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Poezii Românesti - Romanian Poetry

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Le Derviche (Roman) extraits 1
prose [ ]
Ou l'histoire d'un chemin psycho-spirituel

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
par [Reumond ]

2011-05-26  |     | 



(…) Chaos avait la forme du tumulte, à fleur de nerfs, tout était confus et trop-pleins, comme des flots submergent les limites de vos digues, comme des fluxions d’âme vous déstabilisent en une seconde, quand vous ne les attendiez pas avant quelques millénaires.

Un énorme sentiment de rage monta de mes caves les plus profondes et les plus noires, une déchirante blessure traversa tout mon être.

Dedans, je suis trempée et honteuse …, mon corps n’est plus qu’un cri béant, tout à la fois, cri du bébé et hurlement de bête blessée.

Dans cette galerie blanche du Capodimonte, blême comme l’habit des vierges pâles, toute ma chair se fit ce jour-là, appel à l’aide, tel un hurlement capable de lacérer l’espace-temps, le temps d’un regard sur une seule toile, celui d’un spasme, d’un nœud, d’une coulée de sang mêlé de boue et de peinture sur ma peau nue ; c’est l’espace-temps déplaisant d’une prise de conscience, d’une boule de crispation noueuse, aux entrailles et aux méninges, comme une angoisse et une contraction de nébuleuse sortant béate d’une somnolence d’étoiles.

C’est Judith que se réveille en moi d’un long sommeil, d’une longue hibernation ; mieux vaut tard que jamais, au bord des cauchemars nécessaires, pour émerger brutalement de mon refuge de rêves et de ma tour d’ivoire brisée en un instant ; le vase de silence émotionnel qui me tenait prisonnière de moi-même depuis vingt ans, était cassé à tout jamais.

C’est dans une galerie du musée de Naples, face à la peinture d’Artemisia Gentileschi , représentant Judith tranchant le cou d’Holopherne, que l’envie de me venger des hommes me vint, cruelle, animale, brute, probablement comme l’inspiration vient aux artistes, la vision aux devins ou l’esprit aux chamans ; ou comme monte la sève au cœur des rameaux verts, comme le flux d’une force inconnue jusqu’alors, un flot de vie, qui vous crispe les ailes, jusqu’à vous retrouver dans un certain équilibre instable quand les choses vont au plus mal, entre pesanteur et apesanteur, dans une tension et une attention funambulesque.

En un instant, j’étais en transe, comme projetée dans la toile, libérée de ma trame, au cœur d’un drame antique, comme arrachant à Judith son long couteau de bronze pour tailler me propre libération dans la chair de l’ennemi.

Ce tableau d’Artemisia qui semble me représenter sous les traits d’une autre est impressionnant de réalisme, de violence scénographique ; depuis cette soudaine révélation, je n’ignore plus aucune des interprétations psychanalytiques que les uns et les autres ont pu écrire ou dire sur le désir de vengeances ou de revanche, par rapport aux abus vécus par l’auteur de la toile comme par les mille femmes qu’elle incarne aujourd’hui encore (…)


Le roman

Afin d’assumer pleinement un passé douloureux, un mal-être profond et des relations aux autres difficiles, plusieurs échecs amoureux et professionnels..., Fabienne frappe à la porte d’un psychothérapeute.

En de nombreux sets perdants ou gagnant, au fil des séances, manche après manche, les souvenirs reviennent les uns après les autres, des plus récents aux plus anciens, comme pour remonter le temps au rythme des émotions débloquées, en une subtile alchimie où se mélangent la mémoire familiale et les souvenirs personnels, la métaphore et les détails les plus prosaiques…,

Intermédiaire entre les hommes et les dieux, sage parmi les sages, avec son propre lot de pauvretés, éveilleur d’âmes, poète…, « LE DERVICHE », c’est l’histoire d’une psychothérapie, mais c’est avant tout « le sobriquet » que la principale locutrice donne à son propre analyste.

Le derviche, c’est celui qui lui redonne vie tout en donnant le tournis qui va avec. Fabienne avance, tel Tobias du livre de Tobie, cheminant avec alias Raphaël en quête d’une terre promise, sur les chemins d’une quête vers elle-même.

