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Le printemps des poètes
prose [ ]

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par [Reumond ]

2012-03-12  |     | 



illustration : Le printemps des poètes (2012)



Au printemps, quand la passion de l’écriture vous prend ou vous reprend plus encore, comme l’instinct génésique vous saisit par le regard, les testicules ou les ovaires, il ne vous reste qu’une chose à faire : sautez dans le vide de la page blanche !

Sautez dans l’encre noire ou bleue des lagons, pour vous reproduire !

Remonter le long des membres comme le saumon remonte la rivière, pour mettre un peu de printemps dans vos brouillons-bourgeons, et d’amour sauvage dans nos feuilles-fleurs.

C’est-à-dire, ou plutôt c’est à écrire, au fronton des falaises dressées comme des chapitres, textuellement, au plus trait du trait, au plus musclé des chairs, au plus encre des encres ; quand le génie se fait génital et que la folie vous pousse au-dedans des veines.

S’écrire, comme les primevères forcent la terre encore froide de l’hiver, pour se faire coucous sauvages entre vos mains, terre meuble entre vos doigts, entre les marges trop étroites, dans un seul élan amoureux pour se dirent, s’écrire, forniquer d’encre et de métaphores.

C’est au printemps, quand la passion de l’écriture vous prend comme se prennent l’un et l’autre les amants fous, quand les mots nus et crus vous embrassent, qu’ils vous embrasent les mots, et que les caresses du vent vous donnent des boutons qui ont la couleur brune sépia, que les effleurements d’adjectifs gonflent vos voiles et vos corps spongieux comme l’éponge se remplie de flots bleus et d'écumes.

S'ancrer au papier, s’encrer aux mots, mourir d’aimer ou d’écrire, c’est toujours s’écrier quelque chose !

C’est s’en crier d’un désir sensuel qui vous ronge les veines; d'un désir de vivre plus grand que tout !

Qu’ils soient érotiques ou vénériens, vénaux ou gratuits, les sangs non cesse d’être des sèves et les baisers des fleurs dans la lumière, sensuels comme la flore à fleur de peau et le déhanchement des lettres capiteuses.

Au renouveau, il faudrait s’écrire en toute « Liberté, Égalité, Sexualité », comme aurait dit l’auteur de Sexpol, Wilhelm Reich ; entre les lignes, les marges, au lit des feuillets, consigner ce qui vous passe par le corps ou l’esprit, dans un va-et-vient incessant, celui d'expressions plus ou moins justes, plus ou moins imagées, visant à apaiser les chairs en faisant du verbe ; c’est là tout le jeu des énergies qui circulent dans les claviers, les pinceaux, les plumes ou les Bics ; c’est un flot continu d'orgone qui se fait épanchement de l’être, au fil des organes, pour satisfaire la fonction même de l'orgasme textuel ; afin de devenir soi-même un champ de coquelicots agités par le chant des mots.

C’est fou ! C’est grand ! C’est littéralement parlant, comme deux crocus superposés à un regard qui contemple l’infini en train de s’écrire ; comme le parfum d'une fleur emportée au loin par un vent d’éternité.

Quand le renouveau est là, l’homme dans sa petitesse mesure toute la grandeur du ciel.

En lui et autour de lui, la nature est dans tous ses états et les bourgeons sur tous les étals ; c’est l’Ange du printemps qui survole les pommiers en fleurs.

Même que les feuilles des tables de bouquinistes bourgeonnent au soleil, et que les vitrines des libraires ainsi que mes propres étagères de livres empilés prennent une autre couleur. Aux murs des bibliothèques, les livres, les encyclopédies et les revues fleurissent gaiement au soleil.

Mais c’est beaucoup d’effort pour renaître, beaucoup de sève pour grandir ; beaucoup de sueur dans le dos et sur le front ; c’est beaucoup de lumière au zénith de mon corps énervé ; beaucoup de cris pour marquer l’équinoxe de mars ; beaucoup de couleurs variées, car c’est sa façon bariolée à lui, le printemps, de toujours s’imprimer comme sur un tissu d'espace pour exprimer l'amour.

De mon jardin jusqu’aux confins des étoiles, le corps est un arbre qui se dresse pour marcher, l’encre c’est la sève des poètes, et le 21, c’est l’éveil avec toute sa dramaturgie. Du théâtre des collines aux bruissements des arbres, c’est la scène ouverte à la lumière.

