticale (Duodécima poesía vertical, 1991), présentation de Michel Camus, édition bilingue, traduit de l'espagnol par Fernand Verhesen. [Paris], Éditions La Différence, « Orphée » n° 147, 1993, 192 p.




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