« Mon Derviche », dit-elle avec émotion,

C’est l’accompagnateur en qui elle trouve l’image plurielle du médecin, du guide, du père, d’un frère…, en un mot lourd de sens, c’est un symbole de l’homme, avec qui elle détricote sa maille de souffrances et trace au fil d’une écriture libérée, l’itinérance d’un avenir plein d’espérance.

L’ombre de mon père me hante !

Son ombre à l’entrée de ma chambre me tourmente encore, son ombre dans les escaliers, dans les recoins de la boucherie familiale…, autour de moi, tout est ombres et lumières, caverne platonicienne où les prédateurs comme les saints hommes se ressemblent, n’échappant pas à cette loi de l’ordre et du désordre qui se mêlent comme des corps dans l’étreinte pour donner sens à la vie comme à la mort.

Dans l’Univers, chaque trace a son tempérament, chaque lumière son trait, et chaque trait sa forme, et tout est l’expression d’une nature différente, multiple, et dans cette tragique complexité, les souvenirs qui me reviennent, à la charge, comme acérés, comme chargés d’émotions et d’images, sont pour moi comme des troubles de la mémoire; je ne peux plus m’enfermer dans le déni, les souvenirs sont là ; et là est mon salut !

(...)

Avez-vous déjà vu un pendu agoniser, le visage tout violacé, il tourne sur lui-même, secoué de saccades, en silence, se balance, pour ne pas troubler le temps, tout en restant alourdi comme un plomb dans l’axe de son fil, comme tiré vers la terre par quelques démons invisibles, art bouté, corps repoussé repoussant les limites du corps, poids mort comme tendu entre un centre de gravité imperceptible et une pesanteur qui le tire au néant. J’ai ainsi vu mon propre père partir comme d’autre prennent le train, ou laissent leur sang s’écouler, comme se répandent les vieux souvenirs exsangues de vie, et comme nous abandonnent les oublis aux oubliettes du temps, doucement, goutte à goutte ou en petits filets, le long des falaises blanches d’une baignoire ensanglantée. J’ai vu, de mes propres yeux, mon père comme un pendule, se bercer nu au bout de sa laisse de chanvre, a son propre rythme, celui d’un pouls qui meurt.

Il me croyait partie au loin pour tout le week-end, mais c’est lui qui partait pour la vie !

Actéon dévoré tout cru par les chiens d’Artémis, le taureau sacrifié par Mithra sur l’Autel des Monnaies, les chômeurs en quête d’un poste clé, Cronos dévorant ses enfants avec de sauce béchamel, les sans papiers et sans domicile fixe, Oedipe tuant son père à main nue, Sphinx dévorant ses victimes sans sourciller, Sisyphe remontant son rocher à grande peine et grands cris…, tous des guignols !

Que de tours et de tourments pour honorer ses parents, célébrer Aphrodite ou le Ministère des Finances ; en vérité en vérité je vous l’écris, nous sommes tous les marionnettes de quelque dieu que nous avons fait à notre image ?

(…)

Voyez cette mouche agonisante, sur votre parquet bien ciré, de psy bien posé, elle aussi, elle tourne en rond, sur elle-même, comme cherchant sa place, son propre centre de gravité pour mieux mourir, mais tant qu’elle est encore vivante, elle tourne, pivote côté ventre, côté fesse…, la voix du père la dirige, le disque de Ravel n’arrête pas de tourner, au boléro sans fin, la gamine, elle tourne en rond, sans se déplacer vraiment, sans changement aucun, les yeux baissés, ne faisant rien que des petits écarts pour mieux partir, elle ne s'envole plus, comme une mouche qui expire, elle est figée, engluée dans son état de petite fille nue devant son père voyeur (...)

Et il me demande de danser encore, et moi, je tourne sur le parquet, la mouche se meurt, et moi je me meus aussi, je suis manipulé par la musique, par ses yeux…, j’ai toujours envie de lui faire plaisir à ce père délictueux, car le l’aime tel qu’il est, comme un amour de père, alors je danse, et cette mouche me rappelle comment je dansais pour lui, comme un derviche danse pour son Dieu, je tourne folle prise d’un vertige qui semble n’avoir pas de fin.

