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■ Voir son épouse pleurer
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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2005-04-10 | |
LE POLLEN DES NUAGES
Le ventre a le vertige dans ce pays trop vaste. Il faut porter le ciel sur ses épaules sans briser les racines. Il faut soutenir en nous le regard des forêts, la douleur trop étroite et l’excédent de larmes. Nos mains sont pleines de trous. Les oiseaux peints sur nos rétines vont rejoindre le vent, le pollen, les nuages. J’écris comme on tape sur l’épaule, comme on donne une pichenette à l’infini pour réveiller les yeux, les grenouilles, les trembles. Je cours après mon souffle dans un vol de samares. Je veux des mots où l’on puisse s’asseoir, lire les fleurs ou se ronger les ongles, émietter l’infini jusqu’à la vérité, le mariage des pommiers avec sa traîne d’abeilles, l’école des fourmis, le voyage des atomes. Il n’y a pas d’eau sans vagues souterraines, pas de mort sans espoir, pas d’ombre sans soleil. Dans les bois francs où j’habite, la sève monte plus haut. Le soleil et le froid viennent sucrer la tasse des érables. Nous en ferons du pain, de la tire et des jeux. Une orange m’a parlé ce matin. Il m’en reste le goût. Une orange amoureuse. J’ai préféré la pomme. Une virgule regagne sa cabane à mots, une virgule sans aile, toute petite, avec du poil à la place des plumes, des taches de rousseur et des courbes de pluie. J’ai trouvé une fraise dans un sac de cailloux, une épine dans les mots, un morceau d’infini dans le ventre des montres. Sur la portée des mots, les vieux boutons de chemise et les boutons de fleur entonnent le même air. Il y a dans la géode des pierres des symphonies plus grandes que la pierre, des atomes en tutu dans un éclat de rire. En hiver la forêt ferme son parapluie. Il commence à s’ouvrir au retour des oies blanches. Il se déploie baleine par baleine, branche par branche jusqu’à couvrir les nids. Les bourgeons réveillent les vieux arbres endormis. Au village les fantômes s’enfuient par le trou des serrures. Ils emmènent avec eux la poussière du froid. Derrière chaque front l’appel des voyages creuse des rides. Je n’habite pas le temps. Je laisse les heures me doubler et j’agrandis l’instant. J’élargis les secondes pour en faire une mer nourricière. Je tends mes bras de pages à l’encre des pivoines, mes oreilles en papier aux bourgeons qui éclatent, mes jambages de mots aux routes qui trébuchent. Chaque jour où j’écris, j’arrête les montres. Je laisse des traces de craie sur les murs, des voyelles dans la soupe, du sel sur le vide. Je guette l’inconnu derrière les apparences. J’écoute les étoiles. J’habite sur une île, une île d’encre entre les marges, une île d’eau sur un désert. J’écris comme un chat gratte à la porte, comme les mains du vent poussent la balançoire. Je vais et viens accroché à l’enfance, la légèreté, le ton. L’élastique du monde laisse une marque ronde sur la peau du cœur. Je regarde la vie mots dans les mots. 1 avril 2005
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