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Poezii Românesti - Romanian Poetry

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La peau de chagrin
prose [ ]
La femme sans cœur (XX)

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par [Honoré_de_Balzac ]

2011-11-15  |     |  Inscrit à la bibliotèque par Dolcu Emilia



Pendant les dix premiers mois de ma réclusion, je menai la vie pauvre et solitaire que je t’ai dépeinte : allant chercher moi-même, dès le matin et sans être vu, mes provisions pour tout le jour ; faisant ma chambre ; étant le maître, le serviteur, diogénisant avec une incroyable fierté.
Mais après ce temps, pendant lequel l’hôtesse et sa fille espionnèrent mes mœurs et mes habitudes, examinèrent ma personne et comprirent ma misère peut-être, parce qu’elles étaient elles-mêmes fort malheureuses, il s’établit quelques liens entre elles et moi.
La petite Pauline, cette charmante créature, dont les grâces naïves et secrètes m’avaient en quelque sorte amené là, me rendit quelques services qu’il me fut impossible de refuser. Toutes les infortunes sont sœurs, elles ont le même langage, la même générosité, la générosité de ceux qui, ne possédant rien, sont prodigues de sentiment, paient de leur temps et de leur personne.
Insensiblement Pauline s’impatronisa chez moi. Elle voulut me servir, et sa mère ne s’y opposa point. Je vis la mère elle-même racommodant mon linge et rougissant d’être surprise à cette charitable occupation. Malgré moi, je devins leur protégé, j’acceptai leurs services.
Pour comprendre cette singulière amitié, il faut connaître l’emportement du travail, la tyrannie des idées et cette répugnance instinctive dont l’homme qui vit de la pensée est saisi pour les détails de la vie mécanique.
Pouvais-je résister à la délicate attention avec laquelle Pauline m’apportait à pas muets, mon repas frugal, quand elle s’apercevait que , depuis sept ou huit heures, je n’avais rien pris ?...
Avec les grâces de la femme et de l’enfance, elle me souriait, me faisait de la main un signe pour me dire que je ne devais pas la voir. C’était Ariel se glissant comme un sylphe sous mon toit, et prévoyant mes besoins.
Un soir, Pauline me raconta son histoire avec une ravissante ingénuïté. Son père était chef d’escadron dans les grenadiers à cheval de la garde impériale. Au passage de la Bérésina, il avait été fait prisonnier par les Russes. Plus tard, quand Napoléon proposa de l’échanger, les autorités russes le firent vainement chercher en Sibérie. Au dire des autres prisonniers, il s’était échappé avec le projet d’aller aux Indes.
Depuis ce temps, madame Gaudin, mon hôtesse, n’avait pu obtenir aucune nouvelle de son mari. Les désastres de 1814 et 1815 étant arrivés, se trouvant seule, sans ressources et sans secours, alors elle avait pris le parti de tenir un hôtel garni, pour faire vivre sa fille. Elle espérait toujours revoir son mari.
Son plus cruel chagrin était de laisser Pauline sans éducation, sa Pauline, filleule de la princesse Borghèse, et qui n’aurait pas dû mentir aux belles destinées promises par sa protectrice.
Quand madame Gaudin me confia cette amère douleur qui la tuait et qu’elle me dit avec un accent déchirant :
- Je donnerais bien le chiffon de papier qui a créé Gaudin baron de l’empire, et le droit que nous avons à la dotation de Wistchnau, pour savoir Pauline élevée à Saint-Denis. Ah ! si l’empereur vivait !...
Tout à coup, je tressaillis et j’eus l’idée, pour reconnaître tous les soins dont j’étais devenu l’objet, de m’offrir à faire l’éducation de Pauline. La candeur avec laquelle on accepta ma proposition fut égale à la naïveté qui me la dictait.
