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Poezii Românesti - Romanian Poetry

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La peau de chagrin
prose [ ]
XIIIb

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par [Honoré_de_Balzac ]

2010-12-05  |     |  Inscrit à la bibliotèque par Dolcu Emilia



À Paris seulement, se rencontrent ces créatures au visage candide, qui cachent sous un front aussi doux, aussi tendre que la fleur d’une marguerite, la dépravation la plus profonde, les vices les plus raffinés…
Trompés d’abord par les célestes promesses écrites dans les suaves attraits de cette jeune fille, Émile et Raphaël, acceptant le café qu’elle leur versa dans les tasses présentées par Aquilina, se mirent à la questionner.
Alors elle acheva de transfigurer aux yeux des deux poètes, par une sinistre allégorie, je ne sais quelle face de la vie humaine, en opposant, à l’expression rude et passonnée de son imposante compagne, le portrait de cette corruption froide, voluptueusement cruelle, assez étourdie pour commettre un crime, assez forte pour en rire; espèce de monstre sans cœur, qui punit les âmes riches et tendres de ressentir les émotions dont il est privé, qui trouve toujours une grimace d’amour à vendre, les larmes pour le convoi de sa victime, et de la joie, le soir, pour en lire le testament…
Un poète eût admiré la belle Aquilina, le monde entier devait fuir la touchante Euphrasie. L’une état l’âme du vice, l’autre le vice sans âme.
- Je voudrais bien savoir, dit Émile à cette jolie créature, si parfois tu songes à l’avenir…
- L’avenir!... répondit-elle en riant. Qu’appelez-vous l’avenir?... Pourquoi penserais-je à ce qui n’existe pas encore? Je ne regarde jamais ni en arrière ni en avant de moi! N’est-ce pas déjà trop que de m’occuper d’une journée à la fois? D’ailleurs l’avenir, nous le connaissons!... C’est l’hôpital!...
- Comment peux-tu voir d’ici l’hôpital?... s’écria Raphaël.
- Qu’a donc l’hôpital de si effrayant?... demanda la terrible Aquilina. Quand nous ne sommes ni mères ni épouses; quand la vieillesse nous met des bats noirs aux jambes et des rides au front, flétrit tout ce qu’il ya de femme en nous, et sèche la joie dans les regards de nos amis, de quoi pouvons –nous manquer?... Alors vous ne voyez plus en nous, de notre nature, que sa fange primitive… Elle marche sur deux pattes, froide, sèche, décomposée; elle va, produisant un bruissement de feuilles mortes… Les plus jolis chiffons nous deviennent des haillons…L’ambre qui réjouissait le boudoir prend une odeur de mort et sent le squelette!... puis, s’il se trouve un cœur dans cette cette boue, vous y insultez tous…. Vous ne vous permettez même pas un souvenir!... Alors, que nous soyons dans un riche hôtel à soigner des chiens, ou dans un hôpital à trier des guenilles, notre existence n’est-elle pas exactement la même? …Cacher nos cheveux blancs sous un mouchoir à carreaux rouges et bleus, ou sous des dentelles… est-ce pas toute la différence? Au lieu d’un foyer doré nous nous chauffons à des cendres, dans un pot de terre rouge; et, au lieu d’aller à l’Opéra, nous allons à la Grève…
- Aquilina!... jamais tu n’as eu tant de raison au milieu de tes désespoirs! reprit Euphrasie. Oui, les cachemires, les vélins, les parfums, l’or, la soie, le luxe, tout ce qui brille, tout ce qui te plaît, ne va bien qu’à la jeunesse. Le temps seul pourrait avoir raison contre nos folies!... mais le bonheur nous absout! Ah!ah! j’aime mieux mourir de plaisir que de maladie… Je n’ai ni la manie de la perpétuité, ni grand respect pour l’espèce humaine, à voir ce que Dieu en fait… Aussi, donnez-moi des millions, je les mangerai … Je ne voudrais pas garder un centime pour l’année prochaine… Vivre pour plaire et régner, tel est l’arrêt que prononce chaque battement de mon cœur!... La nature m’approuve… Ne fournit-elle pas sans cesse à mes dissipations? Pourquoi le bon Dieu me fait-il tous les matins la rente de ce que je dépense tous les soirs?... Et comme il ne nous a pas mis entre le bien et le mal pour choisir ce qui nous blesse ou nous ennuie…Allez donc, je serais bien sotte de ne pas m’amuser!...
- Et les autres?... dit Émile.
- Les autres? Eh! Bien…qu’ils s’arrangent!... J’aime mieux rire de leurs souffrances que d’avoir à pleurer sur les miennes… Je défie un homme de me causer la moindre peine.
- Qu’as-tu donc souffert pour être devenue ainsi?... demanda Raphaël.
- J’ai été quitté pour un héritage!... Moi!... dit-elle, en prenant une pose admirable qui fit ressortir toutes ses séductions. Et cependant j’avais passé les nuits et les jours à travailler pour nourrir mon amant… Ah! je ne veux plus être l’a dupe d’aucun sourire, d’aucune promesse… et je prétends faire de mon existence une longue partie de plaisir…
