Jésus diapositive


En ce 5 octobre, nous fêtons Sainte Faustine.

Mon propre père, le père Totsky, racontait souvent qu’il y avait un lien de parenté entre cette Faustine Kowalska, mystique, voyante et lointaine cousine, aujourd’hui vénéré, mais qui en ces années où j’étais enfant, n’était encore ni canonisée, ni même béatifiée.

Comme certains de mes aïeux paternels, Faustine, née, Hélène Kowalska, venait du petit village de Głogowiec, en Pologne ; troisième d’une fratrie de dix enfants de pauvres cultivateurs.

Papa, en mauvais juif polonais, avait une véritable dévotion pour cette cousine Marie Faustine du Saint-Sacrement; et durant toute mon enfance, ce fameux tableau du Christ Miséricordieux à trôné sur la cheminée de la salle à manger à côté d’une inscription ainsi rédigée de main d'homme, en pur français de Charleville :

« Peins un tableau selon l’image que tu vois, avec l’inscription: Jésus, j’ai confiance en toi ; je donne aux hommes un vase, avec lequel ils doivent venir puiser la grâce à la source de la Miséricorde. Ce vase, c’est ce tableau, avec son inscription : Jezu, ufam tobie, en polonais.

« Je promets que l'âme qui honorera cette image ne sera pas perdue, et par cette même image, j'accorderai beaucoup de grâces aux âmes, afin que chacune d’elles ait donc accès à Toi. »

C'est ainsi que depuis quatre décennies, dans ma ville de Charles, je vénère les images en général et les photos en particulier, car j’ai confiance en bleu, blanc, rouge, j’ai confiance en liberté, en égalité et en fraternité.

(…)

On me dit dépressif, négatif, un peu trop renfermé et même pleurnichard, mais l’écriture et la photographie me donnent des ailes, elles sont mes plumes lissées, mes ouvertures béantes et mes deux mouchoirs ; je zoome donc suis !

J’ai remarqué un jour où j’étais moins distrait, que « Jésus » et « Je suis » avait une même consonance, et ce fut une véritable révélation, un flash !

Alors depuis ce jour, dans mon magasin et mon labo, Jezu, ufam tobie et Jésus je suis, je pratique la multiplication des photos et transforme les vessies en lanternes, usant des mots en métaphores et des paraboles en bol de riz pour nourrir les regards.

D’ailleurs, la boutique et l’arrière-boutique de la Maison des Ailleurs sont de véritables cours de miracles.

Je suis Alexandre le thaumaturge !

Derrière mon appareil photo, je suis devin, dans mon zoom de cristal, je peux même prédire l’avenir de mes photos : poubelle ou cadre.

Mais, un jour, c’est sûr, je serai divin !

Déjà, avec l’archange Kodak, sur les huit couches de mes films couleur,
je transmute toute malveillance en amour, et l’agrégat d’argent en or de photo.
En mon athanor d’alchimiste, je prépare quelques potions révélatrices de l’être profond des images, je suis celui qui guide la lumière, un magicien du zoom !

Entre prodiges et mirages, merveilles techniques et illusion, je change les négatifs en positifs, je délivre les démoniaques de leurs mauvais clichés, je pratique le recouvrement des sens par photos interposées, par contumace, transformant ainsi ce qui est loupé ou absent en portail de lumière, et ce qui est mièvre en posters délicieux ; je suis un as, je suis Jésus photographe !

Guérisseur ou charlatan des effets spéciaux, selon la photo, le sujet, le client…
je solarise pour soigner et j’entretiens l’espoir et je vous aide à développer une image positive.

Ajustant le viseur aux visions, j’ouvre les obturateurs, je lie ou je délie déployant les soufflets, j’ajuste, j’allume les lumières ou je les éteins ; par le verre dépoli, je filtre, je polarise, j’introduis des effets artistiques, j'adoucis les portraits, je mets un peu de flou ou d’éclat, de style et de rendu, et de la netteté, là où c’est nécessaire ; je suis Jésus épreuve !

