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Le Voyage
prose [ ]
Existence et préexistence (1) (lettres et violons)

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par [Salvamaria ]

2008-12-17  |     | 



Viens par ici! choisis seulement une feuille
et donne-moi en échange un vers
ou un coquillage d'une mer
sans aucun univers

ici la bille du dé rond
commence à faire la culbute
et dans le jeu d'échecs ouvert
tombe ta pensée profonde

viens par ici! choisis le jour
quand le bien de ma mer
avait pris la route du sentier
traversant ton enfance avec un chant...

Je vous réponds en vous écrivant cette lettre, en référence aux événements que j’ai vécus les premiers jours du Miracle qui nous est arrivé, ici, à Timisoara, et partout dans le pays, d’ailleurs. En remplacement d’une introduction, j’aimerais vous parler directement des faits. Vendredi, le 15 décembre, à midi, je rentrais de l’école, avec mon amie. Dans l’après-midi, nous avions à passer un examen et, pour la cause, l’intention de récapituler la matière. Nous rentrions à pied et à la Place Maria, devant l’Église Réformée, environ 100 personnes s’étaient rassemblées pour discuter intensément. Curieuses dans notre ignorance, nous nous sommes approchées. Pourquoi tout ce monde était-il rassemblé ici? Ce n’est qu’en écoutant la radio Europe Libre le lendemain, que nous avons eu notre réponse. Il y avait un ordre à exécuter; transférer le prêtre Tökes de Timisoara, ailleurs à la campagne, quelque part près de Zalau. C’est pour cette raison que les paroissiens s’étaient rassemblés.

Quelques-uns avaient dans les mains des bougies allumées, d’autres étaient collés à la porte de l’église, comme un chien fidèle à son maître. La première fenêtre à droite de la porte était placardée. Des passants curieux comme nous s’arrêtaient, se posaient la même question, attendaient quelques minutes en pensant à n’importe quoi, puis continuaient leur chemin. De temps en temps, dans cette foule isolée, je voyais bien des regards qui cherchaient un point d’appui. Plusieurs s’arrêtaient de l’autre côté de la rue, entre la pharmacie et le magasin alimentaire, toujours par curiosité. Après quelques minutes, les gens quittaient les lieux pour laisser place à d’autres. Nous aussi, nous sommes parties.

En me dirigeant vers l’école à 5h30 du matin, j’ai vu la même foule, mais plus grande et les bougies allumées me paraissaient plus nombreuses. Le lendemain matin, le samedi, j’ai appris qu’une petite partie de ceux qui s’étaient rassemblés à la Place Maria au cours de la journée y avait passé la nuit. Samedi midi, ils étaient le double à veiller l’église ainsi que le prêtre.

Les visages étaient sobres et tendus, sur le qui-vive. Vers 7h30, en soirée, je suis partie vers le Complexe, en direction de mes amis. Les tramways ne circulaient plus. La Place Maria était bloquée elle aussi. De Sinaia jusqu’au salon de coiffure, on pouvait y voir une marée noire de personnes. L’agitation venait de commencer, les gens profondément chagrinés montaient dans les tramways et criaient tout ce dont ils s'étaient tus si longtemps. C’était le début. Ce fut les premières gouttes d’écume d’un mets empoisonné qui ont fait sentir leur présence. Personne ne pouvait plus siroter sans qu’il soit plein jusqu’au bord. Il fallait vider, changer et oublier, ce qui a eu pour effet de réveiller bon nombre d’émotions. D’où venaient la force et l’assurance d’une justice absolue qui, en plus de flotter par-dessus et partout à l’entoure de nous, les rayons de ce centre avaient la force de t’imbiber et de te porter au septième ciel, tel un oiseau?

