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■ L'hiver
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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2012-02-22 | |
illustration : Labyrinthe cérébral, composition Roland REUMOND 2012
J’ai beau dire et lire à pleine voix les chemins qui filent de toute part ; j’ai beau hurler à l’aide dans les couloirs cauchemardesques du Pavillon, et crier dans le parlophone de la célèbre « épreuve du gueuloir », Rien ne semble se passer, et pourtant tout passe ! La vie, l’amour et même la mort ! De regard d’Anges, vu de là haut, en passant par les outils de Google Maps, le monde se présente sous une forme pure, très carrée, linéaire à souhait, en de grandes lignes croisées qui sont celles d’un grand labyrinthe qu’il nous reste à traverser. Derrière la radio, la télévision, dans les méandres du Monde, c’est la Grande Croisade pour lobotomiser toutes les différences. Comment pouvons-nous croire encore, naïvement, à tous ces chemins fous qui nous parcourent comme de grands frissons tièdes, espérer encore en ces grands couloirs ventaux qui nous passent par la tête et traversent notre corps comme des électrochocs ? Comment « certifier conforme » tout ce que nous croyons entendre et voir de nos propres vœux ? Et pourquoi dans cet immense champ de tous les possibles, entre ciel et terre, immergé dans un panoramique à 360° d’horizon, semblons-nous être si sûrs de nos propres choix en privilégiant quelques degrés d’aventure ? Par expérience, que savez-vous du « Lieu » ? Au fil d’Ariane et des preuves éprouvées dans la chair, au fil de nos réflexions et affirmations distillées dans l’athanor des épreuves ; comme suspendu entre le vide de passé et celui de l’avenir, chacun de nous construit sa vie sur ses manques comme avec un Lego, Quels sont les tenants et les aboutissants du Labyrinthe ? Et que savons-nous d’assez personnel, c’est-à -dire sur base de notre propre vécu, du caractère qualitatif et quantitatif des dédales ? Que savons-nous du contexte même de Labyrinthe, de sa symbolique sacrée ? Des proportions réelles des structures et des institutions labyrinthiques qui nous surveillent, nous enregistrent, nous débitent, nous emballent et nous consomment ? Les agencements des chambres et des couloirs, ne sont-ils que des aménagements fondés sur « La préfabrication des aires corticales » ? Dès nos origines, ne sommes-nous pas déjà connotés, configurés en profondeur dans nos cellules, scolairement imprégnés sur nos rétines, prénotés par les autres, préfigurés par la famille, préfabriqués socialement, registrés en enregistrés par la culture ? Les gardiens du Château, les Maîtres du Procès, selon l’expérience même de Franz Kafka, n’ont-ils pas pour mission de nous simplifier la vie, de nous donner quelque bonheur ? Oui semble-t-il ! C’est en tout cas ce qu’affirment tous les garants de l’ordre. Là où la bureautique renouvelle la bureaucratie, tout va de plus en plus vite, dans le simple but de nous distraire ; mais avons-nous les bons réflexes de consommateurs ? Ou somment-nous encore un peu réfractaire au Très Saint Progrès ? Si comme moi vous avez encore cette obsession des couloirs, des rayons de magasin, et le dégoût profond de la surconsommation ; s’il vous arrive d’avoir des hallucinations de rue ou devant la TV, alors, c’est que vous n’êtes pas encore disposé à vivre dans la matrice, à vous régaler de l’atmosphère hallucinante des lieux, à jouir du dévoiement sinistre des couloirs, du dévoilement des conditions avantageuses, TVA comprise ; à vous branler d’aise devant la présence impersonnelle et cauchemardesque des individus sans identité, et sans moi réel. Car dans cet univers de mondialisation, il n’y a personne dans le champ des non-dits ! Pas un citoyen, pas un chat, rien que des rats qui font la loi ! C’est un parfait reflet d’une mondialisation qui gomme tout l’être au bénéfice de la virtualité des actions et de l’or. C’est une croissance qui se gave de néant, de désirs et des visions sans consistance. Une incarnation de non-être. Les longs couloirs