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ZOOM (La portée)
prose [ ]
Extrait du chapitre "C'est Mosa qu'on assassine !"

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par [Reumond ]

2011-10-23  |     | 



LA PORTEE

En ce jour redoutable, délivre-moi Éternel de la crève éternelle, quand les cieux et les terres seront ébranlés, quand tu viendras éprouver l’amour et le monde par le feu des bombardements ou par les fleurs aux fusils.

Entre la vie barbelée, me voici éternel, je tremble déjà et que j'ai très peur de crever, face au grand jugement qui approche de l’Est et de l’Ouest, au pas des armées rouges et noires; la colère doit venir, en ces jours de calamité et de misère, jours mémorables et très amers.



En ces temps-là, donne-nous Éternel le repos éternel, et que la lumière des flashs de l’amour brille à jamais sur nous tous !

Dis-moi Mosa,

Ce fameux requiem inachevé de Mozart, en ré mineur et des poussières, combien comporte-t-il de portées et supporte-t-il de cendres ?

Ou dis-moi plutôt Mosa, mon frère persécuté, mon ami d’injustice, combien il devrait en compter, de bas en haut, si l'on pouvait compter sur l'homme, si l’œuvre avait été consommée jusqu’au bout, comme les mille et une nuits des noces d'or d’un compositeur parfaitement accompli et heureux de l’être ?

Enseigne-nous Mosa, nous qui ignorons tout de la musique et des compositeurs, exprime à nos oreilles profanes qu’une portée est aussi un ensemble des cinq lignes horizontales comme des soldats tombés au combat.

Cinq lignes parallèles et équidistantes qui portent la notation musicale comme on porte des stigmates.

Cinq lignes droites comme les bras levés de SS en érection, lignes qui s’étirent sans horizon, sans espoir aucun, comme des barbelés tendus entre leurs marges étroites et rouillées de pluies froides.

La portée, c’est la zone sensible à ne pas franchir d’un pas, d’un doigt, d’un seul mot, sous peine de mort brutale et d’électrocution.

Dis-moi Mosa, cette partition que mon zoom inculte compare dans une plane et plate analogie, à des fils de fer barbelés, que porte-t-elle de nos douleurs et que peut-elle supporter vraiment de notre maigre humanité déshumanisée, de notre pauvre nature dénaturée ?

Et puis, toi qui vois tout, sais tout, dans la lumière jaune des étoiles des cieux qui brillent comme des regards affamés d’infini, dis-moi, quelle est la réelle portée d’un zoom à travers le smog ténébreux des miradors, dans la nuit concave et le brouillard convexe des camps d’extermination, dans l’épaisseur compacte des cendres que l’on jette au loin pour mettre bas de soi-disant blondinets ariens ?

Requiem æternam dona ei, Domine, et lux perpetua luceat ei…

Dis-moi Mosa, dans la dissonance des cris qui percent le froid, et cette prière pour les morts, quelle est la portée de cette dernière et fameuse œuvre de Mozart ?

Requiem, qui reste un profond mystère, tout comme l’insondable rebus de la Sainte Trinité, quand mon premier dès le début de la Torah, se révèle comme un être de secret qui dit une certaine pluralité du moi,

Je suis celui qui est !

Comme une relation entre je et tu, lui qui est Sagesse, Parole et Souffle ;

en témoigne le mot Élohim qui est un pluriel.

Films, fil ou fils, le pluriel comme les images arrache parfois le sens !

Éternel, donne l’heure de ton retour, donne-leur le repos éternel, et que ta lumière perpétuelle luise pour lui dans la nuit et le brouillard !

Dis-moi Mosa, à quand la venue d’un Messie parmi nous et ces lieux infernaux ? Pour ouvrir des brèches entre champs et collines dans ce camp de la mort; et pour frapper de mille plaies les premiers et les derniers nés de nos prédateurs ?

À quand le jour béni d’un nouveau Mosé, auréolé de gloire et de liberté, en lieu et place d’une couronne de fils de fer barbelés ?

Ici-bas, où nous somme, la portée des mots n’a d’égale que la portée de maux !

Si mille légendes maraudent autour de ce requiem, c’est parce que l’esprit a toujours plané sur la psalmodie, comme sur l’ensemble complexe des notes de la vie ! Et entre nous Mosa, et tous les barbelés qui nous cernent de partout, comme des ennemis sanguinaires, toute vie ici-bas n’est-elle pas comme un chef-d'œuvre inachevé ?