Je suis arrivée au Complexe en courant et en pleurant. Tous ceux qui j’ai rencontrés n’étaient pas familiers de ce qui se passait dans le Centre-ville ou ils ne pouvaient tout simplement pas croire que les choses se passaient de la sorte et ils n'étaient pas capables d’envisager une réponse quelconque pour ce qui aurait pu arriver. Lorsque je suis entrée dans le Complexe, j’ai eu la surprise d’une panne de courant ou peut-être l’électricité était distribuée raisonnablement et efficacement. J’ai monté jusqu’au quatrième étage comme si j’étais en plein vol. J’ai bredouillé « Le loup est mort à l’aube », notre pseudo - mot de passe, choisi en s’amusant comme des enfants pour l’utiliser dans des cas ultraspéciaux, dont moi et mes amis avions oublié. J’entendais crier à l’extérieur « Étudiant, venez avec nous! ». En réponse à cet appel, plusieurs sont sortis, mais nombreux sont ceux qui ont rebroussé chemin. J’ai fait un détour pour arriver au Conseil. De la maison étudiante, suivi par d’autres étudiants, nous sommes retournés vers la Cathédrale, nous avons rejoint la colonne sur le pont, où des cris liés à la disparition de Ceausescu se faisaient entendre et desquels nous sentions l’euphorie, celle qui fait oublier l’endroit et le temps. Je sentais traverser le temps et les petits instants me caresser les mains et le visage. Le Présent, je le vivais pleinement qu’ à ce moment-là.

À la Place Maria, le prêtre Tökes est apparu à la fenêtre pour s’adresser à la foule, mais on voyait bien comment il était forcé par d’autres de calmer la foule qui chantait « La Ronde de l’Union. Les premiers miliciens gros et outillés de bâtons ont fait peur aux 700 personnes qui se trouvaient sur la Place et les femmes ne comprenaient rien du fait que les hommes prenaient la fuite à cause de 4 apparitions disgracieuses et non - armés. Ce moment de peur a eu son rôle dans cette histoire. Évidemment, ceux qui étaient présents ont continué à crier, scander et manifester. Puis, un camion de pompiers a commencé l’arrosage des manifestants et une voiture ARO blindée est montée sur le trottoir frappant au hasard les gens. Une troupe de miliciens équipés de boucliers et de matraques, apparitions blanches d’anges bleus avec des casques, ont réussi à enclore l’église et à disperser la foule en trois directions : vers Sinaia, Flora et la Cathédrale. Devant moi, un jeune a été battu à coups de poing et de pieds. Les gens qui regardaient, ne comprenant pas ce qui était en train de se passer, ont réagi trop tard. Une demi-heure après, une voiture a réussi à embarquer le pauvre et malheureux homme et de l’éloigner de là-bas.

Nous ne savions plus quoi faire. Nous sommes rentrés à la maison d’étudiants. J’étais fatiguée. Tout ce que je voulais était de dormir. La fatigue n’était pas seulement physique. Les étudiants nous attendaient. Nous nous sommes égarés, mais il n’y avait pas de raison à s’inquiéter de notre absence. On ne s’était pas vu depuis deux heures. J’ai raconté tout ce que j’ai vu et ils ont collaboré mon histoire avec les images présentées à la télévision sur les confrontations en Tchéquie ou ailleurs dans les pays de l’Est. Avons-nous vécu, nous aussi, les mêmes aspects de l’histoire? J’étais assise à la table en face de mon ami. Il me regardait, se taisait, m’écoutait. Nous faisions l’analyse de notre situation. Devions-nous retourner là-bas? Si oui, comment devons-nous réagir? Si quelqu’un nous reconnaît, l’école va en répondre. Mon ami me disait que la seule solution était de quitter le pays. Nous avons été priés de nouveau de nous rendre sur la place. Je sentais l’importance de la présence des étudiants dans les événements, les étudiants n’ont pas commencé la révolution, mais ce sont eux qui l’ont entretenue sans peur.

Un troisième appel s’est fait entendre où ils menaçaient de mettre le feu aux maisons étudiantes. Je suis convaincue qu’ils ne l’auraient pas fait. En une minute, Dragos, Eugenia et moi sommes descendus. Les autres hésitaient. Dans le hall de la maison étudiante, le comité du site avait un représentant qui ne permettait à personne de sortir ou quitter les lieux. Étant les premiers près de la porte, nous avons foncé et nous avons réussi à sortir.