(…)

LE DERVICHE, Roman (extraits)

Illustration : Annibale Carrache - La boucherie


(…)

Or, à l’anniversaire d’Hérode, la fille d’Hérodiade exécuta une danse devant les invités et plut à Hérode.

Comme Joséphine Baker dansait à moitié nue, Salomé, elle-même, ne dansait-elle pas dévoilée, devant son beau-père Hérode Antipas pour apaiser les dieux et apprivoiser les oiseaux de mauvais augure ?

Salomé, ne réclame-t-elle pas pour venger l’honneur de sa mère, sur un plateau d’argent, le pressé de tête de veau d’or à la vinaigrette ?

Or, lorsqu’on célébra l’anniversaire de la naissance d’Hérode, la fille d’Hérodias dansa au milieu des convives, et plut à Hérode ; l’histoire nous le raconte, mai pour mes propres annales, il n’y avait pas de convives quand je dansais nue dans ma chambre nue, pas d’invité appelé à ce triste spectacle, rien que moi et lui, Hérode le boucher, sa viande écarlate contre ma viande pâle, ses triperies face à mon corps d’enfant, ses gros rognons grognons, ses escalopes émincées de désirs, son croupion au pilon de ses appétences compulsives , sa chair dégoutante à viander les regards, à y mettre la broche des mains, à étaler sa concupiscence sur l’étal comme un vulgaire gigot, les gigots gigotent, les membres mélangés cherchent l’air, respirer, tel était ma priorité », sortir de ces mors, de ses grosses mains ou mourir beaucoup sans passion.

Les corps se contorsionnent, qui suis-je, moi ou toutes ces jeunes filles abusées par le patron ? Contre l’étal, la Jeanne tente désespérément de fuir les grosses pattes, petite poitrine fragile, petit corps détenu entre des épaules sans cervelle, rien que de l’envie pure, barbare, de la charcuterie dans l’air, de la saucisse de chair tendue, du gras du bœuf sur ce petit corps défait sur l’autel d’un veau d’orgie.

La Jeanne était une petite apprentie frêle comme un jeune bouleau.

Comme Salomé, je rêve moi aussi d’un scandaleux baiser sur la tête coupée, réduite à néant, et enfin, comme Oscar Wilde, je peux rêver de danser libérée, la java des sept voiles, cerf-volant, telle une derviche s’envolant de ce qui fut une cave, dans ce qui devient un ciel.

Pas de margarine bio, ni de beurre de Normandie, mais du saindoux rance pour lubrifier la moelle avec la peau. Car ici, monsieur le psychologue, pas de quartier, pas de grand art, ni d’alchimie sentimentale, mais des quartiers de lard dans un quartier de merde …

L’odeur de la viande rouge me donne la nausée ! Cuite, grillée, boucanée ou fumée, la viande reste toujours du muscle qui a vécu, marché, galopé, connu la l’allégresse de traverser de belles prairies, l’air frais du petit matin, l’herbe nouvelle et goûteuse des journées de printemps.

Pas de valse de Vienne, mais de la saucisse à volonté, du jambon cuit à la chaleur de la turpitude ; romsteck, bifteck, c’est pour ma petite personne le nec de l’indignité, le comble de la honte.

Pas de soieries fines, mais des racloirs pour enlever les soies, racler les panses, blesser la sensibilité des filles de passage. Parole d’équarrissoir, la fille était sans pagne et sans paillettes, la scène était toujours la même, tout juste colorée par les yeux et les cheveux de l’enfant, au plus profond du brun et du blond qu’elle tenait de sa mère.

« Chez ces gens-là », monsieur le psychologue, pas de métaphore, mais du véritable concret, du nu incontestable ; pas de parabolique, ni de la poétique sophistiquée, mais du brut à la Zola, de l’hostilité au plus vif de la survie, au plus cru du plus nul, comme dans un temps de guerre !

