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Prix du concours littéraire: « HISTOIRES DE VIE…HISTOIRES CROISÉES… ».
communautés [ écrivains israéliens d`expression francaise ]
L’ENFANT QUI COURAIT DANS LE SABLE (Inédit), Ioana Rosenberg

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
par [marlena ]

2006-01-01  |     | 



Le concours littéraire, «Histoires de vie… Histoires croisées…», a été organisé par L'Institut français de Tel Aviv en collaboration avec la revue Continuum et La Librairie du Foyer. Le premier prix pour l’année 2004 a été décerné à Ioana Rosenberg, étudiante à l’Université de Haïfa.

*

Aujourd’hui j’ai reçu un coup de téléphone de Bat El. J’ai été surpris, c’est pour la première fois depuis des années. Elle m’invite à Moustier pour l’été. Elle y organisera sa première exposition, et elle voudrait bien que je sois là. Je suis la partie la plus vivante de ses photos, elle me dit, mais cela me semble étrange, car elle a commencé seulement après notre séparation. Comme je voudrais regarder son travail ! J’ai toujours vécu avec l’idée qu’elle m’a quitté seulement pour faire revivre l’AVANT.

La chaleur me pénètre et danse avec moi, cette valse lente et paresseuse. Le feu brûle lentement, en me donnant le privilège d’en saisir la musique et les lumières. Ma douleur prend la forme d’une vie qui ne m’appartient pas et qui m’attrape dans sa marche ininterrompue. Je n’ai pas d’autre choix que de me soumettre à son rythme. Je ne sais pas ce que je devrais voir derrière les parfums. Des belles femmes, sans doute. Des existences écartelées dans un va-et-vient incessant, que seule la mort arrête pour un instant, dans la méditation qu’imposent, inévitablement, l’enterrement et le travail du deuil. Des soucis, du bonheur, de l’amour. Le plaisir de voir la beauté et d’en jouir. Je voudrais être un automate qui enregistre des formes vides, sans vie, sans rythme, sans odeurs et sans musique. Saisir la forme pure, dénudée de toute corporalité et en faire un chant monotone, qui m’accompagne toute ma vie.
Le petit garçon chante. Il ramasse des pierres qu’il jette une après une dans l’eau. « Papa, papa, regarde ! » Il est fier. Comme il grandit vite, je me dis. Puis il s’arrête, prend ma main dans la sienne, et me demande de lui acheter une glace. « Oui, mais vite, maman nous attend ! » Ses petits pieds n’ont même pas le temps de s’enfoncer dans le sable. Il court, en voulant me montrer qu’il peut tenir le pas avec moi, qu’il marche aussi vite que les grands.
Le sable doit avoir une belle couleur dans cette période de l’année. Je vais le toucher, le sentir, le faire couler parmi mes doigts, et en saisir le refus obstiné de prendre une autre forme que celle du mouvement. Il est fait pour le toucher et le sentir, et non pas pour la vue. Qu’est ce que ça peut donner, une photo à la plage ? Elle ne fait qu’essayer de figer dans des images paralysées la matière de la fuite incessante. Il faut absolument que l’on m’apporte du sable. Pas beaucoup, quelques poignées, dans un sachet en plastique. J’en ferai des châteaux, des déserts, des rêves. Je suivrai les traces que laissent les petits pieds des enfants en courant joindre leurs mères. Je vengerai ma douleur en écoutant une poésie écrite seulement pour moi, et que l’on entend une seule fois dans la vie, les yeux fermés.
Bat El était souvent loin de nous. Sur la porte du frigo, elle avait collé la photo qu’elle avait prise, ce jour-là, à la plage. C’était un après-midi d’automne, avec un soleil doux et une mer déchaînée. J’avais l’air de rêver. Mais je ne le faisais que pour la pose, pour une seconde d’absence qui me donnait ce sentiment de sécurité qui dissimulait une peur. Je le savais bien, le regard surpris par l’appareil trahit le désir de cacher, dans l’instant immobilisé, toutes les incertitudes qui vous hantent dans la vie quotidienne. Elle vivait, elle aussi, avec cette peur ? Je ne sais pas, nous ne parlons plus. Je suis présent et absent, comme les personnages de ses photos, peut-être. Nous sommes devenus complices dans ce jeu de mutisme. Toutes les dimensions de son absence se concentrent maintenant en des sensations olfactives. Elle cherche cette figure vide, sèche, de l’image pétrifiée par l’appareil, moi une symphonie d’odeurs qui la substituent. Je ne sais pas si ce plaisir discret est plus proche de l’objet qui en est la source, mais il s’est imprégné dans ma mémoire comme des formes sur un morceau de cire et est resté là, intact, à la portée des doigts avides de le retrouver. Comme un pilier, isolé, détaché de tout ce qui l’entoure, que cent millions de flèches ne pourraient atteindre ou blesser.
