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Thinky Winky (1)
prose [ ]
Extrait du Pavillon des Anges

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par [Reumond ]

2012-03-01  |     | 



Vous souvenez-vous de La Nef des fous, ce célèbre tableau de Jérôme Bosch ; c’est une Huile qui autrefois faisait partie d'un triptyque. C’est une belle image, car quand on parle de fous il nous manque toujours plusieurs panneaux !

Mais où sont donc passés les autres, les tyques, l’éthique, l’Esprit saint, les parents pauvres, les oubliés, les toqués, les sages et les sains ?

Sont-ils dedans où bien dehors ?

Bien que tout cela soit arrivé près de chez moi, c’est sûrement aussi arrivé aussi près de chez vous, comme c’est arrivé un peu partout, comme survient un vent de folie dans nos branches trop mortes pour éveiller nos consciences et initier le mouvement si jamais il nous arrive de nous endormir sur nos richesses.

Mais où sont donc passés les Télétubbies ? Dans les collines, loin de chez nous ? Où dans nos maisons, sous nos lits, en nos propres têtes ?

Pour les voir, il nous faut avoir une âme d’enfant comme Arthur !

Ils sont pourtant partout autour de nous, partout en nous, main dans la main avec ceux que nous n’avons pas assez aimés.

1. Ici, au Pavillon, c’est l’heure des Télétubbies !
2. Jamais Arthur ne raterait son feuilleton préféré, il se précipite,
3. Se colle à l’écran, et
4. En bave d’aise,

« Hé ho ! » nous disent les Télétubbies, en guise de bonjour.
« Gentil nounou ! » crie Arthur, à qui veut bien le comprendre.

Car« Gentil nounou va tout nettoyer ! » nous dit-il, quand son verre tombe à terre, ou qu’il fait pipi dans son pyjama.

Car penser Wink comme Arthur n’est pas facile, et le clin d’œil que le monde des aliénés nous fait n’est pas à la portée de tous !

« Merci Nounou ! », dit-il à l’aspirateur,à la TV.

« Merci Nounou téléphone, merci Nounou lessiveuses…,

Car pour Arthur, tous les appareils électriques du pavillon sont des « Nounou », comme dans les Télétubbies.

En guise de Pavillon, les quatre personnages vivent à Télétubbyland. Ils sont très colorés comme des médicaments, et ils possèdent tous les quatre une télévision couleur sur le ventre, étrange récepteur qui leur permet de capter leurs émissions favorites, celles que les enfants préfèrent.

Arthur malgré ses vingt ans désire lui aussi qu’on lui greffe un écran, là où palpite la vie en lui, là où son cœur d’enfant fabrique des TubbyDélices à la fraise et grille des TubbiToasts au chocolat.

Comme eux, Arthur vit dans un dôme futuriste , sous une vieille couverture, qu’il nomme mon « Tubbydome à Moi », lieu de tous ses émois « Supertronic », situé au milieu de ses pensées, toutes peuplées de sapins plus verts que l’espérance, de fleurs qui sentent l’infirmière, d'oiseaux et de haut-parleurs dotés d’une parole qui semble sortir de terre.

Arthur n’aime pas du tout les épinards, ni la viande hachée, et à la place des brocolis qu’il recrache, il préfère se nourrir principalement de gros biscuits tout ronds qui ont un sourire de pâte à la place du cœur, et de cette sorte de barbotine rose qu’il associe au yoghourt aux fruits des bois.

« Dipsy, c’est un petit garçon, comme moi » affirme Arthur, avec insistance.

« Mon meilleur copain à moi c’est Tinky Winky ! C’est le plus fort, le plus grand, et dans son sac à main il a des tas de bonbons pour moi tout seul ! »

« Tu vois, Laa-Laa, c’est une fille, elle est toute jaune. » Il rigole.
« Elle a une petite antenne, en forme une boucle et aussi un gros ballon orange ».

« Po, c'est une fille aussi, c’est la plus petite, et elle est toute rouge comme une tomate. »

Mais ils ne sont pas tous là, puisqu’un jour au pays des Télétubbies un nouveau est apparu, c’était moi ! Pauvre de moi peut-être, mais riche d’eux !

Car si les signes extérieurs de richesse cachent de grandes pauvretés, les signes intérieurs de pauvreté cachent de grandes richesses !

C’est ainsi que, s’il y a un enfer pour ceux qui fréquentent les paradis fiscaux, il y a forcément quelque part un paradis pour ceux qui connaissent l’enfer, le Pays des Télétubbies !

Aujourd’hui j’en suis certain !

« Toi aussi tu as une petite trottinette bleue dans la tête »
Me demande Dipsy, alias Arthur,

« Bien sûr ! », je confirme de la tête, qu’il entende les roues, ainsi j’apaise l’angoisse qui trottinait en lui.