J’eus ainsi des heures de récréation. Pauline avait les plus heureuses dispositions. Apprenant avec facilité, elle devint bientôt plus forte que moi sur le piano. Elle était toute grâce, toute gentillesse. Elle m’écoutait avec recueillement, arrêtant sur moi ses yeux noirs et veloutés qui semblaient sourire. Elle répétait ses leçons d’un accent doux et caressant, en témoignant une joie enfantine si j’étais content. Sa mère, chaque jour plus inquiète d’avoir à préserver de tout danger une jeune fille, qui développait en croissant toutes les promesses de ses grâces d’enfance, la vit avec plaisir s’enfermer pendant toute la journée, pour lire et apprendre des leçons. Mon piano était le seul dont elle pût se servir, elle profitait de mes absences pour étudier.
Quand je rentrais, je la trouvais chez moi, dans la toilette la plus modeste, mais au moindre mouvement qu’elle faisait, sa taille élégante et souple, les attraits de sa personne se révélaient sous l’étoffe grossière dont elle était vêtue. Ell e avait un pied mignon dans d’ignobles souliers. C’était l’héroïne du conte de Peau-d’Ane, une reine en esclavage.
Mais ses jolis trésors, sa richesse de jeune fille, tout ce luxe de beauté fut comme perdu pour moi. Je m’étais ordonné à moi-même de voir en Pauline une sœur. J’aurais eu en horreur de tromper la confiance de sa mère.
Ainsi j’admirais cette charmante fille comme un tableau, comme le portrait d’une maîtresse morte. C’était mon enfant, ma statue ; et, Pygmalion nouveau, je voulais faire, d’une vierge vivante et colorée, sensible et parlante, - un marbre. J’étais très sévère avec elle ; mais plus je lui faisais éprouver les effets de mon despotisme magistral, plus elle devenait douce et soumise.
Si je fus encouragé dans ma retenue et dans ma continence par des sentiments nobles, les raisons de procureur ne manquèrent pas. Je ne comprends point la probité des écus, sans la probité de la pensée. Tromper une femme ou faire faillite a toujours été même chose pour moi. Aimer une jeune fille ou se laisser aimer par elle constitue un vrai contrat, dont les conditions doivent être bien entendues. Nous sommes maîtres d’abandonner la femme qui se vend, mais non pas la jeune fille qui se donne, car elle ignore l’étendue de son sacrifice… Ainsi, j’aurais épousé Pauline, et c’eût été une folie. C’était livrer une âme douce et vierge à d’effroyables malheurs. Mon indigence parlait d’une voix puissante, et mettait sa main de fer entre cette créature et moi…
Puis, j’avoue à ma honte que je ne conçois pas l’amour dans la misère. Peut-être est-ce, en moi, dépravation due à cette maladie humaine que nous nommons la Civilisation, mais une femme fût-elle aussi ravissante que la belle Hélène, la Galathée d’Homère, n’a plus aucun pouvoir sur mes sens, si peu qu’elle soit crottée. Ah ! vive l’amour dans la soie, sur le cachemire, entouré des merveilles du luxe, qui la parent merveilleusement bien, parce que lui-même est un luxe peut-être. J’aime à froisser, sous mes désirs, de pimpantes toilettes, à briser des fleurs, à porter une main dévastatrice dans les élégants édifices d’une coiffure embaumée… Des yeux brûlants cachés par un voile de dentelle que les regards déchirent comme la flamme perce la fumée du canon, m’offrent de fantastiques attraits. A mon amour, il faut des échelles de soie, montées en silence, par une nuit d’hiver. Quel plaisir d’arriver couvert de neige, dans une chambre éclairée par des parfums, tapissée d’or, de soies peintes… Et la femme aussi secoue de la neige… ces voiles de voluptueuses mousselines à travers lesquelles elle se dessine vaguement comme un ange dans son nuage…
Et il me faut encore un craintif bonheur, une audacieuse sécurité… Puis je veux revoir cette femme mystérieuse ; mais éclatante, mais au milieu du monde, vertueuse, environnée d’hommages, vêtue de dentelles et de diamants, donnant ses ordres à la ville, si haut placée, si importante que nul n’ose lui adresser de vœux… Et puis, elle me jette un regard à la dérobée, un regard qui dément tout cela, un regard qui sacrifie le monde et les hommes !...