râpeux ne visent-ils pas à niveler les cerveaux et à éradiquer les différences ? N’oubliez pas ! Pauvres, riches, débiles ou savants…, nous ne savons pas vraiment qui est derrière les murs ou au bout d’un couloir ; qui dirige et tire les ficelles, qui programme, qui est sur le chemin ou derrière les masques, qui est dans les flashs et qui est dans l’ombre ? Borderline ou underground, génie ou fou, qu’en est-il réellement des niveaux hiérarchiques du labyrinthe, des conflits et des enjeux entre l’en-dedans intériorisé et l’en-dehors causal, local, duel, linéaire … ? À l’image de nos boîtes noires privées, de nos disques durs très personnels, de nos fichiers et dossiers particuliers, toutes ces configurations intérieures sont-elles proportionnées à nos propensions cérébrales et proportionnelles aux lieux labyrinthiques qui nous sont extérieurs ? Comment pouvez-vous imaginer que nos circonvolutions cérébrales, toutes en courbes et en douceur, sont comme les structures rectilignes des blocs d’habitations New Yorkaises ou Parisiennes ; qu’elles fonctionnent comme des Skinner box avec leurs distributeurs de plaisirs, qu’elles opèrent comme des Skinner room cybernétiques, des skins informatiques, des senseurs épidermiques pleins de capteurs muqueux, avec leurs parloirs, gueuloir et cloisons pleines de boutons lumineux. Que nos appartements proposent à nos doubles hémisphères, à nos sens et à nos extrémités sensibles, des pédales interactives, des leviers et des volants pour tester nos capacités d’homo-sapiens ou de pigeons de la vie, pour adapter nos conditionnements aux environnements. Opérants leurs dressing à bien-être et leurs vitrines à bonheur, au long des fils électriques de la domotique qui se substituent au fil d’Ariane. (…) Partout, en tout temps, en tous lieux, on enregistre de long en large nos journées sur Facebook, sur You tube, on grave nos vies sur DVD, on les scanne sous toutes les coutures. Suis-je encore tout à fait déterminé ou encore un peu déviant ? Mes propres réponses sont-elles plus ou moins adaptées au QCM, aux dimensions des tiroirs, des couloirs, aux étiquettes, aux articles de la quatrième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM), à la Classification Internationale des Maladies (CIM), au test de Szondi, aux réponses aux tâches du test de Rorschach ? (...) Passer au vert, répondre à la sonnerie du GSM, suivre la voix de femme du GPS, appuyer trois fois sur un levier, mais uniquement lorsqu'un son aigu a été précédé d'une lumière rouge ou verte. La Skinner Box est en quelque sorte un prolongement des Labyrinthes que la société peut créer, pour renforcer les appartenances sociales, les imprégnations culturelles, par le jeu varié des stimuli renforçateurs de bons comportements. Publicités, grandes surfaces, frigo américain, cuisine équipée pour nos achats et pour nos prises de nourriture. Du lever au coucher, nous sommes connectés, interconnectés, comme des animaux de laboratoire, des bêtes hallucinées d’oratoire ; des cobayes délirants engagés dans les essais économiques d’un tout grand protocole dédalien. (…) Dans les appartements du Minotaure, les écrans de téléviseurs de Skinner se font de plus en plus plats. Entre renforcement positif et bombardements de téléréalité, il faut s’adapter aux longs couloirs en enfilades, avec des tiroirs à l’anglaise, des boîtes à la française, des rêves américains. Autour de nous, des LED économiques et « écologiques » en nous donnant bonne conscience, repensent les ombres et éclairent la vie sur de nouveaux plans de travail. Dans le labyrinthe, la tendance générale des électroménagers semi-professionnels et des appareils est de penser à notre place ! La lumière d’ambiance illumine la grande histoire de notre bonheur ! Les corridors hallucinatoires du Pavillon des Anges, les chambres cybernétiques, sont façonnés comme des métaphores du corps humain et comme des allégories de la grande ville ; ils se déploient telles ces araignées de bétons qui développent leurs districts, leurs quartiers de chair, en de labyrinthiques mégalopoles anxiogènes