« Et ton antenne où qu’elle est ? »

« Elle est comment ? Comme un zizi ? »

Je ne peux retenir mon rire nerveux, oui, elle est comment mon antenne ? De quelle couleur ? De quelle texture de peau ?

À ma suite, Arthur se met à rire, et nous rions ensemble, le cercle de son antenne cerclée de fluorescence se met à nous éclairer ; c’est son aura, rien n’éclaire autant que l’aura des fous !

Comme Po je deviens tout rouge devant le regard les infirmiers qui nous observent « Scientifiquement ».

Voyez, Arthur est un surdoué de la voyelle, un voyeur né, né des relations sexuelles entre un pot de peinture et un dictionnaire des synonymes.

Arthur connait par cœur le poème « Voyelles », de son homonyme français ; au contact des pores de sa peau nue, il perçoit les couleurs comme d’autres se saisissent à pleines mains d’arc-en-ciel ; il voit les lettres distinctement ; discerne les voyelles crues et consomme même les consonnes cuites dans l’alphabet de sa soupe au vermicelle.

À noir, il s’agite, i rouge, cherche les points et les rais de lumière sur les murs ; vert, il traverse à croche-pied l’eau bleue et tous les "golfes d'ombre" ; car Arthur est un véritable voyant ; il est lui-même une voyelle qui crie sa délivrance virtuelle, sa « naissance latente », prisonnier qu’il est encore d’un « noir corset velu de mouche éclatante » ; mais il se métamorphosera un beau jour comme ces insectes noirs de noir

« Qui bombinent autour des puanteurs cruelles. »

Car Arthur a « la candeur des vapeurs et des tentes », la peau froide des glaciers, et « des frissons d'ombelles » ; le sang pourpre et chaud, craché derrière les grilles et « le rire de lèvres belles, dans la colère ou les ivresses pénitentes ».

Le sang pourpre d’Arthur lui fut donné par Merlin l’enchanteur « Dans le cycle des âges » et « Les vibrements divins des mers viriles. »

Autour des Télétubbies, c’est « la paix des pâtis » semés de fleurs et de lapins ; là où la paix « des rides que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux » des penseurs de rondins et des autistes surdoués.

Le pavillon des Anges est plein de cris d’enfants et « de stripeurs étranges », d’O., de suprême clairon, dans le silence traversé « Des Mondes et des Anges ».

Entre l’alpha de l’homme et l'Oméga de sa destinée, le rayon violet des yeux de bébé soleil.

Même si les infirmiers nous observent avec leurs périscopes, Arthur reste son propre narrateur !

Même l’odeur des urines ne semble pas les déranger, l'air de rien, les petits lapins fous, font des terriers dans les trous des matelas.
Quand Arthur n’est pas en forme, et que sa TV déprime, que décline le bébé soleil, la colline fleurie des Télétubbies laisse la place au Mont Chauve.

C’est alors le sabbat des sorcières de Nicolas Gogol qui met en jeu les pyjamas de l’angoisse dans un étrange désert ; c’est la marche nocturne de Moussorgski qui rassemble les lémures sur la montagne dégarnie d’amour ; c’est un grand poème qui met en scène la mort dans un vent de folie, comme dans une tragédie de William Shakespeare ; c’est une triste symphonie qui grince du violon pour tout l’orchestre des cris.

Mais quand sur l'autel des horloges psychiatriques, c'est l'heure des Télétubbies, tout revient à la vie, d’où respire la joie, l’enfance et l’innocence.

En fin de journée, quand la dernière goutte d’eau fut tombée des pommes de douches, et qu’une douce musique envahit progressivement les couloirs, pour apaiser les corps frustrés et les yeux hagards, que le soleil se soit couché sur les dortoirs…
Au pays des Télétubbies, le Mont Chauve s’éloigne, les enfants aliénés ne dorment pas encore, mais ils font bien semblant !
Dans leur lit, ils rêvent dans leur tête !

C’est l’heure de dire au revoir. Les pensionnaires vous saluent et vous crient « Gros câlins ! »

Mais ici, en dehors des rêves et des Télétubbies, il n’y a personne pour répondre aux demandes de tendresse, personne pour donner une apaisante caresse.

Et nous, sommes-nous prêts à vivre cette solidarité entre Télétubbies ?

À nous engager sur un chemin de cœur tracé par les Bisounours ?

Prêt à convertir notre regard ? À vivre concrètement l’humaniste jusqu’à la folie ?

Bonsoir !




(1) Thinky Winki est une altération de Tinky Winky et de Think Wink, pour signifier littéralement : « Pensez en clignant de l’œil ». En tant que slogan du Parti Populaire de l’Amérique de Gauche (PPAG), cette devise, bien qu’elle est soulevée quelques polémiques, nous invite avant tout, à ouvrir les yeux sur toutes les formes de rigidité religieuse, culturelle, sociale et politique. Tous les carcans de l'extrême droite à la gauche, sont en fait des "camisoles intellectuelles".

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