Certes, je me suis vingt fois trouvé ridicule d’aimer quelques aunes de blonde, du velours, de fines batistes ; les tours de force d’un coiffeur, des bougies, un carrosse, un titre, d’héraldiques couronnes peintes par des vitriers ou fabriqués par un orfèvre, enfin tout ce qu’il y a de factice et de moins femme dans la femme. Je me suis moqué de moi, je me suis raisonné. Tout a été vain. Une femme aristocratique avec son sourire fin, la distinction de ses manières, et son respect d’elle-même m’enchante. Quand elle met une barrière entre elle et le monde, elle flatte en moi toutes les vanités qui sont la moitié de l’amour. Enviée par tous, une félicité me paraît avoir plus de saveur, plus de goût. En ne faisant rien de ce que font les autres femmes ; en ne marchant pas, ne vivant pas comme elles ; en s’enveloppant dans un manteau qu’elles ne peuvent avoir ; en respirant des parfums à elle ; ma maîtresse me semble être bien mieux à moi. Plus elle s’éloigne de la terre, même dans ce que l’amour a de terrestre, et plus elle s’embellit à mes yeux. En France, heureusement pour moi, nous sommes depuis vingt ans sans reine, car j’eusse aimé la reine.
Pour avoir les façons d’une princesse, une femme doit être riche. Or, en présence de mes romanesques fantaisies, qu’était Pauline ?... Pouvait-elle me vendre des nuits qui coûtent la vie, un amour qui tue, et met en jeu toutes les facultés humaines… Nous ne nous tuons guère pour de pauvres filles qui se donnent…
Je n’ai jamais pu détruire ces sentiments ni ces rêveries de poète… J’étais né pour l’amour impossible ; et le hasard a fait que je fusse servi par delà mes souhaits.
Aussi, que de fois j’ai vêtu de satin les pieds mignons de Pauline ; emprisonné sa taille svelte comme un jeune peuplier, dans une robe de gaze ; jeté sur son sein une légère écharpe ; lui faisant fouler les tapis de son hôtel, et la conduisant à une voiture élégante… Je l’eusse adoré ainsi. Je lui donnais une fierté qu’elle n’avait pas ; je la dépouillais de toutes ses vertus, de ses grâces naïves, de son délicieux naturel, de son sourire ingénu, pour la plonger dans le Styx de nos vices et lui rendre le cœur invulnérable, pour la farder de nos crimes, pour en faire la poupée fantasque de nos salons, une femme fluette qui se couche au matin pour renaître le soir, à l’aurore des bougies… Elle était tout sentiment, toute fraîcheur, je la voulais sèche et froide.
Dans les derniers jours de ma vie le souvenir m’a montré Pauline, comme il nous peint les scènes de notre enfance ; et, plus d’une fois, je suis resté attendri, songeant à de délicieux moments : soit que je la revisse, assise près de ma table, occupée à coudre, paisible, silencieuse, recueillie et faiblement éclairée par le jour qui, descendant de ma lucarne, dessinait de légers reflets argentés sur sa belle chevelure noire ; soit que j’entendisse son rire jeune, sa voix d’un timbre riche quand elle chantait les grâcieux cantilènes qu’elle composait sans efforts. Souvent elle s’exaltait en faisant de la musique ; et alors, sa figure ressemblait d’une manière frappante à la noble tête par laquelle Carlo Dolci a voulu représenter la Poésie ou l’Italie…
Ma cruelle mémoire me jetait cette jeune fille à travers les folies de mon existence comme un remords, comme une image de la vertu ! mais laissons la pauvre enfant à sa destinée ! Si malheureuse qu’elle puisse être, au moins l’aurais-je mise à l’abri d’un effroyable orage, en évitant de la traîner dans mon enfer.



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