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De la transparence
prose [ ]
Les personnes transparentes sont comme des vitraux,

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par [Reumond ]

2012-06-27  |     | 



Les personnes transparentes sont comme des vitraux, de Chartres ou d’ailleurs; elles laissent jaillir la lumière du ciel au-dedans, et transparaitre le bleu au-delà de toute apparence et couleur extérieure.

Cette transparence, c’est notre propre profondeur, c’est celle de notre prise de conscience et de la distance que nous prenons avec la grisaille des jours ; car toute la vie en profondeur est un au-dedans illimité, une vie intérieure plus profonde que les océans, plus intime et plus ultime que l’être lui-même.

En 1967, je venais de quitter le laboratoire de biochimie médicale et de prendre un temps sabbatique, et dans un profond besoin de « ressourcement », durant une quinzaine de jours, je me suis retiré dans le nord du Morvan, au monastère Sainte-Marie-de-la-Pierre-qui-Vire.

Comme tous les retraitants, je partageais mon temps entre les balades dans la nature sauvage de la région, un temps d’accompagnement spirituel personnel et le reste en oraison, un temps de prière que je pratiquais seul dans ma cellule, participant au repas de la Communauté et dans la mesure du possible aux offices des moines.

C’est dans ce sombre réfectoire que j’ai vu sa lumière ! Comme il existe des signes intérieurs de pauvreté et des signes extérieurs de richesse, j’ai aperçu cet homme, un autre retraitant d’origine allemande. Il était tant transparent que mon cœur a chaviré, tellement transparent qu’il en avait des rosaces dans les yeux. Le Christ lui-même avait probablement ce même regard qui sonde les profondeurs de l’être pour aimer jusqu’aux limites de la chair.

Nous ne nous sommes jamais parlé, cela ne semblait pas nécessaire !

Tout semblait déjà dit et tout resté à réaliser ! À chaque regard, ce vide entre lui et moi, entre moi et lui, était tellement « habité » qu’il suffisait à notre contentement. Habitée comme le serait la nef d’une cathédrale ; habité comme un ciel infini, peuplé d’anges et fréquenté de lumières admirables ; habitée comme devrait l’être toute vie en profondeur, en un au-dedans illimité, une vie intérieure plus profonde que les plus profonds océans et plus intime que le plus ultime espace de l’être.

Dès que nous vivons dans les apparences, les erreurs de perception nous empoisonnent l’existence ! Dès que nous extériorisons, entraînés par les automatismes de la vie quotidienne, alors nous devenons opaques et perdons cette transparence dont le centre de débordement, la source, est dans la dépossession de soi-même ou l’effacement d’un moi possessif.

Enfant, j’ai toujours voulu ressembler à ces grandes verrières de Notre-Dame du Raincy où au collège du même nom nous allions user nos culottes courtes et écorcher nos genoux sur les bancs eucharistiques.

En cette Sainte « Chapelle de béton armé », comme certains la nommaient à l’époque, j’avais déjà expérimenté cette présence lumineuse, j’y avais connu cette lumière intense, ces brillants tableaux de lumières plurielles qui vous portent dans d’improbables ailleurs.

Alors, Notre-Dame de la consolation, pourquoi tant d’ombre et tant d’opacité dans le Monde et dans mon propre cœur ?

En ce temps-là, le regard comme emporté par les jeux chromatiques, voyageant du bleu le plus froid au vert le plus tendre, du bleu le plus marial au rouge le plus vif, comme un enfant confiant, je m’étais laissé porté dans ces bras de lumière et dissoudre dans la couleur des vitraux à en perdre mon ombre.

Et corps et âme comme dissous dans les variations des couleurs jaunes, roses et ocres, avec tous ces tons chauds qui réchauffent les petits cœurs meurtris, avec quelques touches de vert et de bleu, pour pacifier l’esprit et fortifier le corps, j’ai voyagé en son temps, je m’en souvient, à la vitesse de la lumière entre l’imaginaire et la réalité.

En de grandes joutes géométriques, au doux filet de perles blanches que le maître verrier avait tramé pour accueillir les anges et filtrer la lumière qui vient de l’intérieur de l’homme, je m’étais laissé porter comme dans un hamac de rêves les plus doux.

Au-delà de l’iconographie et de ses classiques représentations, de l’Annonciation jusqu’à l’Assomption, en passant par cette référence au taxi de la Marne, les grandes verrières s’exposaient toutes vêtues d’illuminations pour exploser mes pupilles d’enfants sensibles aux embrasements de la lumière.

