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■ Voir son épouse pleurer
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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2011-03-21 | | (…) Cadeau de mariage reçu par mon arrière grand-mère maternelle, cette armoire normande occupait le fond de l’entrée, entre le corridor qui menait à l’escalier et aux étages, et la double porte vitrée qui donnait sur la grande salle à manger, celle des apparats, des jeux d'échec et de nain jaune, le haut lieu des grands événements et des fêtes de famille, en réalité, un lieu solennel au parquet trois fois sain et ciré, que l’on devait franchir, enfant, à grands coups de reins et de patins, en guise de semi-soumission. Seuls autres meubles dans l’entrée de Clichy, avec cette normande armoire, une table de bridge pliante, à tiroir secret, avec sa belle marqueterie, qui profitait d'un espace libre à gauche de l’entrée devant le compteur d'électricité; et à droite, le long du mur, un simple sofa, qui, les jours de visite, se prenait pour un canapé, névrose bien connue des meubles, quand ils ont en eux cette peur au bois de ne plus servir que de décoration ! Elle me semblait « démesurée » cette armoire, comme gravide de toute la branche maternelle de la famille ; un peu comme si, depuis toujours, elle nous avait porté elle-même dans son propre sein de chêne, contre sa poitrine de rouvre foncé, pleine de sève lactée et sucrée de sa couleur de miel; oui, elle était comme taillée dans le même chêne massif que nos petits berceaux successifs, nos chaises d’enfant, nos chevaux de bois…, au faîte du meilleur chêne que la Normandie puisse compter ! Elle trônait dans l’entrée du pavillon de Clichy-sous-Bois, tout comme se pose là un meuble de famille, fier d’être, comme le chêne "Unique" du Chêne-Pointu, un être à part entière ! Elle avait parfois la fibre du bois à la limite de l’arrogance, de cet orgueil des beaux bois dont on fait les lits de centenaires, quand les bois nobles et droits connaissent leur véritable valeur et se sentent reconnus ! Alors, les beaux meubles peuvent nous regarder de haut, et même nous donner envie d'être de bois; car il en est de même des hommes de bois que des armoires de chair ! « Majestueuse », tel était pour moi son véritable Nom ! Aménagée en garde-robe et faisant fonction de fourre-tout, elle était bien « Le Meuble » de la Maison, et elle le savait très bien ! Tout comme peut l’être et le savoir, aujourd’hui même, ce grand miroir en bois sculpté de style Louis XV liégeois qui occupe, comme le mur de l’Atlantique ou celui de Berlin, une place de choix à la maison du Calvaire. Ce miroir , qui, à bâbord, occupe l’entrée de notre maison de Liège, est le seul survivant d’un ensemble de mobilier Louis XV Liégeois, dont mon bureau, avec bibliothèque, son canapé et ses deux fauteuils, étaient l'un de mes objets de fierté, dans les années où nous habitions « Le Pigeonnier », rue des Champs à Hollogne-aux-Pierres. Parfois, certains meubles de famille nouent d’authentiques « relations intimes » avec certains membres de la même famille…, et jouent ainsi à des jeux de familles, où le Père de la Famille Trinité n’a pas d’épouse, semble-t-il, ce qui étonne l’enfant qui pose de nombreuses et délicates questions à son vieux curé sur les mystères de la vie spirituelle ! Mais ce Père a bien un fils unique, c’est-à -dire un fils « bien » et « unique », même qu’on dit partout sur les toits de la ville que c’est « un fils de bonne famille », et dans ce jeu de relations où tout le monde se donne, seul « l’Esprit de famille » semble pouvoir les lier les uns aux autres, de la crèche à la résurrection, comme certains grands-parents sont des liants, comme sont liés les anneaux borroméens de Jacques Lacan : Imaginaire, symbolique et réel, tout en un, un en tout, tous pour un, un pour tous ! Mousquetaire, je suis, la brosse à poussières entre les mains, invincible Dard t’a niant, enfant seul contre le mensonge et le mépris. Il se pourrait bien, qu’entre l’hémisphère gauche de l’enfant-armoire normande et les meubles de famille « normale », se soit produit un mécanisme similaire, où chacun s’adapte à l’autre et lui fournit ainsi sa subsistance, sous la forme de nourriture affective, sociale et spirituelle, pour que tournent les anneaux comme les engrenages d’un système, dans le sens des aiguilles des monstres Espace et Temps. Grincements côté bois, tels des souvenirs de fourrés piétinés ; palpitations côté chair, quand le corps du meuble se fait contenant pour le corps de l’enfant contenu. Dedans, c’est un silence qui craque, dehors, c’est du bruit qui claque ! On parle souvent des « enfants placard » qui ont dans les méninges des étagères chargées de boîtes à mauvais souvenirs, mais il y a aussi les enfants-armoire à balais, qui jouent à l’épée avec des brosses hérissonnes, les enfants- armoires à usages multiples comme le sont les prétextes, les enfants martyrs, abandonnés, envahis ou battus ; il y a encore les enfants-armoires à vêtements pour les endimancher d’amour captatif, d’attentes attentistes, d’inattention ou d’étouffantes intentions, celles qui donnent de l’asthme aux petits enfants et des crampes aux armoires magiques. On peut aussi lister les enfants-armoires aux archives, remplies d’attentes intempestives, des enfants-portrait de l’un : enfant-souvenir, enfant-mémoire, enfant-anniversaire de, descendant de, procréé en commémoration de …, qui survivent tant bien que mâle, au nom d’un autre ou d’Un Tout Autre ! Chemin faisant, on trouve encore des enfants-armoire de chambres à coucher les mots dans des oreilles fragiles et les yeux innocents…, enfants-armoires de cuisine, aux épices, à linge ou enfants-médicaments contre l’ennui, la dépression…, les enfants-armoire-bibliothèque, bien dressés comme des dressoirs, avec des tringles entre les fesses, des cintres dans le dos, des porte-manteaux dans le regard, qui pissent dans leur pantalon et rougissent de honte derrière les paravents. Parmi ceux-ci, les enfants armoires-normandes, sont parmi les meilleurs ! Mais d’entre tous, je préfère encore, les enfants-armoires à jeux qui s’allongent sur la voie du train électrique pour suicider leurs petits soldats de plomb, qui ont les tempes et les armoires pleines de lits de poupées, de coffres à jouer le « je », de cubes de toutes les couleurs de la vie, des sacs de billes, des puzzles du Monde à l’échelle une, et des jeux d’impatience dans les poches…, ils ont aussi dans le cœur, des armoires avec des tas de livres d’images et d’images de livres, des albums à colorier…, J’ai tout mon matériel à coller les histoires, à découper les souvenirs, à tresser des relations de jeu, et mes crayons avec toutes mes boîtes à peinturlurer les rêves. Avec mon microscope et mon kaléidoscope, je vois le monde beau, complexe et fragmenté… (…) La sève des meubles est un peu comme le sang dans les veines, l’encre au stylo, l’eau à la source…, le bois respire, transpire, conspire contre le feu et la violence ! Dans le sens de la fibre, les nœuds et les fils du bois lui servent de nerfs pour communiquer des messages codés aux enfants observateurs et attentifs. Il y a encore les enfants-armoires à glace, fils de père armoire à glace, des narcissiques, et ceux des armoires sans glace et sans grâce qui souffrent de n’être pas regardés, écoutés, reconnus… Grâce ou glace sont les deux mamelles de la reconnaissance ! Si les deux permettent pareillement à traverser les miroirs ou les espaces de rangement…, ils consentent aussi à nous faire voyager au-delà des reflets et des images, par-delà tous les contenus et tous les contenants, vers soi-même en des armoires plus grandes et plus confortables, ontologiquement parlant, jusqu’aux confins non confinés de l’Armoire-Univers ! La mienne est imposante comme un Maître d’école, patinée comme une vieille dame très digne de damer le pion à la vie, tout ça pour prendre l'avantage sur la mort ; dans l’entrée de la maison, elle est présente d’une présence grinçante, comme un guéridon habité, depuis trois générations de couineurs plaintifs, de fouineurs d’inconnues et d’êtres en recherche de sens. Que contenait-elle à l’origine ? Un peu jaunie dans les dentelles, une ancienne robe de mariée peut-être ? Un vêtement de cocktail ou de soirée ? Dans le pavillon de Clichy-sous-Bois, « La » garde-robe semblait garder l’entrée ! Mais de quelle robe de sorcier, de magistrat, de loge de franc-maçon ou de bâtisseurs de cathédrales était-elle la protection ? Garde-robe ? Quels sont les gardes dont on parle ici ? Des Samouraïs armés de sabre, des guerriers de l’invisible, de pieux chevaliers, des Croisés en mal de croisade ? Quelles sont ces portes que l’on ouvre à coups de pinceau, de crayons ou de burin ? Avec des mots clé, des radicaux qui sont comme des impératifs : Sésame, ouvre-toi ou ferme-toi, mais bouge ! Comment doit-on l’ouvrir ? Avec grâce et délicatesse probablement ? Avec des mots de passe et des traits de couleurs, avec magie ou par sorcellerie ? Avec des incantations et tout un rituel « familial », intime et ultime que des lignées d’ancêtres ont prononcés, les uns après les autres avec respect et grandes peurs, avec quelques frissons peut-être, avant l’ouverture des deux battants, à même d’entrebâiller les âmes du purgatoire et de réveiller les ascendants oubliés entre deux planches vermoulues. En regardant cette armoire normande, je pense subitement à une autre anecdote familiale ; au cœur du bocage normand, il y avait cette chambre du château de Pontécoulant , où mes oncles et tantes passèrent leur nuit de noces ! Dans cette première chambre, il y avait une armoire à l’image de celle-ci, avec une cloison amovible dans le fond du meuble, passage qui permettait d’accéder à une seconde chambre « cachée » de tous, comme celle d’un mystérieux alchimiste, un laboratoire oratoire pour l’initiation des jeunes mariés. (…) Dans cette armoire normande, il y avait toujours, comme à demeure, la vieille Canadienne de papa, qui occupait la droite de la penderie, avec ses grandes poches toujours pleines de monnaies et de trésors divers. Les armoires, c’est sûr comme des trous de nœuds dans les planches des placards, sont pleines à raz-bord de ces contes sordides dont on gave les petits enfants les jours de pluie ; pleines à bord ras, à vomir, de ces mythes ancestraux qui l’on véhicule de bouches à oreilles, et de ces fantômes pâlichons qui hantent les nuits les plus grises, jusqu’aux tiroirs grinçants des commodes pas commodes. Les armoires, comme celle-ci, sont pleines d’histoires et de transes générationnelles : De Golem en loup-garou, des Barbes Bleues incestueux et des Adam terreux, pleines d’oncles des villes et de tantes des champs, débordantes de suicides par pendaison, de fausses couches et d’avortements, de viol dans la paille, et de vol pour nourrir les enfants, comme dans toutes les bonnes armoires de bonne famille... Pleines encore de jeunes militaires fringants ou blessés, et de vieux abbés déprimants en leurs presbytères et couvents…, et bien d’autres contes encore, d’autres histoires tristes à mourir ou enchantées à dormir de boue, dans cette fange dont on fait les familles modèles, de cette argile noble qui tourne folle sur le tour du temps, bourbe des êtres embourbés dans la gadoue terne des soucis communs, et des terres mouillées de sang et de toutes les larmes amères des mères endeuillées. En observant les frises de l’armoire, on pouvait aisément imaginer le sculpteur, à l’œuvre dans son atelier, au centre de copeaux volants comme des hirondelles ; on pouvait suivre au doigt et à l’œil, le labeur tenace du sculpteur sur bois ou sur pierre, nous qui, chez les Reumond, avions connu au fil des siècles, plusieurs générations de menuisiers ébéniste, tout comme des meuniers et des meunières qui se sont accouplés les uns aux autres dans la farine des âges, et liés pour la vie aux roues du moulin banal de la Chiers, entre la France et la Belgique, afin de moudre l’être, entre le bois et la pierre, dans les méandres farineux de notre arbre généalogique. (…) Extraits de "Châteaux Intérieurs" http://francais.agonia.net/index.php/essay/13899697/%C2%AB_Ch%C3%A2teaux_int%C3%A9rieurs_%C2%BB |
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