Devant la maison étudiante, l’allée était bondée. Les étudiants formaient la majorité de la foule. Nous étions collés l’un à l’autre dans toute cette foule. Dragos tremblait. Les émotions nous comblaient, nous réalisions que nous étions nés pour être LES CHOISIS. Tout ce qui se passait nous semblait grandiose, comme un délire. Un jeune a pris le risque de tout diriger en commençant par nous parler. Nous devions aller à la Cathédrale et résister toute la nuit. Nous avons pris la route en scandant des slogans et en chantant. Les pancartes avec la propagande communiste ont été détruites, rien de plus, pas de casses ni d’incendies, seulement des pancartes déchirées. Devant la Cathédrale, notre trio fut le premier à chanter et former « La Ronde de l’Union. Nous avons continué le chemin vers le quartier Circumvaliunea où les rangs se sont doublés. À la Place Dacia, nous nous sommes arrêtés pour prendre un peu de répit. Derrière nous, des camions de l’armée nous suivaient de près. Sur la rue Timis, tout le groupe a été encerclé. Dans la zone, les rues étant étroites, nous avons été facilement bloqués. Une dame à la porte d’un immeuble à logements nous chuchote qu’il y a, pas loin, des voitures qui opèrent des arrestations. Moi et mes amis sommes allés nous réfugier à l’entrée de l’immeuble, où on nous a donné la permission d’entrer dans un logement où des jeunes de notre âge faisaient la fête et s’amusaient sans soucis. Après quelques instants, ayant décidé de quitter les lieux, quatre autres jeunes se sont greffés à nous. Pourquoi ne sommes pas nous restés à la fête jusqu’au matin?

Nous sept, à la sortie de l’immeuble à logements, avons été enlevés et transportés par une voiture de l’armée au poste de milice Salajan. Dans la cour intérieure, nous étions environs 30. À genoux, sur deux rangées, nous avons été battus par des « civils ». Ils avaient de gros bâtons en bois et ils frappaient de façons assoiffées tout en nous portant des injures. Nous tremblions. Nous avons été battus de cette façon jusqu’à un ordre d’arrêt. Après nous, d’autres sont arrivés. Nous avons été mis dans des cellules sans nous demander des données personnelles. Le matin nous avons été mutés à la prison Popa Sapca. En prison, les autorités nous ont confisqué argent, papiers objets précieux. Quinze lits sur trois niveaux par cellule étaient le lieu de repos pour 32 personnes, parmi lesquelles, 13 étudiantes. Dimanche, dans l’après-midi, j’ai pleuré. Je me suis calmée en me rappelant que j’étais avec Eugenia. On faisait l’appel trois fois par jour et l’interrogatoire était réduit à la question : qui va suivre? Le mardi suivant, ils ont libéré les mineures et les membres du Parti communiste. Ceux qui restaient dans la prison donnaient leurs numéros de téléphone pour annoncer les proches de l’endroit où ils se trouvaient. Ce jour même a commencé l’enquête menée par les procureurs venus de la capitale, Bucarest. Ils voulaient savoir comment nous avions passé le temps de la nuit de samedi à dimanche, de sorte que les autorités de Timisoara vérifient nos alibis. Le nombre total des prisonniers était d’environ 1400 personnes.

Au court de l’après-midi de dimanche, on a entendu des manifestants, des hélicoptères et des coups d’armes à feu. On pouvait faire la différence entre les cartouches de manœuvres et ceux de guerre. En ville, on tirait. Mais vers qui et qui tirait? Puis, lundi et mardi on n’a plus rien entendu. Le mercredi, dans l’après-midi, nous avons entendu des ovations. Nous pensions que Ceausescu était arrivé à Timisoara. Puis nous avons entendu : À BAS LE COMMUNISME! À BAS CEAUSESCU! À BAS LE DICTATEUR! Nous avons réalisé que les jeux étaient faits. D’autres lutaient pour nous.

Au cours de cette même soirée, nous avons eu la nouvelle que sous peu, nous serions libérés. À 7 h 40 nous étions déjà devant le Conseil des ministres. Nous avons appris que dès lundi les étudiants étaient partis chez eux. Les maisons étudiantes avaient été fermées. Moi et Eugenia avons pu rentrer chez nous. Nous avons pris un bon bain (on ne s’était pas lavé depuis 4 jours). Nous nous sommes couchées. On voyait bien combien le destin de l’homme peut-être fragile et son existence si variable.

Eugenia est rentrée chez elle jeudi, moi, vendredi, après la fuite de Ceausescu. En général, c’est comme ça que les choses se sont passées. En vérité, on peut parler longuement de ces jours-là, mais une lettre n’est pas assez pour tout raconter en détail.
S’il vous plaît, excusez-moi pour le retard, je vous souhaite tout le bien du monde, Andreea. Bonne chance pour Ioana.



note: traduit du roumain d'après "Voiajul" (Le Voyage) de Ioan Mircea Popovici - livre paru chez Muntenia, 1994

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à Montréal, 19 ans après l'étincelle libératrice de Timisoara

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