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Poezii Românesti - Romanian Poetry

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Art mineur
prose [ ]

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par [felipe ]

2006-07-11  |     | 








Art mineur : premier forage


On peut aussi regarder l’œil au fond de la serrure, cette maladie idiote de vouloir abolir la porte ouverte et l’impossible, cette absence de transgression. D’autant que l’on sait ne rien pouvoir mouvoir qu’un vague sentiment d’impuissance et le transmuer en conviction, tout en martelant le contraire sous des formulations limpides et extra-ordinaires. Je passe, il suffit de lire les poètes et les journaux, tout ce qui prophétise, hommes de papier, de traitement de texte, d’hallucinantes formules magiques pour demain quand le temps sera passé.


Vous vous serez gargarisés de l’ivresse chantante des lendemains. L’intense jubilation du vide s’accomplit par la sérénité avec laquelle vous formulez le néant, ces quelques phrases qui vous alignent dans l’horizontalité des béances du rien. A force de creuser à la surface, une sorte d’habitude, de pratique des mots, vous donne parfois l’air étrange d’avoir un instant traversé ce qu’il faut de détachement, pour accéder sans le vouloir, à la porosité d’autres mondes.

Or, vous le savez il n’en est rien…




Art mineur : second forage


Cette idée saugrenue de hauteur, voilà ce qu’il faut abandonner, ou bien faut il se pencher au bord du vide des profondeurs, mesurer l’inaliénable extravagance d’oser s’emmurer dans cette folie. Le plus souvent il suffit d’écorcher l’ombre pour faire vibrer les parois du labyrinthe, accorder la verticalité et la chute. Ainsi parfois je m’abandonne à contempler au fond du puits allégorique, la nuit et ses gisements d’étoiles, plutôt que d’y voir affleurer un grouillement d’organes où puisent les corbeaux. Le réel reprend bien assez vite et sans qu’on l’ait sollicité, l’espace qu’il convoite. Tous les jours le monde me défait, j’y gagne en clarté. Cela seulement justifie que même inconsolés, nous puissions passer si près des lisières sans pouvoir, ni vouloir, chaque fois traverser.


Peut-être est-ce du fond que se peuvent idéalement décrypter les hautes solitudes épuisantes vulnérables des sommets, les volutes éphémères des nuages et les signes étincelants qui précèdent les noirs archipels des orages. Les chemins rebattus annoncent par dépit qu’il faut descendre en soi-même, retrouver au profond les pulsations étincelantes de la lumière. Que savent t’ils des nuits d’aurores boréales pour décréter que le soir mène, au creux des songes, vers des vérités plus sombres, qu’au soleil révélées. Nul antagonisme, nulle alliance héraclitienne des contraires… sans alliage, ni fusion, car jour et nuit sont Un.



Art mineur : troisième forage


L’hôte de la pluie a regagné la demeure. Ce qui le presse, l’intense crépitation qui fait encore briller les feuilles dans sa mémoire et dont il garde le fragment pour étonner le feu. Les Mots ce n’est pas si simple, on voudrait un magma, des ondes telluriques et l’on ne trouve que l’écho minéral des laves figées et cette odeur de soufre bien après l’incendie. Que faire de cette nuit qui ranime les ombres, sinon mettre en lumière sa part de mystère. L’exergue n’attise les cendres, mais ce que je regarde prend des formes multiples, dans les distorsions de la distance, que sont les lieux et le temps. Sont-ils Un, eux aussi, comme une eau résurgente, souveraine des effractions, raillant les divagations du sourcier. Est-ce dire que nul n’a maîtrise sur la conformation annelée, le travail de gestation elliptique des méandres. Je suis le cours et me laisse emporter. Une île insolente déliée de toutes ses racines.


Il n’y a pas de progrès, sinon développer quelques ruses orphelines, pour exaspérer la fiction de jouer la partition d’insondables couleurs. Mais le plus souvent que tout cela sonne faux, par démesure, excès de modestie et tant d’autres raisons de mêler, les oiseaux et les fleurs, qui n’ont rien demandé, aux insipides branle-bas des sagas domestiques. Ii n’y a pas de progrès, mais il faut trouver le rythme. Un chant de rameurs sur le fleuve traverse la forêt. L’esprit des eaux porte mouvante, vers l’infini, la frontière, la surface liquide, puis, est-ce même impulsion, le vertige des profondeurs; la plongée en apnée dans l’apesanteur du bain lustral de lentes nages amniotiques.