Le monde refuse de me fournir d’autres repères que les substituts, et m’oblige de le reconstituer, pièce par pièce, et d’un créer une utopie et un enfer illusoires. Rien ne m’y plonge comme l’odeur de terre fraîche et humide ! A chaque fois que je l’écrase entre mes doigts afin de mieux le sentir, j’entre de bonne volonté dans cette danse de la vie avec la mort. J’aimais sentir la terre sous la plante des pieds. Source et origine de la vie, matériau antérieur à la chair, il est aussi l’hôte de la mort et de la décrépitude. Il avait des consistances différentes, et sa texture toujours nouvelle me plongeait soit dans des rêves, soit dans des souvenirs d’enfance. S’il était mouillé par la pluie des jours précédents, il prenait facilement la forme de mes pieds et la profondeur de la fermeté de ma marche. Il était docile et se laissait manipuler, il était matrice et source du plaisir incomparable du sentir et de la mémoire.
A l’occasion d’une visite chez un vieux potier, Bat El avait saisi la terre dans les mains qui y avait déjà imprégné une forme et une couleur dérivées. Elle a aimé le contraste entre la pâleur du visage et le rouge de la pâte manipulée. Comme si l’homme avait refusé tout transfert entre les qualités de la terre et celles de sa chair vieille et fatiguée de travail. Pour elle, maintenant, ça ne doit pas être pareil. L’image qui se trouve sous ses yeux lui donne peut-être l’espoir de pouvoir s’arrêter dans sa fuite et de devenir objet d’une autre matérialité, purement visuelle, celle de la photographie. Mais, une fois la projection finie, cette illusion disparaît, certainement. Elle ne sait pas que la matière fixée dans son regard et l’image en elle-même sont deux réalités différentes, trompeuses et infidèles. Mais elle persiste, quand-même. Elle est devenue l’esclave de la vue et tout ce qui la lie maintenant aux autres c’est son désir d’en voir toujours plus, d’en découvrir une zone sensible et vulnérable, qui se laisse attraper dans le jeu de l’immobilité.
Moi je suis vraiment immobile, et mon regard pétrifié. Parfois j’imagine des enfants se promener à côté de leurs parents. Bat El ne doit pas penser que je regarde le vide, elle a dû s’habituer aux formes et aux couleurs tandis que moi, je cherche la reconstitution de ce qui aurait pu être la plus belle photographie qu’elle aurait jamais voulu prendre. C’est là le secret de notre complicité : du sable, de la terre, des enfants qui courent, la vie. La vie qui n’est plus là. Le rouge de la terre caressée par les doigts infatigables du potier, je le substitue par ce plaisir de respirer l’air chaud et humide des midis d’été. J’aime sentir ces vapeurs qui laissent des traces d’humidité sur ma peau, qui échauffent mes narines, ma bouche, mes poumons ! S’il devait avoir une couleur, ce serait le rouge, sans doute, comme la terre sur laquelle j’aimais marcher après la pluie. Tout se confond en moi, et le handicap me donne l’occasion de jouir des sensations inespérées habituellement.
Je me laisse entrer dans la danse avec la lumière, et je me rends compte avec stupeur qu’il a encore l’audace d’être l’instrument d’un plaisir inattendu, toujours nouveau. Les ombres, je les vis sur ma peau, qui se détache de mon corps sous le feu allègre du soleil de midi. La lumière prend la consistance d’un corps étranger, complice, et toujours en attente de sensations qui substituent la vue ! La vue d’un petit garçon qui jette des pierres dans la mer.
J’aime parfois sentir des feuilles de laurier, dont l’arôme jaillit par surprise de la texture apparemment sèche. Elles me font rêver. De Bat El, bien sûr. L’odeur de sa peau que je n’aurais pu confondre entre mille, jetait un bouquet de cannelle et de fruits, qui se laissait deviner derrière la douceur comme de sucre. Peau jeune, et sa couleur, plus teintée en été, est la même que celle des princesses du désert, tellement belle, qu’elle devient victime de ceux qui la font couvrir du voile de la pudeur. Bat El est voilée pour moi, mais ses secrets les plus intimes se révèlent constamment, à chaque fois que je pense à elle. Personne ne la connaît mieux, et j’en ai fait une raison d’être. On pourrait espérer, un jour, avoir un autre enfant.
Doucement, la lumière de la vie allait me quitter, pour joindre notre fils tué. Comme si j’avais pris cette décision, comme si j’avais voulu que l’image de ce corps que je berçais autrefois reste collée à jamais sur ma rétine, et que rien ne la remplace. J’aurais voulu que le sort me frappe moi, seulement moi, et que je quitte cet enfer à jamais. Tout se déroulait à une vitesse folle dans ma tête, le lieu de l’attentat, le bus, les cris terrifiés, la main de l’enfant que je serre désespérément et qui refuse de bouger. Voilà comme c’est la mort même qui me lie à elle: si à la vue de notre fils tué, mes yeux allaient joindre le noir absolu, elle prenait la décision de me quitter et de rentrer en France vivre à Moustier, dans une maison isolée. Elle allait devenir photographe, moi aveugle. Complices, nous sommes les protagonistes d’une danse spasmodique qui ne s’arrêtera jamais. Aller, quand même, cet été à Moustier?

Ioana Rosenberg.

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