à la folie. Le labyrinthe et ses passagers subissent des transformations démentes, c’est la Métamorphose ! Un semblant de métanoïa avec ses moments de lucidité, de panique et d’illusions, ses corridors of fear... Les passagers sont égarés au pied de ces buildings de dupes, engagé sans retour dans des streets de stress, des paths pathogènes, pleins d’inventions anachroniques, mêlant notre histoire passée à nos projets virtuels. Cherchant son chemin, soi-même lithographié au trait de caractère, comme perdu au cœur d’une gravure et de Maurits Cornelis Escher. Entre le « Nous » et le vrai « Moi », nous nous construisons tous un univers labyrinthique, plus ou moins complexe. C’est par de nombreux détours, et par un long chemin de traverse au travers d’un dédale autant corporel que social, que la lumière du vrai « Moi » prend chair tout au bout du tunnel. (…) En un métalangage imagé, sous forme de métaphores où les mots comme les maux ne disent en fait qu’une réalité hallucinée. En restant dans le doute, en lisant ceci, vous prenez une immense responsabilité, vous vous faites les témoins circonspects d’un combat bien injuste et incertain. Alors que les corridors du toréador conviennent fort bien aux chasseurs de taureaux en furie, les couloirs de l’asile n’ont aucun rapport caudal et aucun lien causal avec le Minotaure. (…) Aux tracés sinueux de nos scissures grises, celles qui traversent nos circonvolutions cérébrales, répondent les figures des cités, comme les pulsations, l’écho des artères, se croisent dans la grande ville ? Comme les mots croisés s’entrecroisent par nécessité mathématiques, les quidams d’ici dedans, réduits à leur plus simple expression de « patient en psychiatrie », déambulent avec précision dans les couloirs du temps, et avec persévérance avance dans les boyaux rectilignes et linéaires de la condition humaine. Là où plane l’ombre du Minotaure, dans l’espace inexploré des recoins et des angles mort qui transpirent le cadavre ambulant, les quidams d’ici dedans, toujours prompts à matérialiser leurs phantasmes les plus crus, à incarner leurs mythes préférés, enveloppent leur corps mythique dans des draps métaphoriques et des métamorphoses animales que les gardiens du temple nomment des symptômes. Aux névroses de couloirs, partout répond l’hystérie des couloirs, aux méandres des maux réplique le méandre des cris. Ce que vous entendez, c’est l’écho des réverbérations criardes contre les surfaces planes et moites des renfoncements, ou bien la réfraction des chairs blessées contre les saillies contondantes des reliefs. Si vous percevez ces bruits, c’est que vous êtes déjà avec moi aux portes du labyrinthe ! L’espace-temps ici, n’a pas la même nature qu’a l’extérieur du labyrinthe ! À l’instar du temps qui n’a sa raison d’être qu’en se coulant dans l’espace, la part d’illusion, c’est-à -dire de mirage, n’a de sens que dans sa part de vérité, c’est le miracle ! Entre les farces et attrapes des lieux, les casse-tête et les oubliettes du temps, comme un cri vagabond, les patients peuvent voyager, passeurs passants, l’air de rien, fantômes flous dans le carré des aliénés, comme poussés par un vent de folie, comme brisé comme un vertige sans fond, dans les biais alambiqués des couloirs noueux. Réduit dans leurs plus simple appareil, à un unique symptôme, soumis aux gémonies des neuroleptiques, cloîtrés dans leurs isoloirs, attachés à leur lit, lobotomisés par outrance, reliés entre eux par un fil d’Ariane invisible, celui de la folie, les affamés de visions, les humiliés du souffle comme disent les livres Saints, les faibles, les pauvres et les petits semblent attendre. Mais rien ne peut les empêcher de voyager à l’intérieur d’eux-mêmes, rien ne peut les freiner dans leur quête de sens, rien en dehors d’eux ne peut les camisoler au-dedans ! Ici-bas, dans les bas-fonds psychiatriques, tous les couloirs bout à bout s’emboitent comme dans un puzzle fou, comme s’accouplent les corps des amants, comme s’aboutent les mains sanguinolentes aux rames d’une galère, ici tout s’assemble et tout se ressemble, c’est