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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2007-03-20 | |
Poésie du Monde
------------------------------------------------------------ Soirée littéraire autour de la poésie du monde avec Patricio Sanchez, François Szabo, Gemma Durand, Gilbert Lhubac et Jenny Lake. Le vendredi 23 mars à 20H au 665, route de Mende (à quelques mètres de l’Université Paul Valéry) Poètes à l’honneur : Max Rouquette, Albertine Sarrazin, Gabriela Mistral, Pablo Neruda, Joan Alavedra, Garcia Lorca et d’autres. Contact : [email protected] ------------------------------------------------------------ SYMPHONIE INACHEVÉE Ce fut une nuit qui dura une vie. Étendue face à moi, endormie, je la veillais et vis un voile de pâleur lumineux sous la lampe allumée, que la mort peu à peu déposait, et qui tremblait au rythme de son coeur. Ses lèvres étaient inertes, ses yeux clos. Le long du corps, ses bras nus étaient beaux et prêts pour le voyage transcendant. La regardant, je pressentais l’absence de ce que je perdais, mais avec l’espérance qu’elle luttait encore, obscurément. En quel endroit secret se livrait la bataille? Dans l’esprit ou dans le profond des entrailles? Et l’agonie était combat de chairs ou bien d’humeurs? S’accrochant avec force à la terre, elle refusait de se laisser défaire et de se revêtir de l’ultime blancheur. « Tant que je te sens là je ne veux pas mourir. Aide-moi, car j’ai peur! » dit- elle en un soupir lorsque le jour tombait. Et c’est à ce moment que commença en moi la lutte décisive pour maintenir en vie la flamme vive qui par le froid en elle allait en s’éteignant. C’est à ma volonté qu’elle se retenait, à ce torrent de vie que je lui envoyais, jusqu’à ce seuil, cette limite où s’éclaircit l’énigme. Je livrais ma bataille en cette nuit-là , seul, et j’immobilisais la mort et le linceul, je délivrais le Christ de toutes ses épines. Seul dans la nuit ? Oh, non ! La Symphonie de mes amours, avec sa mélodie s’éleva, solennelle, en un chant. Quelle douceur, quel son de pureté, en cette chambre vide métamorphosée, de flûtes et violons résonnant. L’Inachevée ! Comment vint-elle me trouver? En quel instant si grave m’a-t-elle conforté? Musique de mes rêves depuis tant d’années ! Pluie d’harmonies en douleur languissante réchauffe-moi, en cette longue attente tandis que le coeur tremble en chemins égarés ! À l’extérieur, l’obscurité nous entourait. Si sombre et si épaisse que la voûte étoilée, éloignée et glacée ne pouvait l’éclaircir. Et, du plus loin de cette attente, dans les ténèbres et la douleur, l’âme vivante de la divine musique surgit. C’est sur une envolée lumineuse qu’en une ardente succession majestueuse, animées, bariolées, hallucinantes, les joies et les horreurs de nos vies portées par le courant des mélodies m’apparurent sous des formes géantes. Combien vous pouvez dire, cordes mystérieuses, par votre litanie douloureuse ! Vous portez jusqu’au plus profond le désespoir des nobles âmes qui, le coeur affaibli, les yeux brillants de larmes, errent en ce monde sans protection. Le visage de la malade est figé, la mort l’a déjà caressé. Il m’apparaît, empreint de tristesse. Il y a de l’effroi, un cri, dans le regard. Et la bouche articule, hagarde, des mots qui blessent. Tu n’as nul besoin de me dire tout ce qui t’a fait souffrir. Tous les dangers croisés, angoisses traversées ont creusé de larges blessures, rien ne peut dire les amertumes qu’à présent je vois défiler. Assez, gémissements et plaintes de l’orchestre (pas de !) qui, s’il était conduit par la main céleste n’en serait pas plus cruel, dévoilant, en une épouvante, cette femme tant souffrante qui résiste à l’appel du ciel. « -Si elle s’immobilise au seuil de votre gloire, refusant la moindre couronne de victoire, si elle garde les yeux fixés vers les montagnes c’est que, Seigneur, une chaîne de vie, entremêlant anneaux de sang et pleurs, la lie aux deux enfants qui lui ressemblent. » Devant l’Autel, hier, agenouillée c’était pour eux qu’elle suppliait dans ses prières étouffées par les pleurs. Le nom du plus petit chantait comme un délire, et elle cherchait, en son calvaire fébrile, désorientée, inquiète, vos splendeurs. Je n’oublierai jamais de ma vie cet office lorsque l’hostie