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■ L'hiver
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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2006-04-12 | |
DANS LE DÉSERT DES CHOSES
À force d’assécher la vie, les hommes ne seront bientôt plus que des cactus dans le désert des choses. L’éclair ne tient plus le tonnerre en échec. Ma voix se tient debout dans les oreilles de l’angoisse. J’ai peur de mes doigts qui se figent en poing, de mes caresses en boule, de mes lèvres qui saignent. Je ne renonce pas à dire. Je dresse mes larmes en poèmes, mes pierres en caresses, mes blessures en oiseaux. On tire à vue comme on meurt à vue d’homme. On tire celui qu’on fauche avec celui qui fauche. On tire sur les morts, les enfants et les chiens. On tire sur les femmes, les étoiles et les fleurs, mais le sang ne tache pas le verre des écrans. On tire l’espérance comme on tire au tarot. On tire les oiseaux comme on abat les cartes. Dans le désert qu’on fomente, on laboure un champ de mines. Le cœur se déchire aux barbelés du corps. On fusille les coqs qui chantent par amour. On emprisonne les pieds qui dansent d’allégresse. La bouche des coupables mord la langue des victimes. Un bras pend dans l’étendue toute froide. Ses soubresauts laissent voir le ressort cassé d’une mécanique d’enfant, quelques lambeaux de rêve. On y devine l’espérance qu’on aurait mutilée. La terre est un vieux corps usé qu’on dilapide encore. On ne lit plus le monde avec des moissonneuses, on déchire ses pages à grands coups de matraques. Les mailles sautent une à une sur le gilet du cœur. Le désir s’agrippe aux falaises du corps. Des billions de molécules forment un destin unique. Il faut moins de temps pour tuer qu’il n’en faut pour naître. La pluie n’a pas de corps mais nous touche partout. Je prends mes ordres du vent seul ou de la mer inattendue. Quand je m’approche du vivant, je m’éloigne des choses. Je mêle ma parole aux chœurs des insectes, le rire des poupées aux larmes des tilleuls, mon écume à la mer, les pétales de l’œil au laurier rose en fleurs. Les plus hautes montagnes ne sont plus à l’abri. Les miroirs s’étoilent devant la pierre du visage. Les ossements d’un oiseau alourdissent la terre. Les enfants qu’on arme sont des vieillards au front terrible. Le plancher de la vie s’effondre peu à peu. Les arbres qu’on évide se remplissent de haine. On en fait des potences ou des crosses de fusil. Même si les os des morts renaissent en racines, il faut taire les armes. Ce qu’engendre la haine appauvrit le vivant. Sous les paupières des bourreaux le soleil n’est plus la lumière des yeux. Les bras de l’arbre interrogent le monde. Il attend le printemps sur ses branches malades, la révolte des fruits, la prière des feuilles. Il attend l’homme debout qui lui tendra la main. Des fleurs dressent leur tige dans les labours séchés. Des enfants dorment encore dans la tendresse du ventre. Des feuilles dansent encore sous la caresse du vent. Tout remonte à la vie comme un singe dans l’arbre. Tout retourne à sa place dans l’œil du chevreuil. Des oiseaux font leur nid dans la tour de Babel. Le cri de l’acier rouille dans le murmure de l’eau. La vie se couvre d’autres vies. L’amour inépuisable renaîtra de ses cendres. 12 avril 2006
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