le mimétisme propre au labyrinthe qui donne la couleur à l’espace et le rythme au temps. Patients ou pas, il faut se laisser prendre par l’appel, ramer et se laisser emporter par la quête même, s’abandonner aux goulets de ses peurs, comme aspirés comme dans un gouffre de solitude. Oui, avancer au labyrinthe des incertitudes ; passer l’arachnoïde est sa porte secrète, se glisser entre les corps calleux avec son corps callé, comme dans un détroit trop étroit ; de lobe en cloison, de nerfs en couloir, de voûte en valvule, les méninges congestionnées par l’effort, ou ramollies par la faiblesse, pour en arriver enfin à l’ouverture même du labyrinthe. Là où il est écrit en écriture oraculaire : Départ. On pourrait se croire dans un jeu de Monopoly, avec sa prison et sa banque de médicaments, mais nous sommes dans l’hôtel même du Minotaure. Oui, c’est bien là que rôdent les apparences d’une monstruosité sans nom. Les appartements du Minotaure ont la structure d’un corps tourmenté, la chair nue et le muscle vif. La bête a le sang aux lèvres comme un raz de marée, les yeux convulsés comme des phares rouges pour percer le brouillard de la nuit ; des naseaux fumants comme ces grandes usines sidérurgiques de Seraing ; une gueule famélique, grande comme le gouffre d’un volcan ou d’un trou noir. Le Minotaure a un appendice prodigieux pour ensemencer les têtes fragiles, un poitrail pour meugler jusqu’aux confins d’asiles, et des griffes pareilles à des récifs de corail ; un appétit d’ogre, avec une appétence toute particulière pour tous les rêves d’Ange. Du bœuf, il n’a que la respiration, une forte haleine fétide, une salive rance qui ronge les tuyauteries et se dépose en humidité acide tout au bas des murs sales. Le Minotaure est ici chez lui, il est le roi de la pénombre et des ombres ignobles ; sa bave laisse des traces glauques sur le carrelage froid. Son grand corps d’homme fait illusion, une illusion de plus dans le tout le paysage ; et sa figure d’hydrocéphale n’a du taureau que l’unique corne phallique qu’il possède depuis la nuit des tempes et qu’il dresse à chaque rencontre, comme un sceptre pour féconder le ciel. Mi-figue mi raison, entre le mirage et le miracle, il y a bien sûr les Miraclettes ! Ici, il y en a de toutes les couleurs, et de toutes les formes. Et plus j’avance et moins je le reconnais ! Le cube du pavillon semble tourner sur lui-même sans attendre que je trouve un semblant d’équilibre. C’est un lieu très virtuel où les couloirs se tournent comme les pages d’une bande dessinée ; un lieu qui se déroule comme les chroniques du temps, qui fascine par ses escaliers, ses multiples paliers, des étages qui se disposent comme des images dans le rêve le plus fou. Ici, on ne peut mettre en boîte par ordre numérique et alphabétique les perspectives de l’infini. À peine le temps de comprendre et un nouveau couloir s’ouvre devant vous ! Le long des murs, il y a l’absence que je réalise et la présence que j’hallucine ; les zones d’ombres délicates qui déterminent les silhouettes spectrales qui passent d’un couloir à un autre, et celles qui déterminent les formes plus ou moins mouvantes et agissantes des infirmiers. C’est là qu’il nous faut dépasser toutes nos zoopsies pour suivre les rats qui filent de partout, il faut les coller, car de leurs ratières, ils connaissent par cœur les chemins des labyrinthes pour les avoir fréquentés en des laboratoires secrets. Dans cette boîte à malices, ils sont des animaux de compagnie. Habitués des cages, les rats épileptiques sautent plus vite que les effets d’optiques, ils grimpent aux murs comme des peintures à l’huile, traversent l’espace à queue levée, car nul délirium ne peut les ralentir ! Au cœur de labyrinthe, avec des territoires qui n’ont aucune carte, et des graffitis aux murs qui n’ont pas de concordance, ils sont impraticables ces couloirs globuleux, ces torsions de corridor qui n’ont de correspondance que nos propres tensions, nos peurs les plus viscérales. En plongée ou en contre plongée, le labyrinthe se creuse et se perd en perspective comme en un dessin