s’élève, offerte au sacrifice, au-dessus des malades, au-dessus des mourants certains sur des béquilles, d’autres sur des brancards, d’autres encore soutenus par les bras, priant pour un miracle, les yeux ardents. Semblant issu des cieux, le choeur, fut entonné par des soeurs coiffées d’ailes blanches, virginales. Toute la nef vibrait de pureté, une nef comme au ciel accrochée par le vent de l’esprit, au-dessus de tout mal. Un accord me fit sursauter. Dans la chambre, la musique éclatait triomphante, couvrant les pleurs rebelles. Alors un chant d’amour intime s’éleva, mélancolique, comme une brise il s’insinua en un soupir, accompagné des violoncelles. Je me suis approché, bouleversé, de son lit. Et, étouffant au fond de moi un cri ; « -N’entends-tu pas ? –ai-je dit d’une voix fervente. « Tu m’aurais pris la main en d’autres temps, et m’aurais dit ta joie en un regard brillant. Maintenant tu écoutes, impassible et absente! » Ce fut sur l’onde de ce chant que notre amour, il y a longtemps, s’est tissé, nourri de rêve et de poésie... Combien m’évoque-t-il de souvenirs, illuminés par ton sourire éclairant au loin notre beau pays! Fiançailles dans la musique ! Baisers, tremblants encore, émotions magnifiques, sentiments bénis... Paysages de nos escapades, lac endormi, petites plages, maisonnette verte d’où nous avons fui... Ne reverras-tu pas l’éclat de ces couleurs ? Ne respireras-tu plus jamais les senteurs de romarin, fenouil, ou de genêt ? Ne goûteras-tu plus la saveur salée de notre mer si parfumée lorsqu’elle offre au soleil son reflet? Ne voudras-tu donc pas monter au Monastère où celui qui n’est plus a béni en prière l’alliance de nos vies ? Souviens-toi du silence au sommet de nos cimes ! Écoute le pas lourd du brouillard dans l’abîme, comme les rêves de terres endormies ! Et souviens-toi, surtout, de la grande cité où nous avons vécu et nous sommes aimés. Ville splendide, ensoleillée, et ses jardins emplis d’oiseaux et de feuillages. Ville vivante, pleine de joie et de tapage, toujours fraîche sous l’air marin ! Lève-toi, mon aimée, il fait jour et je veux que, pour le retour, tu sois à mes côtés, comme quand on fuyait! Ensemble nous avons avancé en souffrant. Comment puis-je rentrer seul avec les enfants qui me demanderont pourquoi on t’a abandonnée ? Je me perdais en considérations quand soudain débuta le chant des violons qui couronne la Symphonie de son éclat. De quel coeur pur provenait cet appel? On aurait dit de la lumière venant du ciel. Par la fenêtre, j’ai regardé, le jour naissait déjà . La veilleuse s’éteignit, et la terreur. Une aube rose auréola la nuit, à l’extérieur, et elle se fondait aussi en tout mon être. Le souffle frais de l’air matinal entra en silence dans notre calme musical tandis que j’entrouvrais peu à peu la fenêtre. Quelle paix recouvrait le monde! Chaque chose émergeait de la nuit profonde emplie d’une beauté fervente et vive. Si ce chant a un pouvoir ressuscitant pourquoi ne fait-il pas le miracle fulgurant au lieu de la garder au lit captive ? Et tandis que j’étais en contemplation de cet hymne silencieux d’adoration qu’entonne la nature en s’éveillant, du fond de la chambre a résonné un son qui me confond parce qu’il dit mon nom en un mot étouffé et tremblant. Tout s’est évanoui en un instant. Ne subsistait que le frémissement de ce nom. Était-ce elle qui m’appelait? Et quand je m’approchai, vacillant, la pénombre allait en s’éclairant sur son visage impassible, et elle me regardait. Fervent amour, tu as été assez fort pour aveugler le masque de la mort, pour l’éloigner de son emprise ? Par cette chaleur de ton coeur tu as réduit en cendres la chape de terreur, dont elle enveloppait sa prise ? Plus intense que jamais la sublime prière s’élevait, par la voix ineffable des violons. Je pris sa main et elle souriait, doucement, en ses yeux, j’apercevais une étincelle de résurrection. La musique cessa. Fini l’enchantement. Vibrant, encore, grâce à son chant, miraculeusement, elle se redressait, brûlante et rayonnante de rougeur. Exultant, et émergeant de la stupeur, je la pris dans mes bras et elle sanglotait. Grelottante, vivante, reconquise... . Ce fut une nuit qui valut une vie ! Joan Alavedra Montpellier, Juillet 1946. |
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