Depuis la reprise de la boucherie familiale par mon père, en 1951, date de création du Moulin rouge parisien, rien n’avait changé, la boutique était toujours la même, vieillotte et tristounette.

Rien d’avant-gardiste, rien de sophistiqué, pas la moindre petite beauté, pas de sensualité non plus autour de belles femmes bien faites, dans une magnifique atmosphère, riche de décors et d’intimité ; pas de nouveau spectacle à Seraing, mais toujours la même scène primitive, les mêmes râles, la même sanguinolence des violences conjugales et des abus sans nom !

Mon Moulin rouge à moi, broyait du noir, au lourd pressoir des désirs rarement partagés, mon moulin moulinait de la rage rarement de l’espoir !

Sur les planches, de la viande, pas de nouvelle chorégraphie haute en couleurs, rien que des esclandres hauts en clameurs ; toujours la même scène primitive, répétitive, compulsive…, accompagnée de grands râles bestiaux.

Mon boulevard de Clichy se nommait Amertume, mon arrondissement appelé quartier pourri, au pied d’un Montmartre baptisé « Cockerill ».

Son style et son nom ont été imités et empruntés par d'autres cabarets du monde entier.

De ce temps-là, monsieur le psy, ma station de métro ne se nommait pas Blanche comme la robe d’une communiante, mais « La fille du boucher ».
Panse bête et pense mots, les images reviennent, avec les odeurs, les couleurs…, Badinerie d’assommoir, bad trippes à la mode de Seraing bas…, car ici dans son truc obsessionnel, le traiteur préfère son service trois-pièces montées, et la traite des jeunes filles, aux petits plats cuisinés avec amour pour les enfants de l’amour.

Fricassée de petits seins fermes, carré d'agneau rôti au gros malsain, foie gras comme le patron, viol au vent de champignons en persillade, coquilles de noix du chef, magret de canard au coulis de foie.

Tout en ce lieu d’étalage indécent, ressemble à un détournement pervers des chemins de l’enfance, tout à la vitrine est à débiter avec ses rêves frustrés.
Sur le comptoir, des steaks nature ou tartare, des escalopes aux endives braisées, des boulettes à la sauce tomate, des quenelles à la sauce chasseur, des chasseurs à la queue légère, de la grande bouffe, de la boustifaille, du gratiné maison !

Mais tout cela est une mascarade, orgie et bestialité devraient s’inscrire en lettre de sang sur la façade !

Il n’y a rien d’autre ici, que les platitudes préparées de longue date dans la tête perverse du chef, rien à emporter, comme dans la nuit des noces, tout est à consommer sur place !

A huit ans, quand Salomé dansait, elle se sentait ballerine ou Petit Rat de Chambre ; à dix ans, la honte l’habitait déjà, à douze ans, son corps de femme la rendait désirable, trop désirable, alors il fallait encore danser tout autrement…,
(…)
En guise de plumet d’autruche, je n’ai connu que les poils de bestiaux et les plumes de volailles !

Porcins et compagnie, tel était mon Crazy Horse à moi ; il n’avait rien à voir avec la douce folie parisienne des chorégraphies à demi dénudées, et ressemblait davantage à la folie libidinale de quelque tête malade, blessée et blessante tout à la fois, éclopé des neurones d’avoir été probablement mal aimé lui-même, tel était mon défunt père.

Je n’ai connu de mon enfance, que son instinct de géniteur déguisé en serial abuser, et tout « ça », dans le cadre tristounet d’une bête boucherie chevaline de la région liégeoise.

Sortez le tapis rouge sang, les frères Dardenne eux-mêmes pourraient en faire un film, genre Rosetta enfant, puis jeune fille abusée par un père licencieux, en actes et en paroles…,

ça aurait du succès, j’en suis sûre !

Dans mon Crazy Horse à moi, il n’y avait pas de lumières tamisées, et pas de paillettes en ces lieux poussiéreux, mais un étal usé par quelques générations de charcutiers charcuteurs, avec du marbre gris et froid, des murs de carrelage blanc sale, le tout, donnant sur une perspective bouchée par des souvenirs et des images qui taraudent encore mes chairs les plus tendres.