- Mais, s’écria Raphaël, le bonheur ne vient-il donc pas de l’âme?...
- Eh bien!... reprit Aquilina, n’est-ce rien que de se voir admirée, flattée, de triompher mêne des femmes vertueuses en les écrasant par notre beauté, par notre richesse? … D’ailleurs, nous vivons plus en un jour qu’une bonne bourgeoise en dix ans , et alors – tout est jugé…
- Une femme sans vertu n’est-elle pas odieuse?...dit Émila à Raphaël.
Euphrasie, leur lançant un regard de vipère, répondit avec un inimitable accent d’ironie:
- La vertu!... Nous la laissons aux laides et aux bossues… Que seraient-elles sans cela les pauvres femmes?...
- Allons, tais-toi!... s’écria Émile, ne parle point de ce que tu ne connais pas!...
- Ah! je ne connais pas!...reprit Euphrasie. Se donner pendant toute sa vie à un être détesté, savoir élever des enfants qui nous abandonnent, et leur dire:
- Merci! Quand ils nous frappent au cœur… Voilà les vertus que vous ordonnez à la femme!... Encore pour la récompenser de son abnégation, venez-vous lui imposer des souffrances en cherchant à la séduire… Si elle résiste, vous la compromettez… Jolie vie… Autant rester libre, aimer ceux qui nous plaient, et mourir jeunes…
- Ne crains-tu pas de payer tout cela un jour?
- Eh bien!...répondit-elle, au lieu d’entremêler mes plaisirs de chagrins, ma vie sera coupée en deux parts… Une jeunesse certainemenmt joyeuse, et je sais quelle vieillesse incertaine où je souffrirai tout a mon aise…
- Elle n’a pas aimé!… dit Aquilina d’un son de voix profond. Elle n’a jamais fait cent lieues pour aller dévorer, avec mille délices, un regard et un refus… Elle n’a point attaché sa vie à un cheveu, ni essayer de poignarder sept hommes pour sauver son souverain; son seigeur, son Dieu. Pour elle, l’amour était un joli colonel…
- Hé,hé, la Rochelle!... répondit Euphrasie… L’amour est comme le vent, nous ne savons pas d’où il vient. D’ailleurs, si tu avais été bien aimée par une bête, tu prendrais les gens d’esprit en horreur…
- Le Code nous défend d’aimer les bêtes!... répliqua la grande Aquilina, d’un accent ironique.
- Je te croyais plus indulgente pour les militaires… s’écria Euphrasie en riant.
- Sont-elles heureuses, de pouvoir abdiquer leur raison!... Raphaël.
- Heureuses!... dit Aquilina, souriant de pitié, de terreur, et jetant aux deux amis un terrible regard. Ah! vous ne savez pas ce que c’est que d’être condamnée au plaisir avec un mort dans le cœur.
En ce moment, des cris étranges s’élevaient de toutes parts. Contempler le salon c’était avoir une vue anticipée du Pandémonium de Milton. Il y avait des danses folles animées par une sauvage énergie. Les flammes bleues du punch coloraient les visages d’une teinte infernale. Les rires éclataient comme des détonations d’un feu d’artifice. Les champs de bataille jonchés de morts et de mourants, avaient aussi leur image. L’atmosphère était chaude. L’ivresse ayant jeté sur tous les regards de légers voiles, chacun croyait voir un nuage rougeâtre et des vapeurs enivrantes en l’air. Il s’était élevé comme dans les bandes lumineuses tracées par un rayon de soleil, une poussière brillante, à travers laquelle se jouaient les formes les plus capricieuses, les luttes les plus grotesques, et des groupes merveilleux se confondaient avec les marbres blancs, admirables chefs-d’œuvre de la scupture dont les appartements étaient ornés.
Quoique les deux amis conservassent encore une sorte de lucidité trompeuse dans les idées, et, dans leurs organes, un dernier frémissemnt, simulacre imparfait de la vie, il leur était impossible de reconnaître c e qu’il y avait de réel dans les fantaisies bizarres, de possible dans les tableaux impossibles qui passaient incessamment devant leurs yeux lassés. Le ciel étouffant de nos rêves; le fini, la suavité qui contractent les formes et les objets dans nos songes, et surtout cette agilité chargée de lourdes chaînes; enfin, tous les phénomènes du sommeil les assaillaient si vivement qu’ils prirent les jeux de cette débauche pour les caprices d’un cauchemar. Il y avait du mouvement sans bruit, des cris perdus dans l’oreille, des corps intangibles; puis, l’ivresse, l’amour, le délire, l’oubli du monde étaient dans les cœurs, sur les visages, dans l’air, écrits sur les tapis, exprimés par le désordre…
Alors le valet de chambre de confiance, ayant réussi, non sans peine, à faire venir son maître dans l’antichambre, lui dit à l’oreille:
- Monsieur, tous les voisins sont aux fenêtres et se plaignent du tapage…
- S’ils ont peur du bruit, ne peuvent-ils pas faire mettre de la paille devant leurs portes!... s’écria l’amphitryon.




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