Même si les physiciens racontent partout dans les livres d’école que toutes ces propriétés dépendent de la longueur d'onde de la lumière et de la nature des matériaux en question, l’enfant de douze ans savait bien dans son cœur tout chaud que le chœur lui-même était éclairé par quelque chose d’autre que la lumière ! Car, entre deux verrières, l’enfant n’ignorait rien des apparences trompeuses, il savait déjà que cette tendance à tout montrer et à tout voir n’était qu’une illusion qu’il lui faudrait percer un jour, pour percevoir au-delà de la trame ce que le ciel bleu peut encore cacher.

L’infini c’est la candeur de l’enfance et de l’éternité, c’est la chaleur d’une lumière tout éternelle ; c’est la transparence même de l'amour qui se donne au lieu de tout prendre ; c’est ce rayon numineux, éblouissant qui vient à vous comme un véritable don de la vie, la vraie vie, quand elle se donne en abondance, sans condition aucune, sans attente et sans raison.

Là est notre vraie transparence, quand nous sommes délivrés de nos multiples opacités et pensées murées, de nos cuirasses, œillères sur un véritable rempart d’illusions ; là est notre véritable liberté d’animal devenant plus humain, dans un grand mystère qui comme la vitesse de la lumière nous dépasse toujours.

Mystère sans fond de la transparence de la personne, mystère profond de la transparence de l'être, tout dépouillé d’un moi muré.

Entre l’extériorité qui disparaîtra pour moi au jour du grand départ, et tout l’intérieur qui cache tous ses secrets, toute la vie est un entre-deux, un au-dedans illimité, car le mystère de la vie intime de tout être est une pure intériorité qu’il nous faut pénétrer comme la lumière pénètre l’ombre.

Dès que nous sommes dans les apparences, dès que nous nous extériorisons, dès que nous sommes portés par notre préhistoire, comme entraînés par de vieux réflexes grégaires, dans nos multiples automatismes et nos conditionnements animaux, nous perdons un peu, beaucoup, à la folie de cette transparence qui est toujours là en avant et au-dedans de nous.

À trop nous fier à nos relations les plus fidèles, à nos imprégnations les plus coutumières, etc., nous devenons complètement « opaques », et nous sombrons dans le côté obscur de l’individu ; nous faiblissons en lumière intérieure, nous concédons ainsi, sans vraiment le vouloir, à l’animalité, cette part de nos origines.

À trop nous fier à nos images innées ou acquises, à nos connaissances et clichés erronés, nous nous égarons, hors de cette transparence et de cette authenticité qui est le propre de l’être en route. Nous nous éloignons de l’homme qui vient, de cette personne virtuelle, en devenir, dont le centre de gravité est la source même d’un jaillissement aveuglant au cœur de la matière, dans la présence au Monde, de quelque chose qui me dépasse, m’interpelle et m’appelle à plus de luminosité.

Dans un élan aveuglant comme les feux de l’inconnaissance, seule la vérité est transparente, authentique ! Le reste c’est du mur, de la brique, de l’illusion, des réalités en cul-de-sac !

Seule cette vérité qui éclaire le fond de tout être est une source véritable de liberté et d’authenticité. Seuls le dépouillement et le gommage progressif du moi, peuvent apprivoiser les ombres, pour laisser transparaitre et passer cette lumière éternelle ; seul ce rayonnement qui vient du cœur d’une humanité en souffrance peut contenir assez d’espace vide et de transparence pour passer au travers des obstacles les plus épais.

Parce qu’il y a partout assez d’humanité, d’humilité et de pureté ; parce qu’il y a partout assez d'amour et de générosité comme dans ces vitraux là, j’espère encore, j’espère entrer en communion avec une lumière encore plus pure, plus vivante et plus éternelle ; c’est là que l’âme des enfants se repose et que des hommes viennent à la vie, qu’ils se révèlent à eux-mêmes dans un bain lumineux. Là qu’il est encore possible de passer outre la mort, de franchir le cap, de plonger à s’y dissoudre comme dans un cristal très pur.

Je veux "en corps" m’effacer davantage de la vie, pour atteindre cette transparence du vitrail, et devenir transe « lucide » plus encore; me gommer jusqu’au dernier fil de la trame, disparaître à tout jamais jusqu’à la lie de l’être, transparaître pour paraitre « autre » sans espace et sans temps, avec tous les autres lumineux; car ce n’est qu'au travers de cette transparence illimitée que l’humanité tout entière peut encore réaliser son appel lumineux, advenir ou bien renaître comme le phénix de cet univers du trop-plein et de l’opacité.

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