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■ L'hiver
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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2006-05-12 | |
L’OMBRE VEILLE
Trop d’enfants jouent dans les ruelles avec la mort en bandoulière. Trop d’oiseaux volent en escadrilles. Les larmes brillent sur la vaisselle du chagrin. L’ombre veille à nos côtés quand on ferme les yeux. La lumière du soleil est comme une eau cachée dans les lichens de l’aube. L’orage tire des montagnes des torrents d’impatience. Les mères sans cri ont des mains de parole et les mers sans vague des îles d’espérance. Chaque épaule attend son accolade, chaque rivière sa source. Chaque mort attend sa vie dans la révolte des vivants. Il y a toujours au fond du crâne comme un enfant perdu qui nous appelle, un soleil d’hiver qui ne veut pas sécher, un mort qui nous parle dans une langue inconnue. Les trousseaux de clés trop lourds ne servent qu’à fermer. Je n’ai qu’un clou rouillé pour ouvrir le rêve, un Bic pour voyager au-delà du possible et traverser la mer en dessinant les vagues. Je gratte le silence avec le bruit des mots pour trouver sur la page le vrai visage des choses. L’eau s’ouvre sous nos pas. Quand on ferme la lampe, des morceaux de vie s’enfuient en emportant les mots. Il faut sans cesse écrire de nouvelles chansons, réapprendre à parler. Les enfants qu’on oublie ont des ombres trop grandes. À force de prendre le train en se trompant de voie, ils finiront par retrouver la gare, un cœur à la consigne, une valise pleine de rêves. À moins qu’ils courent le long des rails avec l’espoir au bout du fil comme seul répondeur. J’écris dans le désordre pour déranger les choses. Les poèmes qu’on lance comme des cailloux d’espoir font des remous dans l’eau, des rides sur la mer. Il arrive aussi qu’ils brisent des carreaux. Je cherche la clef du cœur oubliée dans l’enfance entre les vieux jouets et la prière du soir, une maille échappée sur le tapis volant, une lettre perdue dans l’alphabet des heures, une idée dans la tête qui ne tourne pas rond. Où le facteur ne passe pas, je laisse des poèmes au fond des boîtes à lettres. Faire marcher les mots n’est pas toujours facile. Il y en a qui tombent au milieu de la route et d’autres qui s’arrêtent pour regarder la mer. On chante seul dans le silence comme un oiseau perdu. On regarde le ciel comme une fenêtre vide. On regrette l’eau bleue des premières baignades mais le temps devant soi on ne sait plus qu’en faire. On s’enferme à l’école, à l’usine ou au bar sans écouter le vent ni connaître les arbres. J’écris comme ces pierres sous la faux qui arrêtent l’élan. J’écris pour respirer entre deux pas de course. Je cherche dans la pluie une goutte pour moi, une nouvelle étoile derrière les nuages. Dans ce trop-plein des choses, on met ce qui manque dans un poème, l’enfant qui dort dans les virages, la renarde entrevue au passage des phares, l’écho trop court des musiques, la fraîcheur de l’encre sur le papier jauni, dix secondes de soleil ou la forme d’un loup dans les feuilles d’un arbre. Tout disparaît trop vite. Le temps d’ouvrir la porte, il n’y a plus personne. Le temps d’ouvrir un œil et l’horizon recule. Des figurants sur le trottoir font semblant de marcher. On ne sait plus à qui parler, au costume ou à l’homme, au verre ou à la soif. Les couleurs retiennent leurs ailes comme on retient son souffle. Le vent passe en chantant. Il fait traduire en mots pour l’oreille des phrases. Le poids gris du réel alourdit les paupières. J’entends pleurer l’oiseau dans l’arbre qu’on abat. Un rêve d’enfant meurt à la clinique des poupées. Le soleil fait la planche sur une mer de nuages. Il faut payer pour traverser la vie. Il faut payer partout. Chaque homme a son guichet. Je ramasse en tremblant les tickets passés date.
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