Si la réalité dépasse effectivement la fiction, mon vécu est digne de la fiction la plus crade !

Durant toutes ces années qui ont suivi le décès de maman, en dehors de l’école où je pouvais encore respirer un p’tit peu, rien pour m’évader que le rêve et l’écriture !

En guise de plage et de vacances, je n’ai connu que l’enfermement physique et psychologique !

Connaissez-vous « mon Seraing » ? Pas celui des gens biens, de ceux qui aiment leur ville, pas celui des poumons verts de Lidge et des Sérésiens sereins…, mais le mien, noir d’encres, fait d’outrance et de violence ?

En ces lieux de damnation, le seul horizon qui saille plus qu’il ne miroite, était de mon temps, il y a longtemps, celui de crassiers et des usines alentour, nauséabondes, régurgitant l’une plus que les autres, des tonnes de fumées noires dans un ciel tout gris, d’où tous les anges ont fui.


Sur la faïence usée de la boucherie, qui ressemblait à s’y méprendre à « un trou de bouché », sans apparence de sortie, il aurait fallu écrire en lettres grasses : Métallurgie et sidérurgie, sont les deux mamelles pestilentes de ces bords de Meuse; mais c’est ma vision, elle n’est pas partagée !

« Un trou de bouché », aux limites des heures de fermeture du commerce, quand le grand rideau de fer rouillé se baissait dans un couinement lugubre à faire fuir les bovins, pour que baise le maître des lieux clos, clos comme sont ouvertes aux vents et aux petits clients, les petites dames de certaines petites maisons du quartier rouge de Marnix.

Alors, en cette fin de journée, le soir laissait place aux fantômes des bêtes égorgées et des jeunes femmes abusées durant les nuits de pleines lunes par quelque sorcier tout sali par le sang des boucs;

Dans le bruit des marteaux piqueurs, les jeunes vierges consacrées se préparaient au pire, mais jamais au meilleur...

Mon « Moulin rouge » était écarlate du sang des bœufs et des cochons ; mon cabaret était tout juste un cabinet des erreurs, ou pire un musée des horreurs, selon les jours, les heures, au rythme des heures de fermeture du magasin, quand les clientes faisaient circuler la rumeur comme quoi, « dedans, ça bouge au bouge du boucher ! »

Alors je rêve de castration ou de pénectomie !

Couperets multiples, couteaux à saucisses…, combien de fois n’ai-je pas été prise d’un appel irrésistible à vous prendre par le manche dans mes petites mains tremblantes, pour frapper, frapper encore, pour écorcher vif cette vie, en finir, avec lui ou avec moi ; me scarifier, et me saisir de la scie à os pour débiter l’homme en tranche de vie et en morceaux de choix ; combien de fois, n’ai-je pas fantasmé que je passais Barbe bleue dans la machine à découper la viande, que je le réduisais à néant, à coup de hachoir, que je découpais en dés les outils de son larcin, le rendant impuissant, juste bon pour le pétrin à viande, comme chair à saucisse.

« Chez ces gens-là », Monsieur le psy, on ne rigole pas avec la viande !

Je suis là dans votre cabinet, pour guérir, mais aussi pour témoigner d’un calvaire, mais plus encore d’un destin individuel, j’ai subi l’outrage pour que l’outrage se change en bel ouvrage.

Pour cela, il me faut bien vous en parler, pas à pas, passer mes souvenirs à l’écumoire, comme pour remplir ses malpropres boyaux, avec ma propre souffrance, tel le bétail de boucherie mené de mâle en pis, se charge à son tour de mener le bourreau à l’abattoir pour confesser son péché.

Parfois, je me sens une vocation particulière pour le massacre « symbolique » des tueurs rabatteurs, à coup de la cheville percutante des mots, et sans anesthésie aucune, car la vengeance est un plat qui se mange en littérature comme dans la vie ; alors, je m’imagine, avec mon maillet de tueuse, frappant ces ventres repus, et avec mon couteau de saigneuse, faire à tous ces seigneurs, de grandes saignées curatives, tout comme Hercule, d’un jet, nettoyant les écuries d’Augias.