d’Escher. En longs escaliers qui sont des coulées de marches comme des raz de peintures, en paliers successifs, en lieux où la fonction délirante rejoint le hasard des fonctions désirantes ; tous les chemins mènent à des portes closes ! Face à des multitudes d’options, de choix dramatiques, de constructions psychiques, voyager ici-clos n’est pas une sinécure ! En réalité, c’est du sens, de l’effroi, des blessures ; c’est l’abîme des cages d’escalier, l’enfer des émotions, des aveuglements ; ce sont des portes fermées, des cauchemars de maniaques ; c’est du sur place, une impression d’être noué à vos propres entrailles et collé au sol par une force plus forte que l’hallucination la plus lourde. Ce sont sans cesse des cas de figure qui reproduisent les mêmes erreurs, passent les mêmes portes, sillonnent les mêmes couloirs ; des cas qui par nécessité ou hasard, manque ou besoin, se cognent aux mêmes murs, pour enfanter des passages, pénétrer des boyaux nouveaux, toujours par essai en reproduisant toujours les mêmes méprises réflexes. Quand casse le fil d’Ariane, sur le non-chemin des vides dépeuplés, c’est le doute, le moment de retour de flamme avec ses vieux démons, le moment des combats hasardeux avec soi-même, des petites avancées et de grandes fuites, des petits défis et de grands dénis, des va-et-vient à travers l’insupportable. C’est le lieu des allées mal venues et des venues solitaires et orgueilleuses des Stalkers courageux, mais aussi le lieu saint des pauvres pèlerins en route. C’est l’intérieur d’un labyrinthe de merde dans un espace de merde, avec ses allées, ses croisements pervers, ses fourches qui ne supportent aucun départ, aucune arrivée ; des promenades de prison qui ne supposent aucun ajustement ; des inversions, des retournements non balisés, et des perversions fantasques qui paraissent se noyer dans l’espace vague, dans le bruit des vagues et les fous flous des pyjamas de coton. Dans l’inconnu, les murs sont toujours trompeurs et inquiétants, ils restent sans perspective ; alors, il vous faut sans netteté aucune et sans honnêteté certaine avancer un peu et souvent reculer beaucoup ! Ici, les dédoublements de personnalité sont comme des divisions de couloirs. Étroits, sombres ou trop éclairés, ils restent des chemins de traverse. Le quidam doit sans arrêt contourner les obstacles, se retourner pour surveiller ses arrières, percevoir horizontalement et verticalement la détresse environnante ; inverser le sens, les couleurs, pour retrouver son chemin, parce que les surfaces déprimées et les plafonds comprimés conduisent toujours sur de fausses pistes ! Quand l’espace est dépressif, le temps souffre de neurasthénie ! Entre les boulimiques et les anorexiques, tout est une question de structure labyrinthique ! Les voraces veulent et volent de la place aux autres, alors que celui qui perd l’appétit perd sa place. Comme le spleen comble le vide et que le cri crève l’abcès, avec l’intention, de se laisser guider par les plinthes, de longer les murs, de passer les chambranles en changeant de couloir ; ou de suivre avec attention le son des plaintes, jusqu’en la cavité des gorges qui les poussent hors d’elles en des exorcismes libérateurs. Ici, pas de no man’s land, pas d’aire de repos, tout bouge, tout conspire, tout prend de l’ampleur, tout va de mal en pis ; il faut rester sur les dents, demeurer sur ses gardes, crispée comme une bête aux abois. Autour de moi, il y a des déplacements brutaux et des coups de vent légers, qu’il me semble percevoir comme sur un fond de vide, des jeux de lumière artificielle ; il y a dans l’air ambiant des sons d’accordéons et de bal musette, une odeur de vanille qui vous vient des ailleurs ; un goût de madeleine moisie, un semblant de roman ; mais il faut avancer, sans trop penser, coûte que goutte au Baxter des chemins, car nul labyrinthe ne supporte les arrêts, comme un chemin de croix se fige, froid, dans l’attente de sa prochaine station ; il faut errer délirer pour dévider le fil rouge dans les contours flous, divaguer à la lisière des réalités imprécises ; et se terrer d’un poste frontière à un autre, avant de percevoir un sas de passage, dans des zones d’ombres indécises, où clignotent des lumières indicibles, des phantasmes qui frisent le réel avec un zeste d’imaginaire. C’est l’hallucinose journalière, le pain quotidien que l’on prend pour témoin, la vessie qui vous souille les lanternes ; c’est la vie délirante qui vous fait tourner la tête au labyrinthe circulaire des grands maux de cœur. Les pensées contiennent toujours de ces zones d’incertitude, de ces liens frontières, de ces états limites où le doute souvent s’installe comme le pique-assiette ou comme l’ennemi du bien, hors les murs. C’est dans ces couloirs-là , que le manque prend chair pour vous rappeler que vous n’êtes pas que de purs esprits, et qu’il vous faut cheminer à genoux s’il le faut, comme des pèlerins. C’est là même, la plaine de jeux des maux que les cris et les mots tentent de dissimuler ; c’est là le terrain d’aventure des arts ; c’est là le champ même de l’hallucinose banale ! De la distillation des sucs de jouvence, à l’inspiration qui nous amuse parce qu’elle vient des muses, ou commence vraiment l’hallucination et où se termine-t-elle ? Où sont l’entrée du passage, le dilemme, et la sortie de l’impasse ? Quels sont les thèmes et les thèses, qu’elles sont les antithèses, les synthèses et surtout les prothèses qui nous permettent de survivre à la vie ? Quand Jérôme Bosch peint L'extraction de la pierre de la folie de l’hypothalamus du temps, que veut-il peindre vraiment sur cet espace local et margé baptisé toile ou panneau ? Que de questions ! Mais le labyrinthe n’est-il pas le « Lieu » privilégié de toutes les interrogations, de toutes les spéculations ? Celui des calculs, des pronostics, des enjeux, en rapport avec la transmutation de la pensée en or, avec le perfectionnement des âmes, de l’extraction de la pierre philosophale, l’alambiquage de la matière grise et des humeurs nauséabondes, et cela va de soi, de la distillation même de l’essence subtile de l’amour. Avant de m’aventurer dans le labyrinthe des fous, de franchir les galeries cauchemardesques du Pavillon, j’ai bien sûr pris le temps de consulter mes archives, de vider tous mes tiroirs, j’ai lu et relu des revues spécialisées et des livres par milliers ; j’ai interrogé Internet, mes box à neurone, mes fiches, mes boîtes noires pleines d’idées lumineuses, jusqu’aux alcôves de mes propres névroses. J’ai vidé, une à une, mes cellules capitonnées, fouillé les inconnues en long et en large, des pieds à la tête. J’ai parcouru les couloirs à délires, retourné les cubes et les compartiments à tiroirs écervelés, déballé les paquets-cadeaux recouverts d’une triple couche de méninges. Retournant les cassiers et les cases cérébrales, j’ai trié les morceaux de lobes formolés, et toutes mes boîtes de Skinner ; interrogeant les encéphales des plus sages et sondant les circonvolutions les plus savantes ; j’ai disséqué la matière blanche et autopsié les bulbes rachidiens des mystiques, les cerveaux les plus limbiques et la matière la plus reptilienne, mais tout cela en vain ! Car c’est chez les plus fous que j’ai trouvé un peu de sagesse ! Mais, chez les uns comme chez les autres, plus ou moins fou je n’ai trouvé nulle trace de « la conscience » ; aujourd’hui, je peux en déduire qu’elle seule n’est pas aliénable, qu’elle reste libre de circuler, comme « Une pure hallucination ». Vous connaissez tous ces petits chemins hypnagogiques qui s’ouvrent devant vous, s’écartent au moment de vous commencez à vous endormir ; de ces douces hallucinations qui vous portent à bras le corps sur des nuages moelleux, et vous préparent aux rêves les plus paradoxaux, tracent la route courbe d’un sommeil des plus profond, comme la charrue retourne le sol et prépare le sillon. Mais il y a aussi, à votre réveil, ces petits sentiers hypnopompiques qui vous sortent de l’ornière des cauchemars, et ouvrent les portes de la chaussée du jour, afin de terminer votre nuit en beauté, comme une levée de brouillard dégage la route, la libère des nuées pour vous