Pauvre Mosa, petit trinôme de tristes nuitées !

Le K.626 n’est que cris, chuchotements et gémissements, sons aigus, médiums et lugubres.

C’est là, dans ce baraquement K.626, que tu tentes de dormir, superposé au dessus de Samuel et au dessous de David ; entre la clé du sol infesté de vermine, et celles des luttes pour la survie.

Chalom et bénédictions manquent souvent à l’appel, pendus par contumace.

Derrière la portée de clôtures enceintes de morts, on ne se souhaite même plus bon appétit, ni bonne nuit ; certains mots semblent être restés à l’extérieur des camps, là où nous étions encore des fleurs et des humains étoilés. Au jour d’aujourd’hui, nos cauchemars sont trop profonds pour pouvoir y mettre des mots.

Il ne nous reste que l’intériorité pour y mettre du silence, là où seules nos implorations trouvent encore un terreau de cendrées et d’images, pour faire pousser l’espoir.

Moché, toi qui connu, colonnes de feu et nuées au brasier de la présence, dis-moi comment il faut prier à la limite de la fosse, en cette nuit épaisse, derrière des clôtures de fils de fer piquants et coupants ?

Dehors, c’est l’aurore qui Monstre ses dents !

Sur la portée plus ou moins mélodique, plus ou moins discordante, s’accrochent comme des lambeaux épars de nos prières ...

C’est la prière du soir, c’est l’Ârvite qui monte comme un encens de pourriture rance, comme monte une clameur des grandes fosses tièdes ; triste prière, amères exhortations, quand descend le soleil et que saille le sommeil en de pénibles chimères où les plus morts se mêlent aux moins vivants.

Mosa, je peux t’entendre, car mon zoom à des oreilles ! Tu dis et tu répètes la prière, ta prière ; tu étales tes notes noires sur les lignes horizontales des barbelés, et sur les stries verticales de tes vêtements tachés et déchirés, tu plaques tes accords sur un ton douloureux.

Partout autour de toi, autour de nous, on récite encore le Chémâ Yisraël pour essayer de trouver le sommeil, écouter la paix venir du plus loin, ouvrir des portes imaginaires, les souvenirs de repas plantureux et ne plus voir, ne plus entendre autre chose que la partition des cordes de l’apaisement.

Yétsiate ha 'hama…

Entre les barbelés pleins d’aiguillons acérés, où pendent encore des lambeaux de tissus qui ressemblent à des fragments de peaux sèches ; oui, jour après jour, le soleil se lève et l’astre se couche sur le désastre.

Mosa, quelle est la portée d’un cri de déporté, à travers cette portée de fil de fer ?

Chéqiate ha chéméche…

Quelle est la portée d'une voie de chemin de fer ?

Car dans le mot « portée », il y a aussi cette idée de poids, de charge maximale, de pesanteur qu’un zoom puisse endurer ou qu’un homme fragile puisse supporter entre le train et la fosse.


« Subvenite, Sancti Dei, occurrite, Angeli Domini - Suscipientes animam eius,

offerentes eam in conspectu Altissimi.Suscipiat te Christus, qui vocavit te, et in sinum Abrahae Angeli deducant te.Requiem aeternam dona ei, Domine:

Et lux perpetua luceat ei. »


Bas les épînes, sur les lignes d’une primitive portée, afin d’y attacher à la hauteur des cris, les fils à des poteaux angulaires, qu'il faudrait remplacer par une Pierre d’Angle.

Le soleil se lève à la levée des corps, venez, vous les saints de l’Éternel, accourez, anges du Seigneur et prenez nos âmes pour les présentez à la face de l’Éternel.

Absoutes dès le lendemain, les antennes des miradors sont des antiennes prononcées sur haut-parleurs :

« Que les Anges te conduisent au Paradis; que les Martyrs t'accueillent à ton arrivée, et t'introduisent dans la Jérusalem du ciel. Que les Anges, en chœur, te reçoivent, et avec celui qui fut jadis le pauvre Lazare, que tu jouisses du repos éternel. »



J’ai dans le zoom et dans la gorge, des nœuds et des épissures de fil enroulé autour de poteaux de torture.

(…)

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