Durant toutes ces années maudites, peu après le décès de maman, seul un jeune garçon boucher, qui n’a pas tenu plus d’un mois en ces lieux détestables, m’a montré un peu d’attention et de bonnes intentions. (…)

Mais il ne faut pas vous leurrer, à l’envers de Salomé, au verso de l’amazone vengeresse, au-delà de l’épée affutée par et pour, il y a Fabienne, celle qui par la puissance de son nom, Fabienne, Fabius, se doit de célébrer la famille, de rendre hommage à ses pères et mères, avec toute l’énergie du pardon et les symboles qui sont les siens : le jaune bouton d’or qui mélangé au rouge sang donne l’orange, l'orange de la flamme du phénix qui ressuscite, la flamme qui m’habite, me mue comme l’esprit, me laisse brûlante, impatiente de vivre, palpitante comme à cœur ouvert, aimante et toujours en mouvement, pour prendre votre détresse et partager ma tristesse et ma joie, au rythme de la tendresse, car je suis renouvelée, entièrement, tout comme autour d’un grand feu d’amour.
(…)
(...) Pour décrire l’amertume et extraire la vermine, j’ai hachuré l’espace à cor et à cri, scarifiant de part en part ma peau, comme l’artiste fébrile trace de grands traits d’âme sur l’espace de sa toile.

À coup de brosses pour faire table rase de mon histoire qui dure depuis trop longtemps, pas pour fuir mon passé mais pour le dépasser, je peins les crassiers, des terrils comme de beaux seins, c’est mon ciel, ma terre à moi et mes racines, ils sont ma chair plissée comme testament et mes origines de cendres, ma source de sang en un puits de poussier ...

J’ai poussé sur ce sol, comme l’acné à gros bourgeons de dermes irrités, tellement l’animosité m’a transformé en bête prudente, sur le qui survive…, ce quai où la peur et la haine vous nouent le ventre et vous sortent de partout, ruisselantes comme torrents de gadoues vers un Potay nauséabond.

La vie est grave ! Alors, je prie, je me signe de partout…, j’avance à petit pas, de séance en séance, sur la corde raide d’un pendu, entre mes deux points culminants, là où j’ai tourné sur moi et retourné mes rêves, de tous les côtés, recto verso, pour trouver mon lieu, mon propre corps, mon "propre" centre de gravité !

Là, où j’ai mal, où j'ai mal été aimée, en acmé, en pression, entre les points extrêmes d'une tension insoutenable, à l’apogée de la déchéance familiale ; je me souviens de mon père sur moi, de Seraing sur Meuse, de cette sur vie qui m’asphyxie encore !

Vivre entre deux eaux troubles, vite, juste en apnée, quand un corps étranger, bien trop pesant pour une âme d’enfant vous étouffe à tout jamais.

Nulle ville industrielle ne semble autant manquer d’air ! Vile, glauque pour moi mais agréable pour d'autres. Pourtant, tout autour de moi, les gens semblent vivre normalement et respirer abondamment !

Je ne comprends pas, si elle était une pompe à sexe, l’industrie de mon père était-elle aussi une pompe à vide ?


Je rêve de transparence, de beauté par cœur, des cristalleries du Val Saint-Lambert..., je m’illusionne, suis-je faite d'un cristal trop plombeux, trop plombé ? je traîne la patte. Pattus, pataude..., mes membres locomoteurs ne suivent pas mes mots locutions, être plume serait-il utopique ?

(...)

M’émerveiller devant les enfants, la nature…, a fait de moi une résiliente !

Cette glèbe était plus forte que la mort – c’est une belle partie de moi, sauvegardée par quelque grâce, quelque bénédiction, une portion d’être que je nomme ma terre, ma foi, quelles que soient mes croyances porteuses !

(...)

On ne danse pas quand on a ses règles ! C’est tabou !

Connaissez-vous, psy de mes grandes lèvres infirmes, la palette des sangs, du nez qui saigne aux sangs les plus caillés ? (…)

Savez-vous, derviche de ma tête qui tourne, derviche de mes tétons sensibles, toutes les plaies que je souhaite aux abuseurs de tendres bourgeons et aux multiples piétineurs de petits jardins d'enfants ?

