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■ Voir son épouse pleurer
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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2016-07-25 | | Aux fantômes de la Dhuis. Quand j’écris, c'est plus fort que moi ! Je sais bien sûr où je suis, et en grande partie d’où je viens, mais nullement où je vais ! C’est ainsi que la cursive nous conduit de ruisseaux en rivière et de rivière en fleuves indomptables. C’est d’abord le goutte-à -goutte d’une clepsydre, un suintement léger comme une petite source, une fuite quasi insignifiante de l’imaginaire dans le temps et l’espace. Au début, c’est donc comme un mince filet d’eau, léger, aérien, quelques courtes gouttes d’encre de couleur sur un papier trop blanc. Puis, de plus en plus rapide, de plus en plus fort, et de plus en plus large, le petit ruisseau fait sa grande rivière ; l’écrit devient plus dense, comme un petit torrent qui gronde doucement, puis, de plus en plus violent, il vocifère dans un véritable bruit de cataractes. C’est comme une cascade de mots qui vient, comme après quelque pluie torrentielle. Oui, l’écrit avait un cours normal, métrisable, sans le moindre remous, jusqu’au moment où les vagues d’intuition et d’inspiration vous submergent, c’est là que vous n’avez plus pied, que la plume ne touche plus le fond, et que tout autour de vous s’efface dans une grande marée illimitée. Vous entrez alors dans un autre état de conscience, en des ailleurs qui ressemblent à des nuées d’inconnaissances. Alors, tout s’estompe, le papier devient noir d’encre, les mots et les phrases se chevauchent, les marges vont à vau-l’eau ; comme une liqueur obscène, le liquide s’infiltre dans vos moindres recoins, vous avez même du mal à respirer tellement ce jus d’encre noire vous arrive à la bouche ; vous criez, prononçant tout haut les mots qu’il faudrait pour vous sauver, mais rien n’y fait ! Qui me délivrera des mots ! Vous tentez désespérément de rester en apnée le plus longtemps possible, mais tous les possibles deviennent impossibles, et le lit des rivières narratives devient celui de Procuste. Vous êtes cuit, ou plus exactement submergé ! Vous brassez de l’encre, noire ou bleue, qu’importe ! mais aucune forme de nage, ni brasse, ni crawl, ni papillon ne peut vous sauver des courants. Il devient même impossible de penser, et écrire, c’est comme une galère sur un océan déchaîné. Les mots affluent de plus en plus vite et de plus en plus fort, comme un raz-de-marée au mont Saint-Michel, au confluent de la mémoire, jusqu’à votre propre sang qui flux charriant des mots lourds d’émotions ou de sentiments. Tout déborde, c’est même l’inondation de l’imaginaire, avec des chutes d’encre comme des jaillissements de l’enfer, des geysers plus puissants que les pluies du Déluge. C’est une hémorragie de lettres, belles et moches, c’est une éjaculation verbale qui vous vide de vous-même, sans fin comme un énorme épanchement de la vie. L’encre jaillie de toute part et s’infiltre partout, les pages débordent et dégorgent même, elle sue de métaphores, suintent d’analogies, suppure d’encre noire, comme les cieux pleurent la condition homo sapienne et l’Homme qui ne vient pas à lui ; comme les Anges sanglotent amèrement face à l’adversité et au grand manque d’humanité. Même à contre-courant, on ne peut arrêter les humeurs du corps, le flux de l’esprit et les fluxions de l’âme. À la source du verbe, le fil des mots est un long fleuve d’encre qui semble surgir du néant, comme des profondeurs de l’être. La longueur de ces logorrhées humides devient impossible à estimer, car c’est la démesure même ! C’est le Nil ou l'Amazone confondus, c’est une mer déchaînée, un océan, avec l’abondance et la force des chutes du Niagara ; c’est la chute des reins de muses sans retenue, c’est un déluge plus puissant que tous les courants marins. Oui, autour de vous, plus de marge, plus de rive ou de rivage auquel se repérer, l’horizon lui-même se fait vague ; c’est la crue qui sort des pages, c’est un tsunami qui déborde des cahiers et emporte tout, qui inonde les livres, telle une lame humide qui noie et mouille vos souvenirs moites et vos notes à sécher. Et rien ne sert de se jeter à l’eau, puisque vous y êtes déjà jusqu’au-boutisme des phrases ! Et vous y restez, tant mieux, comme emporté par les roulis des vers et le va-et-vient de la prose. Dans les courants vous êtes là , fragile et fatigué, tel un triste radeau de la Méduse. Vous n’êtes plus qu’un pauvre esquif en perdition ; mouillé jusqu’à l’os, l’âme immergée dans les images et le cœur submergée par vos propres mots, quand il vous faut tout attendre du destin. Point de canot à portée de main, rien qu’un stylo bille de secours et une liasse de papier moite ; pas la moindre bouée pour soutenir vos bras ; au-delà des ponctuations vous n’avez rien pour vous agripper, puisqu’une simple virgule ne sauve pas son homme, et périr couler maintenant serait un désastre ! Alors au bord de l’asphyxie textuelle comme à la limite de la mort par noyade, vous vous laissez flotter et emporter loin, en attendant quelque secours providentiel. La lumière du jour entre dans la chambre, elle baigne de sa clarté pacifiante ma table de chevet pour terminer sa course tel un chemin de réveil, dans mon regard apeuré. Mon lit ne flotte pas, l’unique drap qui recouvre mon corps n’est mouillé que de ma propre transpiration, ce n’était qu’un rêve, ou encore le songe aventureux d’une chaude et belle nuit d’été, comme la réminiscence d’une noyade vécue à Oraison, en 1958, à l’aube de mes douze ans. Mon épouse semble encore dormir ; j’entends le ventilateur qui tourne dans la chambre ; sa musique et sa fraîcheur me rappellent ceux de vieux souvenirs au bord de l’eau sur les rives à l’ombre des peupliers, des marronniers ou des saules pleureurs ; avec les cris d’enfants, les clapotis de rames sur l’eau, et le bruit lointain des guinguettes de la Marne. En un instant à peine, je quittais le Déluge et l’arche troué de Noé, pour me retrouver chez Gégène à Joinville-le-Pont, ou plus proche de chez moi, au Bal à Jean, à quelques centaines de mètres de la maison familiale, juste au bout de la rue Angel Testa, à Clichy-sous-Bois. En ce temps-là , la Semois de mon enfance se nommait la Marne, mon Monthermé tout simplement Montfermeil, et ma banlieue c’était tout à la fois, ma campagne et ma forêt. Au sortir de l’enfer humide que je viens de vivre, pour me distraire, j’aimerais faire guincher madame dans l’un de ces bals musettes, comme le Coq Hardi, au milieu des rires et des sons d’accordéon; ou bien, faire une simple promenade le long de la Dhuis ou autour des Sept-Îles ; profiter encore quelque temps de la fraîcheur des sous-bois, et de ce qui, dans les années 60, restait de la majestueuse forêt de Bondy. (...) Réminiscences oniriques (extrait) |
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