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■ L'hiver
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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2005-09-20 | |
Lettre d’amour pour la Nouvelle-Orléans
Mon cœur se brise en voyant comment ma belle ville coule à pic, tandis que moi je suis en sécurité à environ 90 miles de distance et le chagrin de mon âme n’est rien en comparaison avec la souffrance de ceux qui sont encore à la Nouvelle-Orléans. On reconstruira la Nouvelle-Orléans, mais ce ne sera plus jamais celle que j’ai connue et aimée. On l’a souvent comparée avec Venise, pour sa beauté et sa fragilité, pour son amour de la musique, de l’art et du carnaval. Siècle après siècle, un monde entier s’est tourmenté pour que des ingénieurs trouvent une solution pour la survie de Venise, mais peu ont eu également cette pensée pour la Nouvelle-Orléans. La Nouvelle-Orléans a été – et peut-être l’est-elle encore- un carrefour commercial trépidant, crucial pour le contrôle des embouchures du fleuve Mississipi, vital pour l’industrie américaine et pour l’accès au golfe du Mexique. Jean de Bienville fonda la ville en 1718, en ces lieux, sans tenir compte des avis de ses ingénieurs quant aux dangers d’édifier une assise sur un terrain marécageux, entre le Mississipi, le Golfe du Mexique et les grands lacs du nord. Les besoins des républiques américaines ont continué à construire sur le « péché originel » de Jean de Bienville, nécessitant encore plus d’aménagements visant à corriger la nature dans l’un de ses plus magnifiques points de convergence. Les marécages, qui domptaient autrefois la furie des vents, ont disparu, victimes des grandes compagnies pétrolières et du réchauffement du globe. Les mers sont plus chaudes, bonnes gens, et ceci, nous l’avons choisi ! Faites attention, vous qui niez le réchauffement du globe, c’est pour de vrai ! La rédemption de la Nouvelle-Orléans lui vient de sa musique, de sa cuisine, des festivals, et de sa pauvreté. C’est ici que fonctionnait l’un des marchés d’esclaves les plus brutaux d’Amérique, et c’est encore ici que se finissaient en ce point le plus au Nord, les filières de trafic d’armes, de rhum et d’êtres humains, en provenance des Caraïbes. Des esclaves, et ensuite, des réfugiés, des immigrants, des pirates et des artistes qui étaient à sec, et c’est ici qu’ils ont apporté la culture de l’Afrique, ou des endroits dont ils s’étaient enfuis. La musique de la Nouvelle-Orléans a voyagé en amont du fleuve et elle est devenue la musique de l’Amérique. Pendant des siècles, nous avons généré des énergies culturelles et humaines, mais tout ce débordement n’a apporté à la ville aucun aménagement foncier, aucune réflexion stratégique pour le futur, aucun cri collectif d’appel à l’aide pour arrêter la mort. Le génie de l’armée a sauvé héroïquement la ville au moins au fois, lors des inondations de 1927, mais alors, comme maintenant, ce fut en réponse à une situation de crise, pas un plan délibéré, une préoccupation de l’avenir. Et nous voici maintenant, nous noyant dans les eaux qui nous cernent, sombrant dans nos propres résidus, dans la pauvreté, dans l’incompétence, dans la cupidité de nos précurseurs. C’est le temps des reportages en direct, des histoires déchirantes, des sauvetages héroïques et des efforts surhumains d’individus au grand cœur, et des associations caritatives, fatiguées, mais toujours prêtes à l’action. Ce n’est pas le temps de la colère, mais je ne peux m’empêcher de me demander : qu’est-ce qui survivra de notre culture ? Nous savons déjà qui va payer pour tout ceci : les pauvres. Comme toujours. Les ordures du pays tout entier coulent en aval du Mississipi chez eux. Jusqu’ici, ils ont transformé toutes ces saletés en un chant, ils ont pris sur eux tous les péchés de l’Amérique. Mais ce blues maintenant devient trop important. Andreï Codrescu. (Traduction : Nicole Pottier) * Texte traduit et publié avec l'autorisation de l'auteur. |
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