Art mineur : quatrième forage


Cela fut toujours ainsi, avant même la première page, transcrire ou traduire magnifie ou défait, sublime l’ester de la rencontre, au point de houle où se fracturent et se joignent la mer bouillonnante de cristaux et le fleuve matriciel. Les formes astringentes du réel délavent le vaste à l’horizon, diluent la route des navires, le vol des sternes s’écoule le long des cimaises jusqu’à la disparition, l’absurdité du blanc, ce vertige. Ce n’est pas à perte de sens l’épure, la non-figuration, mais la quintessence d’une fulgurance mobilisée. Scarifiée de combien d’errances, lorsque le verbe tente de réincarner le geste sur le palimpseste d’une vie ou de lui insuffler la démesure d’un territoire jamais arpenté, entre approche du rêve et dislocation de la réalité. Non pas dissolution dans les herbes versatiles des remous de la déraison, mais ce désir sans mesure de déchirer les rideaux et les voiles, les cloisons de papier.


Je peux jeter sur le dos de l’océan le pont d’une théorie de planches branlantes, ce n’est jamais que moi que j’aurais traversé. Est-ce pure spéculation, cette tentative d’effraction ou bien se légitime, malgré l’apparente absurdité de la question, de lui-même l’écrit, cette manière d’apposer, non la vérité d’une réponse immanente, mais d’avancer que passé un certain seuil, l’acte de dire n’appelle ni refus ni acquiescement. Ce qu’il propose d’aborder est un parage sans concession. Le doute lui-même, ne pèse pas plus que toute certitude. Ce pourrait être osmose, si ce n’était unicité. On ne pense pas la poésie, s’interrogent à rebours ses ailleurs, ses dédales et détissant le fil, la genèse demeure aphone. Le masque du Coryphée simule la rémanence du cri ou bien la parole en suspend, figée dans la rondeur du mensonge ou de l’étonnement. Il dé-mesure la quantité de silence qu’il faut mobiliser pour que le non-dit prenne corps dans le sens. A l’inverse, la poésie n’ébruite pas ses eaux.





Art mineur : cinquième forage


Comment ne pas aimer l’écharpe effrangée du vent qui porte en lui le dessaisissement échappé du nuage baudelairien, autant que l’abandon désiré, d’une parole déliée de ses attaches terrestres. Nous aurions voulu que cela fût si simple, au détour d’un printemps de délaisser les mues étoilées d’épines. Pourtant, à couvert des haies, se scelle cette parturience stérile d’un regret : est-ce moi que je quitte ? Il faut aller dans la foule incessante, essorer les vieilles lunes du Spleen. Croupissent au fond des briques upérisées les lais éventés de l'Idéal poétique.

Le ci-devant salon des éthérés occupe toujours la scène, brandissant les Tables de sa loi, la lie de ses litanies, le souffle calcifié des grimoires, le diktat de ses rimes, ces lunes cramoisies, éclairant les plâtres surannés d’un théâtre de dupes. Mais, c’est sans importance, à quoi bon vouloir partager des reliefs avariés, desséchés au fond d’une assiette presque vide ? Les tréteaux de la fête ont été démontés, les dernières musiques, dans l’air, désagrégées. La poésie ne fait plus recette. Elle nous appartient.

Nous n’avions que faire de l’ambre et des ors des phrases ciselées dans l’atour d’autres siècles où le vain disputait au futile l’ordre des bienséances et le dais mortuaire de ces mots tombés en poussière. Il fallut tout oublier. Refermer aussi l’océan bruissant dans les pages des livres, y replier les ailes trop vastes des albatros, trouver son propre souffle, en absence de repère, sur la terre inconnue, sans limites.





Art mineur : sixième forage (fragment)


Je me suis prêté non sans inquiétude à la torture, la question : La page peut-elle être blanche, vierge de toute réminiscence. Ne suis-je pas habité des ombres nomades de quelques voyageurs, précédé de leurs écrits; une fête ou une marche funèbre à partager, drapé du velours confortable mais poussiéreux des redites. Puis j’éludais l’énigme.

Puisque c’est moi qui marche, j’invite le chemin. L’ornière ne crée pas la réfraction d’autres chutes. Elle prolonge le cri, venu d’une unique racine, jusqu’à l’efflorescence tendue de la douleur et, dans la pénombre exhortant l’indicible, le silex qui brûle met à vif le feu. Qui parle parfois cette langue primale, s’en retourne en ses limbes, aux froissements des feuilles sans noms, au premier sens des mots, avant qu’ils ne se perdent et s’enfoncent dans les tourbes du multiple.

Tu n’as pas confondu la poésie et les dorures éphémères et pourtant rémanentes de l’artifice. Elle n’est pas prodigue de prodiges, ni d’éblouissements. C’est du moins ainsi que tu en discernes les contours, à défaut d’une définition qui puisse contenir à la fois le vide et la profusion, le tumulte du silence.



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