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Caïn portait des stigmates
prose [ ]
Le Pavillon des Anges (extrait)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
par [Reumond ]

2012-02-27  |     | 



illustration : Roland Reumond 2012




Il avait un regard sombre avec une larme de lumière tout au fond des yeux. Les infirmiers le nommaient « Caïn », à cause de ce dramatique accident volontaire, ou dans un moment de colère intense il avait tué son propre frère à coups de gros mots.

En l’écoutant, on ne savait jamais dire s'il riait à chaudes larmes ou s’il pleurait les éclats de tout son être fragmenté.

De son large front, de grosses gouttes de sueur perlaient comme exsude la lave des montagnes furieuses; son corps tout entier était encore comme sous l'effet des brulures de l’âme.

Autour de lui, comme un pesant cri de plomb, l'air des couloirs était lourd à mourir.

À bout de souffle, en un voyage sans fin tout au bout de la faille, entre les couleurs du papier crépon et le gouffre de ses angoisses sans fond, par le pouvoir de sa seule pensée, il circulait dans les corridors comme dans la gorge râpeuse d’un grand dragon chinois.

Autour de lui, tout était bon pour couper sa propre peau, accéder à la plaie comme à la chausse des coupures ; pour y percer le mystère des chairs douloureuses, et voir tout au-dedans des choses ce qui pouvait encore s’y cacher.

Comme un chef-d’œuvre qui s’écrit, en corrigeant ses anomalies, en lui tout est ratures, et chez lui tout était ritualisé, tout portait des notations obsessionnelles, des gerçures dessus la peau, des lézardes dessous le derme.

Car Caïn portait des stigmates comme un signe distinctif.

Comme Saint Augustin, il se confesse devant les psychiatres, de fouler des chemins tapissés de carrés blancs et noirs, comme on se roule sur un tapis de dallages trop froids, en évitant tous les coins.

Il répond semble-t-il au Tao de la voix et à la voie des esprits cachés à l’abri des méninges ; vous savez, là où les pensées pures fleurissent les mots d’amour ou de haine, selon, avec leurs multiples sonorités de cristal ou de gong, de verre irisé aux couleurs variées de l’arc-en-miel.

Il se tracasse, il a selon ses dires, des ganglions qui renferment les annales du temps. Comme chez les grands poètes, ce sont, dit-il, les résumés de sa propre quête et toutes ses chroniques corporelles.

Il cherche, et qui cherche trouve, comme la voyante découvre le passé dans la carte du ciel et l’avenir incertain dans les lames du tarot.

Il court après les ombres en de redoutables échappées, il fugue en quête de quelque chose, il mendie, comme le cliché noir cherche son pendant blanc ; comme l’enfant cherche à rassembler les morceaux épars de son image fragmentée dans le miroir brisé ; comme la couleur primaire cherche sa complémentaire.

Il est pâle comme la pleine lune quand elle quête son reflet d’argent dans un étang trop glauque ; comme l’étant du philosophe prospecte les circuits imprimés de la sagesse ; et comme le psychologue analyse les états de l’âme dans les tiroirs du rêve et les états d’esprit dans la crue des humeurs.

Il est tout éclaté, comme le je, le soi, le moi dans le trou noir des béances mortifères. Mais entre nous, dans ses éparpillements, que cherche-t-il vraiment ?

Quel or, quelles perles rares, quelle Arche sacrée recherche-t-il ?

Comme les enfants aiment rassembler autour d’eux la famille, il ramasse les fragments éparpillés des cris qui fusent de toute part, et recueille les rêves tombés à terre, pour un faire un patchwork d’idées fixes.

Il est comme le mystique solitaire à l’épreuve du désert ?

Peut-être veut-il retrouver les passages secrets, les oubliettes perdues du mauvais temps, celui qui bouffe nos chairs au prix des rides et des ridules d’efforts, pour libérer son esprit des démons anthropophages et des succubes en blouses blanches.

Mais qu’importent les blouses blanches des infirmiers de l’aurore, les cheveux gris et les os blancs des hystériques défunts, de tous ceux qui brûlent de la flamme du fou inconnu ; qu’importe les cris d’animaux, les ombres fuyantes, les clowns blêmes et les clones tristes dans un monde égaré, puisqu’un jour nous serons tous fous d’amour !

En ce temps là, après la pluie, les beaux jours reviendront ; au zénith on pourra cueillir le soleil dans le feu rouge de ses rayons.

Alors, avec les aliénés les plus légers de cœur, les plus pauvres d’esprit, je me laisserais dissoudre à mon tour et emporter comme une plume au vent, pour écrire la vie et décrire la chose, en gloussant au ciel avec mon propre sourire d’Ange.

(…)

Le Pavillon des Anges (extrait)

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