permettre de marcher en pleine visibilité. Ce qui déclenche le processus hallucinatoire dont nous parlons ici est d’un ordre différent ! C’est ici que l’écriture semblerait avoir trouvé dans l’encre même ses vertus hallucinogènes. L’hallucination est-elle intérieure ou extérieure à l’homme ? Les fausses perceptions et les interprétations erronées qui nous empoissent la vie, ne sont-elles que des erreurs, des impressions, des illusions visuelles et auditives qui sans cesse nous compliquent la vie et la communication ? Cette vision que je vois, cette voie qui s’ouvre à moi, ce que j’aperçois Qu’est-ce que c’est en fait ! Ne serait-ce pas le fantôme de ma propre perception ? Ce sentiment quelconque qui m’habite ; cette apparition soudaine qui me surprend dans mon sommeil ; ce bruit que j’oie, cette voix que je perçois entre deux impressions au-dessus de quelques émotions perdues à la dérive de quelques visions floues, que j’interprète par ouï-dire ou par non-dit, sont-ils de l’essence du rêve ou de l’illusion en soi ? Vu et entendu que nous ne discernons pas la même chose, qu’en est-il pour vous et qu’en reste-t-il pour moi de notre réalité ? Le sujet sans raison n’est pas une raison sans sujet, et le sujet pensant n’a-t-il pas une raison déraisonnante pour mieux percer les mystères les plus insondables ? Car ce qui est caché aux sages et aux savants reste visible pour les petits-enfants, les mêmes que ceux qui sourient aux Anges. Et qu’en est-il de la vision des anges qui jouent avec les pauvres en esprit et parlent à tous les temps de l’infini aux prophètes d’ici ? Les hallucinations peuvent toucher tous nos sens, la vue bien sûre, l’ouïe et l’odorat certainement, mais aussi le toucher et le goût ; elles sont partout présentes, et même là où j’hallucine l’absence, tout est hallucination ! (…) Sur le mur, il est écrit l’équation : Corps et graphie = Labyrinthe Alors que les rapports entre les corps se posent et se disposent en termes d’attrait et d’attraction, de concret et d’abstraction, de demandes, d’attente, de désir… La relation entre le corps et la graphie se fonde sur le trait, sur une suite logique de lignes, de séquences, d’ensembles dans des systèmes plus grands, et d’enchaînement de lieux clos, de circuits ouverts ou fermés, de zéro ou 1, d’ouverture béante, de port entrebâillé ou de porte entrouverte… C’est binaire, c’est comme dans le langage codé des ordinateurs et comme dans nos cellules, c’est oui ou non, pas de réponse de Normand possible ! C’est un ou zéro ; il n’y a pas d’alternative - soit vous butez, soit vous passez ! Entre les ouvertures plausibles, les portes probables, l’accès ne dit pas l’issue, l’entrée ne préfigure pas une éventuelle sortie, les couloirs restent des bouches closes sur des dents acérées. Il faut donc les prendre au sérieux ! Toutes les portes, tous les couloirs, sont des issues qui peuvent être fatales, elles ne sont donc jamais relatives, Il n’y a pas mille possibilités, il ne reste que deux états « Impossibles » : vivre ou mourir ; deux unités « irréalisables » en un jeu des plus cruel, mettant en relation, en contact et en opposition les deux éléments, d’où le terme de « duel », et de dualité qui en découle. Ouvert ou fermé, blanc ou noir, en ses deux aspects, soit vous allez droit dans le mur, c’est l’impasse ou le cul-de-sac ; soit, vous passez, pour plus tard trépasser… Mais, tout comme la schizophrénie, les névroses et les psychoses sont des chemins de traverse différents, sages ou fous, l’essentiel n’est-il pas pour nous tous de gagner la sortie du labyrinthe, c’est-à -dire, en d’autres mots, l’essentiel n’est-il pas de se perdre pour se gagner soi-même. (…) Pourquoi mon traducteur, traduit-il « Labyrinthe cérébral » par « error cerebrum » ? Car entre-nous, de quelle horreur suis-je l’objet de dérision, et de quelle erreur de la nature suis-je le fruit blet ? De quelle monstruosité ou de quelle aberration mon petit cerveau est-il le témoin gratifié ? En quoi, ma main gauche, sous perfusion, est-elle conjuguée par l’enchevêtrement des mots, sujette de la litanie