Savez-vous, vous qui avez réponse à tout, si le sang des guerres est différent du sang des viols, et si celui des dragons et aussi guérissant que les larmes des anges ?

La viande de porc est-elle meilleure que celle du mouton ?

Savez-vous, vous qui ne savez rien de cela, si tous les hommes sont des animaux prédateurs ?

Je m’imagine qu’il est toujours là, toujours vivant, sa corde de chanvre autour du cou, autour des couilles…, et en frappant pour me défendre, je lui crie salle connard ! Et je me scarifie « Connarde » sur les avant-bras, l’entre jambes, le haut des seins… Père indigne, va croupir en enfer, en ce trou du cul de Seraing !

Ordure de persécuteur !

Que ma paire de ciseaux ou mon sécateur répare la blessure que tu infligeas jadis à mon corps délicat de pucelle innocente - va te faire foutre de ton propre foutre acide et saumâtre, va te faire foutre, père haïssable et incestueux ; je voudrais abreuver ton cerveau boueux avec l’acide sulfurique que tu déversas toi-même au plus creux de mon pauvre corps fragile.

Vent de Dieu, viens réparer ma honte, viens venger le sang et le sperme rance versé avec outrance sur moi et sur toutes les victimes.

Que les dix plaies d'Égypte tombent sur Seraing ; que les châtiments de Dieu pleuvent comme de la merde, jusqu'à ce que les bouchers laissent partir leurs enfants vers des terres promises.

Que les eaux de la Meuse se changent en fleuve de sang, qu’elles se fassent nauséabondes comme le cul d’un laminoir, que des marées de grenouilles chargées de pustules montent de l’enfer pour recouvrir tous le bas de Seraing ; que les scorpions et les moustiques piquent de leurs dagues venimeuses toutes les bites immondes d’enfants de salaud.

Que toutes les pierres et les grains de poussière du sol se métamorphosent en odieux moustiques gros comme des poitrines vengeresses, que les mouches, les Amazones, les taons et les bêtes sauvages, en grand nombre, pénètrent dans le pays de Liège, dans toutes les maisons, dans les bouges malfamés où l’inceste se pratique, qu'ils pénètrent l'infamie comme les pénis violent l’intimité.

Que meurent les animaux de mauvaise compagnie et toutes les compagnies de sales animaux humains, bêtes lubriques et dégoutantes.

Que des ulcères gros comme le poing bourgeonnent en pustules sur les corps gras et musclés ; que la grêle des grêles abondantes tombe comme dévastation sur tout le pays des abuseurs d’Égypte et d’ailleurs ; que dans leurs entrailles, sautent comme des mines antipersonnelles les sauterelles énormes que porte la terre de mes aïeux.

Que leurs sexes abuseurs se changent en glaçons, que tombe la foudre incendiaire dans la chambre de mes parents, couvrant la surface grise des maisons de toute la ville de suie, plongeant la cité sanglante dans l'obscurité la plus noire ; que des démons crochus et épineux dévorent avec appétit leurs chairs nues, tout ce que les crapauds, scorpions, moustiques, anges et taons…., auront laissé .

Alors, en ce temps d'apocalypse, il n’y aura plus un bout de viande, pas le moindre gland vénéneux, mais rien qu'une épaisse ténèbre sur les hauts fourneaux, jusqu’à la mort des premiers enfoirés, jusqu’à la crève des premiers enculés …, Il y aura des semaines et des jours de deuil, des pleurs, sans aucune joie et sans orgasme ; rien que des nuits épouvantables où il ne restera aucune verdure aux arbres, aucune couille aux bas-ventres, aucun espoir au cœur, là où les yeux auront été crevés jusqu’aux derniers, dans tout le pays de Seraing, par les blessures occasionnées par la lance d’or des archanges vengeurs.

(…)

Lien vers Le Derviche (Roman) extraits 2 http://francais.agonia.net/index.php/prose/13982291/Le_Derviche_(Roman)_extraits_2


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