Dans mes bacs de révélateur, je fais des pêches miraculeuses ; je réveille des noirs les plus profonds tout l’espoir qu’ils renferment ; je ressuscite les ancêtres de mes voisins de vieilles plaques qui les enferment, donnant ainsi vie aux fantômes les plus éteints ; faisant de l’imprévu avec un rien, un peu de luminosité, quelques réimpressions d’un moment d’enchantement, quelques surimpressions avec de réels paysages enchanteurs ; je suis Jésus Polaroid !


Je suis Jésus à l’œuvre, donnant de la tendresse sur papier glacé, maquillant les rides, changeant les imperfections en cartes postales ; usant de mille stratagèmes pour faire le plus beau, le plus fort. En quelques mises en page, et par quelques petites corrections, le tour est joué, je suis Jésus diapositive, pour rendre le meilleurs, je suis Jésus de clichés en clichage, marchant sur les eaux de rinçage.

Quelques mises au point pour régler les conflits, et je copie, j’adapte, j’orne les images, je dore sur tranche…,

Car mes cuves de développement sont de véritables fontaines de jouvence bien meilleures que toutes les eaux de Lourdes.

Mon zoom et mon agrandisseur sont mes outils de génies, mes instruments de thaumaturge, et dans ma chambre de séchage, c’est du bonheur en suspens.

En album, je mets un peu de printemps arabe dans vos photos de vacances, en petits et en grands formats je distribue la joie ; sous passe-partout, je dépose et j’encadre vos rêves, vos émotions fortes…, car j’ai la main verte pour produire des agrandissements magiques, je suis Jésus multicolore !

De cartes d’identité en photos de passeport, je suis Jésus, guérissant aux flashs la peau d’un centurion de Mézières ; Jésus Miséricordieux dorlotant le bon profil d’une femme d’ouvrage, choyant sur tranche l’uniforme d’un pompier ou améliorant le statut d’un évadé.

Je suis Jésus photographe, ressuscitant d’un coup de film, le fils d'une veuve, mort il y a plus de vingt ans, guérissant les belles-mères alitées ; apaisant les tempêtes dans les ménages ; redonnant des couleurs aux clichés noir et blanc, la vie aux instantanés, le rythme et le mouvement aux paralytiques.

Deuils, départ, divorce…, j’use de luminosité, je contraste, je redimensionne, je retourne…, guérissant les femmes qui perdent leur sang en de tristes séparations, les enfants orphelins, les parents désenfantés ou désenchantés, en livrant des photos en héritage ; je suis Jésus la bonne nouvelle, celui de la Maison des Ailleurs.

En jpeg et autres formats, je délivre les démoniaques muets pour faire parler leurs photos de vacances, j’apaise les mémoires paralysées avec de belles couleurs pastel, délivrant ainsi les fantômes de leur prison de souvenirs décolorés ; nourrissant mille hommes en images goûteuses, guérissant avec des images fortes les pires sourds qui ne veulent pas entendre.

Je suis Jésus scannant, photocopiant…, à l’infini et pour l’Éternité.

Je vends des pellicules, ressuscitant Lazare avec du collodion, transformant le papier blanc en soleil rouge ; délivrant les enfants démoniaques et suicidaires de leurs clichés d’enfance malheureuse ; rendant la vue aux aveugles et aux iconoclastes ; guérissant les lépreux de la vie d’aujourd’hui, en donnant un semblant de travail aux chômeurs, un pays aux immigrés, des images aux sans-papiers tout en distribuant des châteaux en Espagne aux sans domicile fixe...


Photo dis-moi si je suis la plus belle !

Zoom, dis-moi si je suis bon !

À coups de programmes informatiques, j’habille les élégantes en numérique, et, en de pudiques représentations, je déshabille les dames aux mœurs légères, à la demande, pour cadre privé ou cadre de famille.

Recadrant, guérissant les yeux rouges et les oreilles coupées, rendant la vie aux morts, réunissant les couples séparés depuis des années, rendant la pose aux communiants, transformant l’éphémère en attitudes éternelles, et livrant ainsi l’éternité aux beaux bébés sur fond d’écran, je suis un Jésus de contrefaçon, un miséreux.

Alexandre avec un appareil photo autour du col, et Jésus avec un Rollei autour du cœur ; je suis Jésus Photoshop !

(…)


ZOOM - extraits