des maux à laquelle répond la litanie des morts passés, présents et à venir ? Et en quoi, dites-moi, mon pauvre corps tout entier est-il l’objet d’une multitude d’expériences spatio-temporelles et métaphysiques ? Partout, les poils roux et gluant du Minotaure me collent aux yeux et sur la langue. Ils sont comme des idées fixes et de noires pensées, de la glu froide mélangée à la moelle épinière. Quelle est cette encre cérébro-spinale qui coule comme de longs vers le long de mon stylo, pour s'écrire en d’impossibles proses ; comme s’épanche un liquide céphalo-rachidien au-dedans des couloirs des heures, comme se répand la vie ou la synovie dans les articulations de l’espace-temps, entre les marges trop étroites du papier trop cru ? De quelle toile de Maître fou, de quelles villosités arachnoïdiennes, suis-je le témoin et le modèle, posant nu des pieds à la tête pour être dépeint par quelques aliénistes en liberté surveillée ? (...) La mort n’est pas à court d’idées et le labyrinthe à court de couloirs ! Dans cette course d’endurance, je ne fais évidemment pas le poids ! Alors, faute de solution, je recherche les problèmes, je questionne les recoins du Palais de Minos, là même où je suis divisé dans ma double nature, humaine et animale. Au fil d’Éliane mon épouse, je me tiens à l’amour. Toutes les difficultés du parcours ne me font pas peur, elles m’effraient véritablement ! Dans l’entrecroisement, des morts qui grincent et des portes qui claquent, des multiples chemins parcourus en soixante années, et dans la perspective infinie des couloirs qu’il me reste à parcourir pour me trouver face à face à moi-même, je préserve mon souffle, je pose mon siège sur un banc, je pratique l’écriture pour me reposer là , au seuil d’une nouvelle page blanche... (…) J’observe Marc, étalant sa confiture aux fruits des bois, sur la table blanche, avec ses mains d’artiste indépendant ; je considère Alain, dans sa quête d’absolu, quand il scrute avec ravissement et grands bruits le ciel à travers les volets clos ; je vois l’être en émoi, j’entends le cri nu dévêtu de tout orgueil ; et Claude, caché sous son banc, comme Noé dans son Arche, pouffant au nez des médecins. Ils ne font rien de ce qu’on attend d’eux, car ils sont sans attentes et rendent bien ridicules les nôtres ! Ils n’ont rien à faire et rien à dire de notre reconnaissance, ils sont simplement là , couchés dans le moment présent, tout comme le temps sans fin fait son lit de l’espace épandu. (…) Sur le mur, c’est le chef-d'œuvre de ses mains et celui de ses blessures vives - c’est la main de son œuvre – la main-d'œuvre qui se fait stigmate tout en longueur, et la cicatrice qui s’ouvre au vent pour laisser son empreindre incarnate, étirée comme la queue d’une comète de plasma. Le grand Francis Bacon disait « L’odeur du sang humain ne me quitte pas des yeux » A l'instar du peintre britannique, Paul, derrière son visage d’Ange torturé, quand il ne regarde pas ses mains meurtries durant des heures, du bout de ses phalanges ensanglantées, trace de grands traits courbes, rouges sur fond jaune. Il se tague et se targue même d’être créateur, car il est son encre propre ; et comme Narcisse, il s’expose en modèle préféré, il est son propre support de peau ! En graffitis plus ou moins obscènes, il se peint une vie à la couleur d’albumine, pour compenser sa pâleur d’enfant maladif. C’est toute la violence institutionnelle, la cruauté du monde et toute la tragédie de la chair torturée qui s’expriment à travers lui, il en est, dans tous les courants d’air, le drapeau cramoisi. Chaque dimanche, au jour des offices, à l'heure des rituels, son œuvre au rouge se déploie comme un signe des temps, en grands polyptyques de couloirs, mettant en mouvement ses mains comme une chorégraphie, pour mettre en scène sa vie telle une scénographie, par le biais pictural, en une majestueuse calligraphie, que ses admiratrices, ces courageuses techniciennes des surfaces crottées, on bien du mal à récurer. (…) Le Pavillon des Anges (extraits III) |
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