Voleur d’automne, puis d’hiver, sous les acclamations, le printemps lève le rideau ; il se fait décor, et les corps des amants se font et se défont dans des draps qui sentent bons le muguet et dans des lits tout en fleurs.

Ainsi, le printemps passe par tous les sens et par dessus le sens, il nous interpelle ! Il est là, à fleur de terre, il est arrivé, le beau printemps nouveau !

Je viens et je vais à lui, en lui, fébrile comme un adolescent qui découvre son bas-ventre en ses racines noueuses.

Au jardin, bienheureux, le poète se met à rêver d'une cascade ou d'un ruisseau en pleine forêt.

Je suis heureux ! Les caresses du soleil me font germer la peau et celles de tes mains engendrent de grands frissons tièdes.

Le trait comme un rai de lueur passe par tous les pores de notre chair, par tous les orifices, les béances de l’être, et toutes les ouvertures à la vie.

Les trous de l’être ne se satisfont pas du vide, il leur faut le remplir !

Autour de nous, les plantes font grise mine à l’hivernage terminé; mais dès le réveil, quand reviennent les rayons de bicyclette du soleil, elles font trois p’tits tours et puis s’en vont pétales, pédalant vers la lumière, en faisant leur crise de nerfs, leur trop d’humeur, de sèves et de verdeur.

Comme elles, dans un bel élan vers l’autre, je fleuri de partout je fleuri, heureux qui comme le lys se fait un beau printemps; je t’embrasse pour hydrater ta peau, et ainsi faire germer tes richesses cachées.

Regardez mon teint printanier, ma bonne mine de crayon à l’ouvrage, mes traits tirés à quatre bourgeons, mes nénuphars de contrefaçon, façon Monet ; c’est la saison des amours et des couleurs, et comme le caméléon je me décalque aux couleurs ambiantes, j’absorbe à pleines lèvres le boire et le manger de la belle saison, je jouis de ses effets bénéfiques sur la peau et les os, le sommeil, les relations, l’amour, la douceur de vivre, la douleur de survivre, et de ses ondes flatteuses comme la tendresse d’une mère, je bois le nectar le plus doux.

Tout autour de moi, respire la vie et confirme la parole du verbe "Aiimer", il est à la folie

« La Résurrection ; et qui croit en lui, même s’il meurt, vivra éternellement ! »

Oui, nous vivrons et survivrons tous à l’infini des renouveaux, des désordres, des grandes et des petites morts, dans ce Cosmos sans fin et sans commencement.

Le printemps luxuriant et toute la complexité d’un univers luxurieux l’affirment haut et ensoleillé ; car la fin, la mort ne sont qu’une illusion d’optique linéaire, comme le germe que l’hiver recouvre de son manteau blanc ; comme l’ombre de la lumière, la vie est là, pleine de ses sèves, comme un pansement sur nos plaies d’être ; pléthore de lumière intense, pour apaiser nos blessures et griffures des rosiers de l’existence.

Renoncule des jardins et tulipes enflammées ; en une seule calligraphie fleurie, j’ai en moi cette capacité d’écrire mes racines jusqu’aux terres profondes et jusqu’au plafond des frondaisons ; de me faire bulbes d’Iris de l’œil, jusqu’aux plus béatifiques visions ; et dans ma tête fiévreuse d’adolescent retardé, j’ai cette capacité de me faire accueil, de me dresser tige de jacinthe des bois, corps calleux et circonvolutions bulbeuses jusqu’aux reflets des narcisses nouveaux dans la splendeur de la Voie lactescente.

Avec la mélancolie des jardins perdus, je grimpe sur toi, telle la clématite en varappe de gros boutons, en chaleur de fièvre, en sentiments indescriptibles ; telles ces belles glycines qui cherchent l’éclat du jour dans l’ombrage, jusqu’au sabot de Vénus, je quête ainsi pas à pas, ta lumière parmi tous tes feuillages.

Vivace comme la fleur des Elfes, posant mes sales digitales sur ta belle peau nue, pour exprimer mon désir, j’imprime le sceau-de-Salomon de mon corps trop lourd sur ta fragile ossature de myosotis.

Je me métamorphose en azalée dans les allées moites de ton corps, dans tes méandres pleins de boutons de camélia ; me perdant à bout de souffle dans tes va-et-vient et tes allées et venues, tacitement convenues, tel un grossier rhododendron parmi tes parterres délicats.

(…)

Le printemps des poètes (extrait)

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